« Je n’ai pas pu devenir la reine mais je veux devenir la reine-mère ! »
C’était en 1457. Son mari, le prince héritier Euigyeong (의경세자,1438-1457), venait de succomber à une maladie à l’âge de 19 ans. Et elle, elle avait tout juste vingt ans.
Décidément, le destin semblait lui jouer un mauvais tour. Et pourtant, il n’avait jamais arrêté de lui sourire depuis sa naissance…
Oui, depuis sa naissance. En 1437, notre héroïne naquit comme sixième fille légitime de l’un des hommes les plus puissants et riches de Joseon(1392-1910), Han Hwak (한확, 1400-1456).
Ministre et diplomate ambitieux, Han Hwak fit en sorte que ses deux sœurs, célèbres pour leur beauté, deviennent les concubines favorites des empereurs chinois, ce qui lui permit de consolider sa position à la fois à Séoul et à Pékin.
Par ailleurs, il maria l’une de ses filles à l’un des fils naturels de Séjong le Grand, l’inventeur du hangeul, en 1437.
Et en 1455, notre héroïne épousa le fils aîné du 2e prince de Séjong, le prince Sooyang, futur roi Séjo.
Or, en 1453, l’ambitieux monsieur entreprit un coup d’État contre le roi Danjong (단종, 1441-1457), son neveu, devint le roi deux ans plus tard avant de tuer le pauvre adolescent détrôné en 1457.
Par conséquent, la dame Han qui n’était qu’une des princesses obscures devint du jour qu lendemain dauphine à l’âge de 18 ans ! Ca ne l’épouvanta point, une telle promotion vertigineuse, ni le bain de sang auquel elle venait d’assister.
Au contraire, la perspective de devenir un jour la mère de la nation l’aurait réjouie.
C’est qu’elle avait hérité du goût du pouvoir de son père. Ainsi, elle aurait pleinement soutenu l’ambition dangereuse de son beau-père.
En plus, contrairement à la plupart des femmes de l’époque, elle avait reçu une solide éducation depuis qu’elle était toute petite.
La princesse s’entendit, par ailleurs, merveilleusement bien avec son mari et ses beaux-parents, d’autant plus qu’elle avait, pour idéal féminin, une épouse parfaitement dévouée à son mari, à sa belle-famille et à ses enfants.
A ce rythme-là, elle aurait sans doute pu avoir une dizaine d’enfants comme ce fut le cas de sa belle-grand-mère, la reine Sohyeon (소현왕후 심씨), l’épouse de Séjong le Grand et elle serait devenue une reine parfaite et sereine comme cette dernière.
Mais le destin en disposa autrement.
Le 20 septembre 1457, le dauphin Euigyeong, son mari, décéda suite à une grave maladie. C’était un prince intelligent, aimé de tous, pour son tempérament doux et généreux… Il était également l’un des petits enfants préférés de Séjong le Grand.
La jeune veuve n’eut pas d’autre choix que de quitter le palais avec ses trois enfants alors que le petit dernier n’avait que cinq mois.
Installée dans une maison située près du palais, l’ex-dauphine mit toute son énergie dans l’éducation de ses deux fils à tel point que ses beaux-parents royaux l’appelèrent « princesse tyrannique ».
Le roi Séjo était, malgré tous ses crimes, très aimant et tendre envers la famille qu’il avait fondée. Il invita ainsi souvent ses petits-fils au palais pour les soustraire, ne serait ce qu’un moment, à la tyrannie de leur mère.
En 1468, Séjo rendit son dernier souffle et son second fils devint le roi Yéjong (예종, 1450-1469).
Or, seulement 14 mois plus tard, le nouveau roi succomba, lui aussi, à une maladie à l’âge de 19 ans, exactement comme son grand frère. En effet, depuis son accession au trône, il souffrait de différentes maladies alors que son fils n’avait que 3 ans.
Une telle situation n’aurait pas laissé indifférente l’ex-dauphine qui était mère des deux princes, respectivement, en principe, numéro 2 et numéro 3 dans l’ordre de la succession…
Le jour même de sa mort, l’épouse de Séjo, la reine Jeonghee convoqua d’urgence les ministres pour désigner le prochain monarque.
