Le chant de la fidèle Chunhyang

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

L’histoire se déroule au 18e siècle, sous la dynastie de Joseon (1392-1910) à Namwon, ville située dans le sud-ouest du pays. J’y ai également inséré trois poèmes de Seo Jeong-ju, grand poète du 20e siècle, intitulés « Paroles de Chunhyang » 

Lee Mongryong, âgé de 16 ans, était le fils du gouverneur de la ville. Il passait jours et nuits à étudier pour se préparer au concours des fonctionnaires civils extrêmement sélectif. Mais le jour de la fête estivale de Dano, il se sentit particulièrement las. Il appela son valet pour aller prendre l’air dans la ville. 

Or, dès qu’il sortit, il vit une belle fille de son âge jouer de la balançoire avec sa servante, Hyangdan. Ce fut un coup de foudre pour l’adolescent. 

* Le chant de la balançoire-les paroles de Chunhyang 1

Hyangdan, pousse la balançoire, 
Comme si tu poussais un bateau
Vers une mer lointaine, 
Hyangdan.

De tous ces saules pleureurs qui remuent doucement leurs branches, 
De ces tas d’herbes et de fleurs sagement déposés à mon chevet, 
De cette bande de minuscules papillons et rossignols, 
Elance-moi bien loin, Hyangdan. 

A ce ciel où il n’y a ni corail ni île, 
Fais-moi monter. 

Fais-moi voler comme ces nuages colorés, 
Fais monter mon cœur palpitant !

Je ne puis pourtant m’en aller
Comme cette lune qui se dirige vers l’Ouest. 

Pousse-moi vers le haut,
Comme ces vents qui emportent les vagues, 
Hyangdan.

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

Mongryong demanda à son valet qui connaissait bien la ville des informations sur elle. Elle s’appelait Chunhyang, qui signifie le parfum printanier. Il s’agissait d’une fille naturelle d’une gisaeng (courtisane) et d’un ex-gouverneur de la ville. En croyant avoir affaire à une fille facile, il ordonna son valet de la lui amener. 

En effet, les gisaengs appartenaient à la classe la plus basse de la société. Elles étaient formées par l’État pour acquérir différents arts tels que le chant, la littérature, la danse, les instruments musicaux, etc, afin de rehausser l’ambiance des banquets publics ou privés. Mais à l’époque où il était très mal vu que les femmes fréquentent d’autres hommes que les membres de leur famille, leur métier était considéré comme vil. 

Contrairement à l’attente de Mongryong, Chunhyang refusa de suivre son valet. Elle laissa néanmoins la porte ouverte pour un éventuel rendez-vous car elle le chargea de transmettre ce message à son maître : « C’est aux abeilles et aux papillons de venir quérir du miel auprès des fleurs et pas inversement !»

Une repartie qui ne fera qu’aiguiser davantage le désir et la curiosité du jeune aristocrate. 

A la nuit tombante, Mongryong se rendit, en cachette, chez sa bien-aimée. Il  demanda la main de la jeune fille à sa mère, en jurant qu’il se marierait officiellement avec sa fille dès qu’il aurait accédé à l’indépendance. 

Pourtant, cette gisaeng chevronnée à la retraite n’était point dupe. Elle réclama une promesse écrite par la main de son futur « gendre ». Morngryong acquiesça. Puis, le soir même, le mariage fut consommé. 

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)
Le jeune marié somma son valet qui l’accompagnait à son rendez-vous galant de garder le secret jusqu’à ce qu’il réussisse au concours des fonctionnaires. Car la famille Lee n’accepterait jamais cette mésalliance avec une fille de gisaeng. Même si le père de Chunhyang était un noble, elle devait hériter du statut social de sa mère en vertu de la loi. 

Chaque soir, Mongyong alla voir sa femme à la dérobée et le jeune couple laissa libre cours à leurs désirs fougueux et ardants que permet leur jeune âge.  

Hélas, ce plaisir d’amour ne durera qu’un moment, ils devront faire face, bientôt, à de rudes épreuves. Ces dernières furent, paradoxalement, déclenchées par une excellente nouvelle pour la famille du marié. Le père de Lee Mongryong fut promu à un poste clé à la Cour. 

Le fils dut l’accompagner pour y poursuivre ses études. Désespéré, notre brave garçon décida de confier sa liaison avec Chunhyang à sa mère en la priant d’amener également  son épouse à Séoul. Requête rejetée en bloc avec ce verdict irrévocable : « On n’amène pas une gisaeng comme ça alors qu’on est encore si jeune. Cela pourrait même nuire à ta future carrière d’homme d’État et à la réputation de ton père. » 

Je vous fais volontiers grâce de la scène déchirante de la séparation de nos deux petits  tourtereaux… Le jeune époux promit à sa belle qu’il reviendrait après avoir brillamment réussi au concours des fonctionnaires civils. 

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

* Un matin où il refera jour-les paroles de Chunhyang 2

O Esprit  ! 
Au commencement, mon cœur ressemblait à cette petite brume
Du jour où des millions et des millions d’alouettes chantent,
A ce flot d’une rivière verte
Où des poissons aux écailles scintillantes nagent, 
Et à ce bébé nuage volant au-dessus de ce fleuve. 

O Esprit ! 
Pourtant, quand tu me vins en forme de mon bien aimé, 
Je devins une folle tempête, 
Une cascade qui se précipite du haut d'une falaise,
Une averse qui s’effondre sur la terre. 

