Shin Saimdang (1504-1552) : peintre exceptionnelle et bonne mère

La série, "Saimdang, le journal de la lumière"


Peintre et poète hors du commun, Shin Saimdang (신사임당) a inspiré  la série, « Samidang, le journal de la lumière (Viki) ». Elle est également la seule femme à figurer sur un billet de banque de Corée, celui de 50 000 wons (34 euros), mis en circulation en 2009. 

Mais lorsque le gouvernement annonça cette décision en 2007, au lieu de s’en réjouir, plusieurs associations féministes ont manifesté  avec virulence  leur opposition. Pourquoi ? 

Je reviendrai sur ce sujet dans l’une de mes publications prochaines qui portera sur l’évolution des discours sur cette dame. Car ce récit illustre parfaitement bien l’évolution du statut des femmes de Corée au cours de ces cinq derniers siècles. 
Mais d’abord, voici la première partie de son portrait. 

1. Tradition matriarcale 

Les conditions des Coréennes n’étaient pas si mauvaises jusqu’à la fin du 16e siècle. Les filles et les fils partageaient, à part égale, l’héritage de leurs parents, les femmes pouvaient devenir cheffe de la famille en cas d’absence d’héritier mâle, etc.

Ainsi, au début du 16e siècle, encore beaucoup d’hommes s’installaient chez les parents de leur épouse, y compris les aristocrates, selon la longue tradition du pays qui remonte jusqu’à l’antiquité. Ce fut également le cas du grand-père maternel et du père de Shin Saimdang, bien qu’ils fussent des familles nobles les plus illustres de Joseon (1392-1910). 

Par conséquent, Shin Saimdang grandit non seulement avec ses parents mais aussi avec ses grands-parents maternels dans une maison que sa mère avait hérité de sa propre mère qui était la 2e fille d’un aristocrate très riche de Gangreung, ville côtière située dans le nord-est du pays. Vous pouvez encore visiter cette maison baptisée « Ojukhun (오죽헌) »,  désignée comme trésor national en 1963. 

Ojukhun à Gangneung

La mère de Saimdang, la dame Yi, était enfant unique. Et à son tour, elle n’eut pas eu de fils mais seulement cinq filles. Cependant ni le père, ni le grand-père de Saimdang ne songèren à adopter un garçon pour lui léguer le statut du chef de famille, ce qu’auraient fait la plupart des familles nobles deux ou trois siècles plus tard. 

Au lieu de quoi, ces deux hommes éduquèrent leurs filles avec autant de soins qu’ils auraient pu en dispenser à des garçons. Et la mère de Saimdang, assistée par ses parents pour l’éducation de ses cinq filles, put devenir une mère de famille à la fois épanouie et attentionnée. Terrain idéal pour le développement d’un génie féminin doté de multiples talents. 

2. Enfant prodige 

Saimdang naquit comme 2e fille de cette famille ouverte d’esprit. Elle se mit à apprendre les caractères chinois et le hangeul dès l’age de trois ans. Elle assimila vite tout ce qu’elle apprenait et arriva même à composer des poèmes en chinois à l’âge de Petit Ourson !
Et à l’âge de six ans, elle commença à peindre. 

Son talent pour la peinture était tel que son père lui offrit une peinture de paysage de montagne du célèbre peintre du 15e siècle, Ahn Gyeon(안견). 

Un tableau de paysage de Ahn Gyeon. Saimdang fut comparée à Ahn
par ses contemporains

La petite la copia parfaitement  à la grande surprise de tout le monde ! Elle excella également à peindre, entre autres, des insectes. Un jour, elle mit sa peinture des insectes dehors pour sécher l’encre. Alors un coq vint picorer les petites bestioles peintes sur ce tableau ! 

Les oeuvres de Saimdang

Il y a une autre anecdote liée à son talent extraordinaire. Un jour, sa famille organisa une grande fête. Parmi les invitées de sa mère, il y a avait une dame aristocrate mais pauvre. Pour cette visite, elle avait emprunté une jupe en soie de sa voisine. Or, une servante renversa un bol de soupe sur sa jupe ! La dame devint toute pâle… Là, Saimdang intervint, demanda de prendre la jupe un instant, peignit des raisins sur les tâches et la lui rendit. La pauvre invitée put la vendre bien plus cher que le prix initial de la jupe. 

Oeuvre de Saimdang 

Subjugués par la capacité hors norme de leur enfant, les parents de Saimdang n’hésitaient pas à lui offrir tout leur soutien pour qu’elle puisse exercer, à souhait, ses activités artistiques.