Là, elle fit un choix un peu bizarre. Elle jeta son dévolu sur le second fils de notre héroïne, le prince Jaeulsan. Il avait alors 12 ans.
Bon, il est vrai que le fils du défunt roi Yéjong était encore trop jeune et c’était exactement pour la même raison que son défunt mari avait désigné leur second fils comme son héritier et non pas leur petit-fils aîné alors âgé de 3 ans.
Mais ce même enfant, le prince Wolsan (월산대군, 1454-1489), était maintenant un adolescent de 15 ans et c’était un garçon adorable et intelligent à tous les égards. Cependant en affirmant que « le second est en meilleure forme et plus brillant », elle choisit le prince Jaeulsan (성종, 1457-1494)
Pourquoi ? Les historiens présument qu’il devaient sûrement y avoir l’influence de Han Myeong-hwé (한명회, 1415-1487), qui avait apporté une contribution décisive lors du coup d’État entrepris par le roi Séjo contre son neveu. Il devint, par la suite, un ministre tout puissant.
Bien entendu, beaucoup de scénaristes de série exploitèrent à fond cette hypothèse. Selon eux, l’ex-dauphine aurait persuadé activement sa belle-mère de désigner son second fils comme héritier du trône pendant que le roi Yéjong souffrait d’une grave maladie.
Quoi qu’il en soit, son second fils, le prince Jaeulsan, devint le roi le soir même de la mort de son oncle. C’est le roi Seonjong(성종), considéré l’un des plus grands roi de Joseon.
Et l’ex-dauphine désormais promue au rang de reine-mère fit un retour triomphal au palais à l’âge de 31 ans.
Dotée d’un tempérament doux mais ferme, d’un sens politique équilibré, Jeonghee était la conseillère la plus écoutée de son mari. En effet Séjo fut l’un des rares rois qui étaient passionnément amoureux de sa reine jusqu’à la fin de sa vie.
Pourtant elle avait un petit défaut technique. Elle savait lire et écrire en hangeul mais pas trop les caractères chinois. Ainsi, elle voulut céder la régence à sa belle-fille, Insoo, une femme très érudite. Elle avait lu de nombreux livres confucéens en chinois et bouddhistes en sanskrit et en avait traduit quelques uns en hangeul.
Mais cette dernière ainsi que les courtisans s’y opposèrent vigoureusement. Par conséquent, Jeonghee devint la première régente de Joseon.
Pendant sa régence qui dura sept ans entre 1469 et 1476, Jeonghee réussit à stabiliser la situation politique fragilisée par le coup d’État de son mari et par les disparitions successives de ses fils, tous morts à l’âge de 19 ans.
La régente s’efforça surtout d’améliorer la vie du peuple et se garda de mettre à des posts clés les membres de sa famille ou ses proches. Enfin, elle essaya de racheter les crimes de son mari, en fournissant de l’aide à la femme et à la fille du roi Danjong, détrôné et exécuté par son époux.
De son côté, la reine-mère Insoo l’assista de près d’autant plus que les documents officiels de la Cour étaient rédigés encore en caractères chinois. Ses relations étroites avec Han Myeong-hoe, le Premier ministre tout puissant, avec qui elle était liée par le mariage de leurs enfants, contribua également d’assurer la stabilité de la régence. Cependant, à l’instar de sa belle-mère, Insoo s’abstint d’abuser de son influence à des fins privées.
Contrairement à la description de certaines fictions, les deux reines auraient vécu en bonne entente tout au long de leur vie. Elles se seraient également entendues pas mal avec l’autre reine douairière, Ansoon, l’épouse du roi Yéjong, femme discrète et douce qui ne prit pas l’ombrage que son propre fils, le prince Jéan (제안대군), n’accéda pas au trône alors qu’il était, en principe, le numéro un dans l’ordre de la succession.
Cette première régence est saluée comme la plus réussite parmi huit régences que la dynastie Joseon (1392-1910) a connues. Grâce aux efforts de mamie, maman et de tatie, Seonjong put entamer son règne sur une base solide, ce qui contribua en grande partie à faire de lui un des plus grands rois de Joseon.