Mais, cher Esprit, 
Quand tu me le repris,
Comme la mer boit de petits ruisseaux,
Tu me laissas dans mon cœur vide, 
La dernière lueur flamboyante du coucher du soleil.
Puis arriva cette longue nuit…

O Esprit ! 
Un matin où il refera jour, 
Comme cette fleur de campanule fleurissant dans les vallées, 
La couleur de mon cœur sera ton amour. 
* La fleur de campanule signifie en Corée « l’amour éternel »


Or, quelques mois plus tard, un nouveau gouverneur arriva à la ville de Namwon. Il s’appelait Byeon Hak-do. Entre-temps, Chunhyang dut décliner les avances de plusieurs aristocrates du coin désirant la prendre comme maîtresse. 

Le problème, c’est que ce successeur du beau-père de Chunhyang, n’était qu’un corrompu : il avait acheté ce poste. Il ne cherchera ainsi qu’à rentabiliser son placement en exigeant des habitants de la ville des tributs exorbitants qu’il dispersa ensuite pour son bon plaisir, notamment auprès de belles gisaengs. 

Ainsi, son premier ordre dès son arrivée à Namwon fut de dresser la liste de toutes les gisaengs de la ville. Il pensa en particulier à Chunhyang, célèbre pour sa beauté. Mais il découvrit, à sa grande déception, que son nom ne figurait pas dans la liste rédigée par ses subalternes.

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

Fort mécontent de ne pas découvrir le nom de Chunhyang sur la liste des courtisanes de la ville, il se fit expliquer la raison de cette omission. « Elle s’estime mariée avec le fils de son prédécesseur », lui répondit-on. 

Byeon Hak-do en rigola, convoqua sur le champ Chunhyang et l’appela à se soumettre à son désir. 

Notre Pénélope, très cultivée, rejettera cet ordre en invoquant ce vieux proverbe chinois : « 忠臣不事二君,烈女不更二夫 (충신불사이군, 열녀불경이부) » : « Un serviteur fidèle ne sert pas deux rois, et une femme vertueuse, pas deux maris.» 

Furieux, Byeon la fit arrêter, torturer avant de l’emprisonner en attendant le jour de son exécution fixée au jour même de son anniversaire.

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

Pendant ce temps, Lee Mongryong réussit au concours des fonctionnaires en remportant la première place, ce qui lui permit de décrocher le poste d’inspecteur secret du roi pour la province de Jeolla qui abrite la ville de Namwon. Il avait ainsi pour mission de détecter des abus de pouvoir et des corruption commis par les gouverneurs de la région concernée.

Donc, lorsqu’il arriva à Namwon, il était déguisé en mendiant. Il s’empressa d’abord d’aller voir sa femme en prison. 

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

* Testament de Chunhyang – les paroles de Chunhayng 3

Adieu, 
Mon amour. 

Adieu et porte-toi bien pour toujours,
Comme cet arbre vert et opulent 
Sous l’ombre duquel on se regardait debout, 
Le jour de notre première rencontre, la journée de Dano. 

Je ne sais point où se trouve l’au-delà. 
Mais je t’assure que ce n’est pas un pays
Plus lointain que mon amour pour toi. 

Que je devienne cette eau noire coulant à 1000 lieux au dessus de la terre, 
Puis ce nuage du ciel de *Tusita
* L’un des six mondes célestes du bouddhisme où réside Maitreya 
Crois-moi, mon âme restera toujours à tes côtés. 

Lorsque ce nuage tombera enfin sur terre en averse fougueuse, 
Je me retrouverai bien là. 

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

Le lendemain, c’était le Jour J,  l’anniversaire du gouverneur Byeon qui organisa un festin fastueux pour l’occasion. Lee Myongryong,  y arriva, toujours déguisé, et demanda tranquillement un verre d’alcool. Puis, en guise de remerciement, il composa sur place ce poème : 
金樽美酒千人血 (금준미주천인혈) : Le vin exquis dans ce verre d’or est le sang d’un millier de sujets,
玉盤佳肴萬姓膏 (옥반가효만성고) : Les mets gras dans ces assiettes de jade sont l’huile extraite de dix mille  sujets.
燭淚落時民淚落 (촉루낙시민루락) : Lorsque la cire de la bougie tombe, ce peuple verse des larmes, 
歌聲高處怨聲高 (가성고처원성고) : Là où le bruit de chants est haut l’est aussi le cri du peuple en détresse ! 

Les invités de Byeon pâlirent en entrevoyant à qui ils avaient affaire, mais notre brave méchant, déjà trop ivre, fit venir Chunhyang pour l’exécuter comme prévu. Elle fut amenée et le bourreau allait trancher son cou. 

A ce moment précis, Lee révéla son identité et des dizaines de gendarmes se précipitèrent de toute part pour arrêter l’officier corrompu. L’affaire réglée, notre inspecteur du roi se mit au siège du gouverneur, en regardant de haut en bas sa bien aimée toujours ligotée et qui restait la tête baissée. 

Le film, "Le chant de la fidèle Chunhyang" (2002)

Là, Lee lui demanda, en changeant un peu sa voix, si elle ne voudrait pas se mettre en son service. Proposition contre laquelle elle lança ce refus catégorique : « Tuez-moi plutôt ». 

Alors, trop content, Lee lui fit lever la tête et sa belle reconnut son mari. 

Tout le monde se réjouit de ces belles retrouvailles. La mère de Chunhyang, tout excitée chanta en dansant : « Une fille bien élevée vaut bien mieux dix fils !»

Vive l’amour libre, vive le triomphe de la classe sociale dédaignée, vive les femmes qui prennent en main leur destin et à bas des officiers corrompus ! 




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