« Le roi tomba du cheval lors d’une chasse mais il ne fut pas blessé. Il regarda de droite à gauche et ordonna à ses valets : ‘Que le chroniqueur ne le sache pas !’ (Le 8 février 1404) »
« Un nommé Park Dok-dong, habitant du district de Samhwa dans le province de Pyeongan, et son chiot furent foudroyés (Le 21 juillet 1423) »
« Moi, j’ai inventé ce nouveau système d’écriture (hangeul) pour rendre plus facile la vie du peuple, car avec les caractères chinois, on ne peut bien transcrire les sons de notre langue. Alors pourquoi le critiquez-vous ? Savez-vous ce que sont des phonèmes ? Ne parlez pas des choses qui vous dépassent. Il est urgent de corriger ce décalage entre notre langue et les caractères chinois. Et si je ne le fais pas maintenant, moi-même, qui le fera ? (le 20 février 1444. Séjong le Grand critiquant l’un de ses chercheurs qui s’opposait vivement à la création du hangeul) »
1. Qui écrivirent quoi ?
Quand on y pense, c’est quand même traumatisant. Les rois de Joseon (1392-1910) devaient vivre, presque 24h sur 24 et sept jours sur sept, sous des caméras de surveillance humaines : les chroniqueurs. Presque tous ses gestes et ses paroles étaient méticuleusement enregistrés par ces braves historiens, comme le fait que Séjong le Grand offrit une mandarine à l’une de ses concubines.
Ces jeunes officiels furent sélectionnés parmi ceux qui venaient de réussir au concours des fonctionnaires civiles avec une bonne note. Ils rédigèrent, chaque soir, une ébauche des annales. Et tous les trois mois, ils les compilèrent avec d’autres documents officiels, y compris des rapports envoyés par les gouverneurs de province. C’est à la mort de chaque roi que furent rédigées les annales sous l’égide du Premier ministre. La durée de cette opération était, en moyenne, d’un ou deux ans.
Non seulement le quotidien du roi et les affaires d’Etat, mais aussi d’immenses informations dans tous domaines, les phénomènes naturels, la culture, les coutumes, les principaux faits divers, etc, qui se passèrent sous le règne du défunt roi furent compilés dans ces chroniques. Même la mort d’un chien au fin fond d’une campagne !
2. Conservation des annales
Elles sont également les seules archives dont les copies originales ont survécu aux aléas du temps, tels que les invasions étrangères, les catastrophes humaines, les soulèvements du peuple, etc. car on conservait dans cinq entrepôts différents, situés dans montagnes isolées, cinq exemplaires de ces chroniques.
Par exemple, pendant la guerre d’invasion japonaise, un seul exemplaire put survivre. Après le conflit, le roi Gwanghae fit imprimer quatre autres exemplaires pour les conserver dans des endroits plus isolés et plus sûrs.
Aujourd’hui, la Corée du Sud possède deux exemplaires et le Nord, un exemplaire que ce dernier emporta de Séoul lors de la guerre de Corée (1950-1953).
3. Interdiction pour les rois d’accéder aux annales
Il était strictement interdit aux souverains de lire les ébauches de leurs futurs annales et celles de ses prédécesseurs. A l’époque, cette règle visant à garantir la neutralité des historiens n’était respectée qu’à Joseon en Asie de l’Est ! Une fois, un roi, nommé Yeonsan, enfreignit cette règle et lut une partie des ébauches des annales de son père. Puis, il inonda la Cour de sang... Finalement il fut destitué par des officiels de la Cour et son demi-frère lui succéda. Dès lors, les rois n’abstinrent d’accéder aux annales.
Mais les chroniqueurs pouvaient accéder aux annales des rois précédents afin d’en tirer des leçons lorsque la Cour faisait face à des actualités compliquées.
4. Commentaires des chroniqueurs
Outre le souci de neutralité et d’objectivité, une telle interdiction pourrait également s’expliquer par le fait que les chroniqueurs ne mâchaient pas leur mot pour critiquer vertement les hauts dignitaires et même les rois ! Parfois, leur ton est plus virulent que les communiqués des partis d’opposition d’aujourd’hui.
Comme celui-ci, rédigé à la fin d’un compte-rendu de la séance d’une conférence où le roi et ses ministres discutaient des moyens de combattre des bandes de voleurs qui poussaient, à l’époque, comme des champignons partout dans le pays :
« Le chroniqueur commente : s’il y a autant de voleurs dans le pays, c’est à cause des gouverneurs et des ministres corrompus…Ils pressurent tellement le peuple que ces pauvres gens n’ont d’autre choix que de devenir malfaiteurs et voleurs… Les opérations militaires ne peuvent pas éradiquer ce fléau. Il faut avant tout chercher à remédier au mal à la source en punissant les officiels corrompus. (Le 27 mars 1559) »
Ils étaient aussi sévères avec eux-même. Ils écrivirent, par exemple, la mort dans l’âme, des critiques émises contre eux par des officiels tels que, « Ces jours-ci, les chroniqueurs somnolent trop souvent », ou « Ils sont de moins en moins disciplinés, il faudra bien les reprendre en main. ».
A mon avis, les historiens tinrent à la fois pour garantir la neutralité des faits historiques et pour laisser des commentaires qui leur paraissaient pertinents pour que les futurs générations s’en servent comme des exemples.
5. Ces annales peuvent être consultés, en hangeul, sur Internet
Ces chroniques furent écrites en caractères chinois comme ils restaient les lettres qu’on utilisait pour la rédaction des documents officiels jusqu’à la fin du 19e siècle. Après la guerre, les deux Corées ont traduit, chacune de son côté, ces chroniques en hangeul.
Puis, la Corée du Sud acheva l’informatisation de ces documents originaux et traduits en 1995. N’importe qui peut consulter ces documents sur Internet depuis 2005 : https://sillok.history.go.kr/main/main.do
Et vous vous en doutez bien. C’était une véritable manne pour les scénaristes et les romanciers ! Les évènements et les personnages traités dans les romans ou séries historiques devinrent plus variés avec des détails plus fidèles à ceux de l’époque.
6. Mémoire du monde de l’Unesco
Ces archives sont classées comme trésor national de la Corée du Sud en 1973 et Mémoire du monde de l’Unesco en 1997, sauf les annales des deux derniers rois, Gojong et Sunjong. Car, elles étaient compilées pendant l’occupation japonaise, donc gravement déformées par les historiens révisionnistes nippons.
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