Aujourd’hui, le 17 juillet, c’est le 75e anniversaire de la Constitution. Comme c’est le cas de bien d’autres pays, l’histoire de notre Constitution est celle de la lutte entre le peuple opprimé et toutes formes de tyrannie, y compris le Japon impérialiste.
A cette occasion, j’ai demandé à mon mari de me donner un petit cours sur ce sujet comme il a fait le droit à la fac. Il a sorti son gros livre sur la Constitution. L’occasion pour le couple Ours de se replonger dans ces vagues houleuses que la Corée du Sud traversa depuis la libération en 1945.
En effet, la Constitution fut révisée à neuf reprises en moins de 40 ans depuis sa création en 1948. Voici son histoire…
1. A l’origine de la Constitution
En 1897, face aux menaces croissantes des puissances voisines, notamment le Japon, le roi Gojeong rebaptisa la dynastie de Joseon en Empire de Corée avant d’entamer une série de réformes radicales pour moderniser le pays. Mais il resta réticent à l’idée d’adopter la monarchie constitutionnelle. Ainsi, le pays n’avait eu aucune occasion d’expérimenter la démocratie avant l’occupation japonaise qui débuta en 1910.
Neuf ans plus tard, différents groupes de résistance se rallièrent pour organiser le célèbre mouvement d’indépendance du 1er mars 1919. Dans leur déclaration, ils proclamèrent non seulement que la Corée était un pays indépendant mais aussi que le peuple coréen était libre et maître de lui-même, alors que le dernier roi de Joseon, quoique devenu la marionnette de Tokyo, gardait toujours le titre du roi.
Malgré l’adhésion de millions de Coréens à ce mouvement, il échoua à cause de l’oppression sanglante du Japon. Mais leur sacrifice ne fut pas vain. Les dirigeants de différents groupes indépendantistes décidèrent de créer un gouvernement provisoire à Shanghai en Chine.
La Constitution provisoire stipule les principes de base de la démocratie moderne, à savoir la souveraineté du peuple, la division des pouvoirs, l’État de droit et la protection des droits fondamentaux.
Le gouvernement provisoire de la République de Corée fut ainsi née. Comme régime politique, elle opta pour le régime présidentiel.
2. La naissance de la Constitution en 1948
C’est pour cette raison que la Constitution précise dans son préambule que la République de Corée est l’héritière légitime du gouvernement provisoire de Shanghai, créé sur l’esprit du mouvement indépendantiste du 1er mars 1919.
La première Constitution fut votée le 17 juillet 1948 par le premier Parlement de Corée du Sud constitué à l'issue des législatives qui avaient eu lieu environ deux mois plus tôt. Elle prévoyait que le président est élu au suffrage indirect à l’Assemblée nationale et la durée du mandat présidentiel est de quatre ans, renouvelable une fois. Rhee Syng-man fut élu comme premier président de la République le 20 juillet 1948 selon la procédure prévue par ce texte.
3. Rhee Syng-man fit réviser deux fois la Constitution pour rester à vie au pouvoir
Or, l’opposition remporta les législatives en mai 1950. Comme sa réélection devenait incertaine, Rhee fit adopter au Parlement le suffrage universel direct en juillet 1952. Avant cela, il avait fait arrêter des dizaines de députés de l’opposition.
Il prétendait que ces derniers étaient en communication avec des communistes d’autres pays alors que le pays était en plein milieu de la guerre de Corée(1950-1953). Ainsi, il réussit à se faire réélire lors de la 2e élection présidentielle du pays. Cependant, lorsque son deuxième mandat tirait à sa fin en 1956, il fit encore réviser la Constitution.
Le nouveau texte autorisait, exceptionnellement au premier président de la République, de se présenter à la présidentielle jusqu’à sa mort ! Par ce biais, il réussit à remporter son troisième mandat.
Mais en mars 1960, lorsqu’il falsifia les élections du président et du vice-président, des milliers d’étudiants et d’autres citoyens descendirent dans la rue le 19 avril 1960. Dans un premier temps, Rhee fit opprimer violemment les manifestants mais au bout d’une dizaine de jours, il jeta l’éponge, puis s’exila aux Etats-Unis avec sa femme américaine.
4. La 3e révision : Printemps de Séoul
Environ deux mois plus tard, le 15 juin 1960, l’Assemblée nationale vota la 3e révision de la Constitution reflétant plus amplement les aspirations du peuple pour une société plus libre et démocratique.
Il s’agissait de la première révision constitutionnelle effectuée légalement . Alarmé par l’obsession du président Rhee pour le pouvoir, les députés optèrent pour le régime parlementaire.
Le texte prévoit également une série de clauses visant à renforcer les droits fondamentaux, la division des pouvoirs et à garantir la neutralité politique des fonctionnaires et des policiers.
La 4e révision, votée en novembre 1960, permettait de punir de manière rétroactive des responsables des élections falsifiées de mars 1960 et des fonctionnaires corrompus.