Elle brillait également dans des tâches plus classiques des femmes, la cuisine, la couture, la gestion des finances et, on le verra par la suite, pour l’éducation des enfants aussi. 

3. Un mari passable

A mesure que Saimdang approcha de l’âge de se marier, Monsieur Shin, le père de Saimdang, se creusa la tête. Quel gendre choisir pour permettre à sa fille de s’épanouir dans sa vie de mère de famille et de peintre ? Il lui faudrait un homme noble, certes, mais pas  issu d’une famille trop puissante ni très riche.. Un homme humble et tolérant, pas forcément trop brillant non plus. 

La série, "Saimdang, le journal de la lumière"

Il opta finalement pour Yi Won-su(1501-1561), fils unique d’une veuve indigente vivant à Paju, situé au nord de Séoul. Mais sa famille, du clan Yi de Deoksu, était l’une des familles les plus illustres de Joseon. Par exemple, le grand amiral Yi Sun-sin (1545-1598), appartient au même clan que lui.

Les deux jeunes se marièrent en 1522, elle à l’âge de 18 ans, lui à l’âge de 21 ans. Son père aurait bien voulu vivre avec le jeune couple mais malheureusement il décéda à la fin de la même année. Saimdang resta d’abord auprès de sa mère pendant trois ans pour porter le deuil  puis elle faisait va-et-vient entre la maison de sa belle-famille et celle de sa mère.

Apparemment, elle s’entendait plutôt bien avec son mari. Elle eut, par exemple, cinq fils et trois filles avec lui. Or, Saimdang n’était pas une conjointe ni soumise, ni docile, ni passive contrairement à l’image que certains se font d’elle. 


Heureusement, comme l’avait prévu son père, Yi Won-su n’était pas un homme trop autoritaire même s’il n’était pas un homme très intelligent non plus, ce qui permit au couple de vivre en paix, au moins au début de leur mariage. 

4. Caractère bien trempé

Voici les trois conseils que Saimdang donna à son mari qui nous permettent de bien deviner son caractère.

4-1. Saimdang menace de devenir moine bouddhiste si son mari ne poursuit pas les études 

Son mari n’aimait pas trop les études. Bon, le père de Saimdang choisit exprès un aristocrate plutôt moyen et pauvre pour que sa fille puisse occuper une position favorable dans son rapport de force avec son époux.  

En tout cas, Saimdang voulut quand même faire de lui un haut dignitaire de la Cour. Car c’était l’objectif de tous les hommes aristocrates de l’époque. Mais il fallait passer par plusieurs étapes du concours d’officiel civil pour obtenir un poste au gouvernement. 

Comme son mari se laissait vite distraire pour un rien, elle trouva un bon temple bouddhiste, bien isolé au fin fond d’une montagne.  Puis, elle lui fit promettre de ne pas revenir avant de réussir au concours. Or, quelques mois après, il revint en prétextant que sa femme lui manqua trop. 

Alors, Saimdang coupa ses cheveux avec des ciseaux devant les yeux de son mari en menaçant de quitter la famille pour devenir moine s’il ne se concentrait pas sur ses études. Mais ce fut en vain. Yi finira par renoncer au concours au bout de trois ans et se contentera d’un petit poste qu’il décrocha grâce à la renommée de sa famille. 

Mais à l’époque de Joseon, si on rejoignait une fonction publique par ce biais-là, une sorte de parachutage, la promotion était très limitée par rapport à ceux qui étaient passés par le concours.

4-2. Saimdang recommande à son mari de se tenir à l’écart d’un Premier ministre corrompu 

Après avoir échoué plusieurs fois au concours, il était tellement stressé qu’il voulut demander une faveur d’un de ses oncles pour obtenir un poste à la Cour. Il s’agissait Yi Gi(이기), le Premier ministre tout puissant de l’époque. C’était un proche de la reine-mère Munjeong, qui exerçait un pouvoir démesuré sur son fils, le roi Myeongjong. En 1545, il fit liquider un grand nombre d’aristocrates du camp ennemi de sa faction.

Or, Saimdang conseilla à son mari de ne pas fréquenter Yi Gi : « Parce que la gloire d’un homme qui calomnie les innocents et ne cherche que s'accrocher au pouvoir ne peut pas durer longtemps ». Clairvoyance qui sauva toute la famille ! Car à la mort de la reine-mère Munjeong, le roi Myeongjong liquida tous les proches de sa mère et leurs familles. 