Tout en assistant sa belle-mère, Insoo rédigea un livre, baptisé « Instructifs pour les femmes (내훈)», publié en 1475. Il s’agit d’une sorte de synthèse des principaux livres confucéens et des anecdotes pédagogiques sur des vertus principales des femmes pour devenir une bonne mère de famille et une belle-fille dévouée.
Dans la préface, la reine-mère écrivit : « Comme je suis veuve, je voudrais avoir une belle fille dont le cœur est aussi poli que la jade.»
En effet, elle en servit aussi comme manuel pour instruire ses belle-filles dont les concubines de son royal fils. Oui, ce fut le cas de l’instruction de ses fils, elle afficha une position radicalement conservatrice pour celle de leurs épouses et maîtresses.
Mais pas de chance. Sa belle-fille, la reine Gonghye (공혜왕후, 1456-1474), qui correspondait parfaitement à son idéal féminin, décéda en 1474 à l’âge de 17 ans, suite à une maladie sans avoir donné d’enfant.
Or, sa successeure était exactement le contraire du modèle prôné par Insoo.
Comme le jeune roi Seongjong avait déjà quelques concubines, les trois reines seniors, choisirent une d’entre elle, celle de la famille Yoon (폐비윤씨, 1455-1482), comme nouvelle reine en 1476, en grande partie parce qu’elle était déjà enceinte. Par ailleurs, elle leur plaisait bien par sa modestie et son côté économe. Quatre mois après, Yoon accoucha d’un fils tant attendu.
Le problème, c’est qu’elle changea complètement son comportement après cette naissance. Elle devint très capricieuse et malpolie vis-à-vis de son mari et du trio de majestés seniors. Surtout, elle était extrêmement jalouse et ne chercha pas à le cacher alors que son royal mari prenait de nombreuses maîtresses. Et contrairement à la plupart des dames nobles de l’époque, elle ne mâchait pas ses mots et querella souvent le roi.
Elle n’hésitait même pas à proférer des insultes contre le monarque du genre : « J’arracherai ses yeux, couperai ses mains et effacerai toutes ses traces ! ». Elle cacha même dans sa chambre une série d’objets destinés à maudire ses rivales et du poison…
Au bout de patience, le roi la destitua en 1479. Tous les ministres s’y opposèrent fermement mais les trois reines seniors soutinrent cette décision.
Trois ans plus tard, en 1482, le roi finit par exécuter son ex-femme, alors que leur enfant, le premier fils du roi avait six ans. Tous les courtisans s’y opposèrent en craignant l’éventuelle vengeance de ce dernier. Après la mort de la reine destituée, on lui fit croire que celle qui succéda à sa mère était sa vraie mère biologique.
Le roi Seongjong décéda en 1494 et le prince devint le roi Yeonsangun à l’âge de 19 ans. Il finit par apprendre la vérité au début de son règne et en 1504 lorsqu’il jugea son pouvoir bien affermi, il entama enfin une vengeance sanglante.
Il fit exécuter tous les courtisans qui avaient soutenu la mort de sa mère et tua de manière très cruelle deux concubines de son père soupçonnées d’avoir calomnié la reine déchue.
Insoo, sa grand-mère, alors âgée de 68 ans, ne put éviter ce bain de sang. Un soir, en plein milieu de son accès de colère, Yeonsangun se précipita vers son pavillon. « Pourquoi as-tu tué ma mère ? » cria-t-il à sa grande-mère alitée depuis quelques mois, en lui décochant d’autres insultes que les chroniqueurs royaux se gardèrent bien de transcrire telles qu’elles étaient.
Cette scène brutale aurait précipité la mort de notre héroïne. Un mois plus tard, Insoo rendit son dernier souffle.
D’après une rumeur qui courait à l’époque, le roi Yeonsan l’aurait tuée en heurtant violemment sa tête contre la sienne lorsque cette dernière le gronda d’avoir tué si cruellement deux concubines de son père…
Insoo, la reine-mère, fut enterrée à côté du tombeau de son mari, le dauphin Euigyeong, qui reçut le titre du roi Deokjong par son fils. On peut le visiter encore aujourd’hui. Il est situé en banlieue de Séoul : 경기도 고양시 덕양구 용두동 산30-1번지 서오릉
Photos : Extraits de la série, « Insu, the Queen Mother», disponible sur viki
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