5. Le général Park Jung-hee restaure le régime présidentiel
Le printemps de Séoul fut bien court. Le 16 mai 1961, le général Park Jung-hee entreprit un coup d’État. Il dissolut le Parlement avant de mettre en place le Comité de reconstruction du pays, composé de 32 membres. Cet organisme s’empara de tous les pouvoirs administratif, législatif et judiciaire.
En décembre 1962, ce comité tout puissant adopta le projet de la 5e révision de la Constitution. Le régime présidentiel fut restauré. Le président sera élu au suffrage universel pour un mandat de 4 ans renouvelable comme ce fut le cas de la première Constitution. Park Jung-hee fut ainsi élu nouveau chef de l’État en octobre 1963.
6. Park Jung-hee emboîta le pas à Rhee Syng-man
L’histoire se répète... Grâce au succès de sa politique économique, Park Jung-hee put être réélu pour son 2e mandat. Mais ce n'était pas assez pour lui. Il fit réviser la Constitution en 1969 pour accéder à un troisième mandat.
Pour adopter ce texte, il fit réunir, à la dérobée, les députés de son parti au Parlement à 2h du matin. En usant de tous les avantages dont il disposait en tant que président, il put se faire réélire pour la troisième fois en 1971.
Mais cette fois-ci, ce n'était pas une victoire aussi écrasante que la dernière fois. Son rival Kim Dae-jung remporta plus de 40 % des votes. Alors, Park décida d'instaurer un régime complètement totalitaire pour rester au pouvoir à vie comme l'avait tenté Rhee Syng-man.
Intermède : mes souvenirs liés à la révolution de juin 1987
J’avais l’âge du grand ourson, 8 ans, en juin 1987. Le solstice d’été s’approchait, les jours s’allongeaient. Il ne faisait pas encore trop chaud. Idéal pour s’amuser tard le soir avec mes copines du quartier !
Mais non, cette année-là, on devait souvent se réfugier à la maison en plein milieu de notre jeu à cause du gaz lacrymogènes, alors que notre quartier (là où j’habite encore) se trouve bien loin du centre-ville où avaient lieu des manifestations qui rassemblaient, chaque jours, des dizaines de milliers de citoyens.
Quelques jours après, le 29 juin 1987, mes parents nous rassurèrent que c’était bien fini et qu’on avait gagné : « On élira désormais nous-même notre président. Et il ou elle ne restera au pouvoir que pendant cinq ans. »
La 9e révision de la Constitution qui donna naissance à la Constitution actuelle, eut ainsi lieu.
Mais d’abord, revenons à l’année 1972, où le président Park Jung-hee réfléchit à des moyens lui permettant de rester au pouvoir à vie.
7. Park Jung-hee instaure un régime totalitaire (1972-1979)
A l’issue de l’élection présidentielle tenue en avril 1971, Park Jung-hee était fort inquiet. Certes, il put obtenir son troisième mandat présidentiel mais la concurrence fut rude face à son rival de l’opposition, Kim Dae-jung, qui remporta plus de 40 % des votes.
En plus, lors des législatives qui eurent un mois plus tard, l’opposition réussit à obtenir 89 sièges sur 204 de l’Assemblée nationale, nombre suffisant pour bloquer d’éventuelles tentatives de modification de la Constitution.
Sur le plan économique, la croissance basée sur les industries légères semblait s’essouffler. Il fallait trouver de nouveaux moteurs de croissance plus rentables…
La situation géopolitique était loin d’être rassurante. En 1971, le président américain Nixon avait annoncé le retrait des troupes américaines en Corée et entama une politique de détente vis-à-vis du bloc de l’est en visitant la Chine en 1972. Par ailleurs, la défaite du Vietnam du Sud semblait de plus en plus imminente.
Dans ce contexte difficile, Park Jung-hee croyait fermement que lui seul pouvait achever « les grands travaux de modernisation du pays ».
En octobre 1972, il finit par décréter l’état de siège avant de publier le projet de la nouvelle Constitution (la 7e révision), proclamée en décembre.
En un mot, le nouveau texte octroyait le plein pouvoir au chef de l’État, que ce soit législatif, administratif ou judiciaire et permettait à Park Jung-hee de rester au pouvoir à vie. Car, pour la présidentielle, le suffrage universel fut remplacé par l’élection indirecte au sein d’un comité supra-constitutionnel.
Le président de la République sera élu pour un mandat de six ans renouvelable à l’infini !
Le texte autorisait également au président à déclencher des mesures d’urgence susceptibles de porter atteinte aux droits fondamentaux des individus. De nombreux citoyens qui protestaient contre ce régime dictatorial furent arrêtés, torturés, voire exécutés arbitrairement en vertu de cette nouvelle Constitution.
Jamais le nom de la Constitution n’avait été aussi souillé depuis sa création en 1948.