4-3. Saimdang conseille à son mari de ne pas se remarier après sa mort 

Lorsqu’il entra dans l’âge mûr, Yi Won-su prit le chemin que beaucoup de ses homologues de l’époque suivaient. Il entama, à la dérobée de son épouse, des relations inappropriées avec une jeune et belle femme, qui avait l’âge de son fils aîné. Elle tenait une taverne.

La série, "Saimdang, le journal de la lumière"

C’était une grande buveuse d’alcool vulgaire et inculte dont les comportements étaient peu exemplaires, surtout quand elle était ivre. Bref, une parfaite antithèse de notre héroïne du jour. 

Furieuse, elle quitta un temps la famille pour faire un tour au mont Gumgang dont elle avait tant rêvé depuis son enfance. Elle s’oublia à peindre le paysage exquis de la montagne célèbre pour ses cimes pittoresques. 

La série, "Saimdang, le journal de la lumière"

A l’âge de 44 ans, elle attrapa une maladie cardiaque. Quand elle sentit se profiler la mort à l’horizon en raison de cette maladie, elle conseilla à son mari de ne pas prendre épouse après son décès :
- Saimdang: Ne vous remariez pas après ma mort. On a déjà cinq fils et trois filles. Pas besoin d’enfreindre la leçon donnée par les anciens sages en reprenant épouse. 
- Yi Won-su : Mais pourquoi donc Confucius mit à la porte sa femme ?
- Saimdang : Quand Confucius se réfugia à l’Etat de Qi suite à l’éclatement d’un conflit à l’État de Lu, son épouse refusa de le suivre et se rendit à l’État de Song. Pourtant aucun document nous apprend qu’il la répudia définitivement même s’ils ne vécurent plus ensemble. 
- Yi Won-su : Et pourquoi Zengzi vira son épouse ?
- Saimdang : Il le fit à contre cœur, parce qu’elle n’arrivait pas à préparer des poires cuites comme il fallait alors que ses beaux-parents adoraient ce dessert. Mais Jeungja ne se remaria jamais car il respecta l’engagement de ses premières noces.
- Yi Won-su : Et chez Zhu Xi, comment ça se passa ?
- Saimdang : Zhu Xi perdit son épouse à l’âge de 47 ans. Il n’y avait personne pour s’occuper des affaires de la maison mais il ne convola pas une nouvelle fois. 

La série, "Saimdang, le journal de la lumière"

Là, on voit bien que madame était nettement plus instruite que monsieur. 

Malgré cette vive recommandation, il installa sa maîtresse chez lui, suite à la disparition de madame. Les enfants de Saimdang détestèrent cette jeune ivrogne effrontée. Le fils aîné se disputa tout le temps avec elle et le troisième fils, Yi I, quitta la maison à l’âge de 16 ans pour s’installer dans un temple bouddhiste. Alors qu’il ne tarit pas d’éloges à propos de sa mère dans ses différents ouvrages, il n’évoque jamais son père. 

5. Mère exemplaire 

Chez certaines féministes d’aujourd’hui, cette réputation de mère exemplaire constitue plutôt un défaut. Mais rien nous empêche d’être à la fois bonne mère et DE s’épanouir dans sa vie ! Elle prit le même soin pour éduquer ses filles que pour ses garçons. Parmi ses enfants, Yi Mae-chang (이매창, 1529-?), Yi I(율곡 이이,1536-1584) et Yi Woo (이우, 1542-1609) sont les plus connus. 

5-1. Yi Mae-chang et Yi Woo

Attention ! A ne pas confondre avec l’autre Mae-chang, qui était une poétesse et gisaeng renommée et la grande amie de Heo Gyun à la fin du 16e siècle. C’était la première fille de Saimdang. Et Yi Ou (1542-1609) était le 4e fils. Comme leur mère, ils excellaient à la peinture, la calligraphie et à la poésie. 

L'oeuvre de Yi Mae-chang 

Et Yi Mae-chang jouait même du geomungo, une sorte de sitar coréen ! 
Telle mère, telle fille, elle aussi, elle éleva bien ses enfants. Son deuxième fils, Jo Young, était, lui aussi, brillant pour la peinture, la calligraphie et la poésie.

L'oeuvre de Yi Woo

5-2. Yi I

Mais le plus célèbre enfant de Saimdang à retenir, c’est incontestablement Yi I, l’un des deux principaux érudits confucéens de Joseon avec Yi Hwang. Il était également un homme d’État clairvoyant et intègre. Alors que sa mère figure sur le billet de 50000 wons, lui, il apparaît sur celui de 5000 wons. 

Contrairement à son père qui ne réussit à aucun concours, il s’empara de la première place à neuf reprises lors de différents concours et examens de l’État dès l’âge de 13 ans. Il occupa des postes clés à la Cour, y compris ministre de la Défense et ministre de l’Intérieur. 

En même temps, il approfondit sa théorie sur le confucianisme et enseigna ses savoirs  à ses disciples. 

A l’époque, la Cour était divisée en deux courants politico-idéologiques, Dongin et Seoin. Dongin prenait Yi Hwangn comme maître de pensée et Seoin, Yi I. Pourtant, ces deux grands hommes, au lieu de s’en réjouir, essayèrent de rapprocher les deux factions, mais en vain. 

Or, environ 40 après la mort de Yi I, Seoin devint le parti majeur de la Cour suite à la chute du roi Gwanghae en 1623.

Pour moi, c’est un peu l’ironie de l’histoire. Car, Yi I naquit dans la maison de ses grands-parents maternels, grandit dans une famille respectueuse des droits des femmes. A la mort de sa grand-mère maternelle, qui s’occupa de lui après la mort de Saimdang, il prit en charge le culte aux ancêtres de la lignée maternelle. 

En contrepartie, sa grand-mère lui légua une maison à Séoul et un peu de terrain qui lui procurèrent des revenus supplémentaires alors que le salaire des fonctionnaires, comme aujourd’hui, était bien modeste.

Par ailleurs, c’est, en grande partie, grâce à l’enseignement et probablement à l’ADN de sa mère qu’il put devenir un si grand homme. 

Or, la classe dirigeante qui sera dominée à partir du début du 17e siècle par les aristocrates de Seoin, renforcera de manière radicale l’ordre patriarcal au détriment des conditions de vie des femmes. 

6. Un poème de Saimdang et la fin de sa vie

A l’âge de 38 ans, Saimdang s’installa définitivement à Séoul pour s’occuper de sa vieille belle-mère qui n’eut pas d’autre enfant que son mari alors que la mère de Saimdang avait quatre autres filles. 

Elle s’entendit bien avec sa belle-mère, mais sa propre mère et sa ville natale, Gangneung, lui manquèrent affreusement. Voici l’un des poèmes qu’elle écrivit à l’époque que j’ai traduit : 
« Alors que les mille lieues et montagnes nous séparent, 
Que ma ville natale me manque, endormie ou réveillée !
Je revois, au bord du pavillon Hansong, deux lunes, au ciel et sur le lac,
Je ressens, sur la plage de Gyeongpo, un vent frais qui virevolte.
Sur la côte des sables, des mouettes se rassemblent et se dispersent
Sur les vagues, au loin, des petits bateaux voguent ici et là
Quand pourrai-je retourner à Gangneung, mon cher pays natal, 
Et redevenir petite fille pour coudre à côté de ma mère ! » 

Eloignée de l’affection de la mère et dépourvue de l’amour de son mari, sa santé empira vite. Son troisième fils, Yi I, priait tous les jours dans le sanctuaire où était installé le portrait de son grand-père maternel. Un jour, il pria avec une telle ardeur qu’on le retrouva évanoui devant l’autel de son grand-père. Quatre ans plus tard, elle rendit son dernier souffle. 

Mais il ne put assister à la mort de sa mère. Il était parti avec son père et son premier pour des affaires et il apprit cette triste nouvelle sur le chemin de retour. Profondément ébranlé par cette séparation précoce, il quitta la famille, suspendit ses études, et resta trois ans dans un temple bouddhiste bien isolé dans une montagne, à contempler le sens de la vie ou de la mort. 

Or, Saimdang n’aurait pu deviner qu’elle deviendrait l’un des personnages les plus controversés près de cinq siècles après son décès. 

Pour l’aventure fascinante de l’évolution de son image à travers cinq siècle, à suivre ma prochaine publication !

L'oeuvre de Saimdang


La série inspirée par cette dame : Saimdang, le journal de la lumière, disponible sur Viki

Commentaires

  1. Mag6. Je vous remercie pour cette belle histoire et je suis ravie d'apprendre que les droits de femmes étaient a l'époque plus avancés. Néanmoins il reste beaucoup à faire aujourd'hui a ce sujet comme pour les mariages d'intérêt. . J'ai revu la série 3 fois. C'est un chef d'œuvre.

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  2. Merci! beaucoup pour ce récit de la très belle histoire de cette femme plein d'énergie et dévouée

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