Malgré tout, force est de reconnaître que Park accomplit de grands exploits, quasi miraculeux, sur le plan économique. Il tint sa promesse. Il mit en œuvre de nouveaux plans de développement économique, en investissant dans les industries lourdes et chimiques, telles que la sidérurgie, l’électronique, la machinerie, etc.
Les chiffres parlent d’eux-même. Par exemple, le PIB par habitant atteignit 1723 dollars en 1979 contre 84 dollars de 1961 l’année où il prit le pouvoir par le coup d’État du 16 mai et 324 dollars en 1972, au moment de l’adoption de la nouvelle Constitution.
Grâce à cette croissance rapide, il put investir massivement pour le développement et l’acquisition d’armes modernes pour réduire la dépendance vis-à-vis des Etats-Unis sur le plan sécuritaire. Il tenta même de développer des armes nucléaires.
Ainsi, aujourd’hui, chez les Coréens, sa contribution pour le développement sans précédent de la Corée, appelé « miracle du fleuve Han » fait presque l’unanimité. Mais l’opinion reste divisée sur certains moyens déployés par lui pour y arriver, en particulier, l’adoption de cette 7e révision de la Constitution.
Ce régime prit fin le 26 octobre 1979, avec l’assassinat de Park Jung-hee par l’un de ses proches, Kim Jae-gyoo, chef du service de renseignement.
8. Le général Chun Doo-hwan prend la place de Park Jung-hee (1980-1987)
A peine un mois et demi plus tard, le 12 décembre 1979, le général Chun Doo-hwan entreprit un coup d’État et infligea une répression sanglante contre les mouvements contestataires, notamment celui de Gwangju, qui avait éclaté le 18 mai 1980.
Ensuite, il mit en place un comité d’urgence tout puissant qui élabora une nouvelle Constitution, proclamée en octobre 1981. Par rapport à la précédente Constitution, elle était quand même beaucoup moins totalitaire.
Le président serait élu au suffrage indirect par un collège électoral pour un mandat de 7 ans non renouvelable. Le droit de déclencher des mesures d’urgence fut supprimé et le droit des citoyens de poursuivre le bonheur fut ajouté.
Pourtant, il restait encore plusieurs points à améliorer. Par exemple, le président gardait toujours le droit de dissolution du Parlement. Par ailleurs, le corps électoral constitué suite à l’adoption de la nouvelle Constitution fut rempli des proches de Chun Doo-hwan.
A l’instar de son prédécesseur, Chun Doo-hwan opprima les citoyens, surtout les jeunes étudiants, qui s’opposaient à sa politiques, en les taxant de « communistes » ou « traîtres du peuple ». Il exerça également un contrôle stricte sur les médias.
Or, la première et la deuxième partis de l’opposition réussirent à remporter 102 sièges sur 276 à l’assemblée nationale lors des législatives organisées en février 1985, malgré du sabotage persistant que le gouvernement déploya tout au long de la campagne électorale.
L’une des promesses électorales phares de l’opposition était de restaurer le suffrage universel direct à la présidentielle, ce qui nécessite une nouvelle modification de la Constitution.
Cependant, en avril 1987, alors que la présidentielle était prévue pour décembre, Chun annonça le report de la révision de la Constitution après les JO de Séoul de 1988.
Ce fut la goutte d’eau qui fit déborder la vase.
Les citoyens de tous les milieux se soulevèrent massivement en juin. Le 29 juin, le candidat du parti au pouvoir Roh Tae-woo annonça une série de mesures reflétant les revendications des manifestants. Nouvelle victoire du peuple qui signa définitivement la fin des régimes autoritaires !
3. La Constitution actuelle (1987- )
Ensuite, la nouvelle Constitution fut proclamée le 29 octobre 1987. Elle est notre Constitution actuelle. Le président sera désormais élu au suffrage universel direct, en un seul tour, pour un mandat de cinq ans non renouvelable.
Le droit de dissolution du président fut retiré et la censure des médias, interdite. L’audition parlementaire et la Cour constitutionnelle supprimées lors de la 5e révision par Park Jung-hee furent restaurés, la liberté de rassemblement, garanti, et le droit de protéger les défavorisés fut inclus.
En vertu de cette Constitution, un total de huit présidents furent élus jusqu’à présent, dont cinq présidents du camp conservateur et trois du camp progressiste.
De son côté, la Cour constitutionnelle fit abolir ou modifier des lois discriminatoires, telles que l’interdiction de l’IVG, le système de famille donnant plus d’avantages à l’aîné mâle de la famille, le crime d’adultère, etc.
En mars 2017, elle approuva la motion de censure contre la présidente Park Geun-hye, la fille de Park Jung-hee, déposée par le Parlement. Toute cette procédure de destitution se déroula de manière pacifique et parfaitement conforme à la… Constitution.
L’aventure palpitante de notre Constitution n’est pas terminée. On a lancé depuis quelques années le débat en vue de sa révision pour qu’elle puisse mieux refléter différents enjeux de la société sud-coréenne qui a évolué à la vitesse de la lumière depuis 1987.
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