L'histoire du hangeul

Portrait de Séjong et le préambule du premier manuel du hangeul 


« Le roi créa lui-même 28 nouvelles lettres»  

Les annales royales se contentent de cette phrase laconique pour expliquer le processus de la création du hangeul.

Rien de plus, alors que cette chronique officielle décrit, d’ordinaire, très en détail le déroulement des projets menés par le gouvernement, 

Cela laisse supposer que c’était  Séjong le Grand (1397-1450), le 4e roi de la dynastie de Joseon (1392-1910), qui inventa tout seul cet alphabet coréen phonétique.
Pourquoi Sejong entreprit-il ce méga projet qu’est la création d’un nouveau système d’écriture et ce, probablement sans l’assistance de ses chercheurs ? Et comment y arriva-t-il ?

Avant d’entrer dans le vif du sujet, je tiens à préciser que, le 9 octobre, désigné comme jour férié, célèbre non la date à laquelle le roi annonça sa création, soit le 30 décembre 1443, mais celle de sa proclamation officielle qui eut lieu le 9 octobre 1446. 

Entre ces deux dates, il fit traduire aux chercheurs royaux et à ses enfants quelques œuvres chinoises, créer des œuvres littéraires en hangeul et rédiger le premier manuel de ces nouvelles lettres.

1. Pourquoi Sejong le Grand inventa le hangeul ?

Statue de Séjong installé à la place de Gwanghwamun

Voici le préambule du 1er manuel du hangeul (훈민정음) écrit  par Sejong qui expose clairement la raison pour laquelle il entama ces gigantesques travaux. Ce livre est classé comme Mémoire du monde de l’Unesco.

Le préambule du premier manuel du hangeul 

« Puisque la langue du pays est différente de celle de la Chine,
ses sons et ses phrases ne correspondent pas aux caractères chinois.
C’est pour cette raison que de nombreuses personnes peu instruites n’arrivent pas à s’exprimer librement même quand elles en ont envie.
Pris de pitié pour elles, je crée ces 28 lettres,
Pour qu’elles les apprennent facilement pour ensuite les utiliser aisément dans leur quotidien et au-delà ! »

Ce qu’il faut retenir ici, c’est que le coréen et le chinois appartiennent à des familles linguistiques différentes. Ce qui fait que les deux langues diffèrent non seulement sur le plan phonétique mais aussi sur le plan syntaxique. 

Pour lire et écrire, il fallait donc apprendre une langue complètement étrangère ! Et la complexité des caractères chinois classiques ne facilitait pas cet apprentissage. 
En raison de cette difficulté, ces derniers restaient presque inaccessibles pour la plupart de la population. 

Pour Sejong, qui aima tendrement à la fois le peuple et la science, ce décalage entre la langue parlée et la langue écrite aurait été insupportable. 

Par exemple, très soucieux de garantir l’équité du procès pénal, il déplorait souvent ou bien que « les illettrés commettent des crimes à cause de l’absence de l’éducation » ou bien que les accusés peu instruits ne puissent pas se défendre comme il fallait « car ils ne pouvaient pas lire la loi ». 

Parallèlement à cela, se démarquer des savoirs importés de la Chine pour trouver des solutions plus adaptées à la réalité de la nation était son souci permanent, que ce soit pour l’astrologie, la musique, la défense, l’agriculture, la science ou la médecine. 

En effet, sa phrase favorite était « Puisque la Corée est différente de la Chine » comme on le voit au début du préambule. Il accomplit des exploits tout aussi remarquables que l’invention du hangeul dans bien d’autres domaines. 

C’est pour cette raison que, quand on apprend à l’école ce préambule, on souligne que le texte témoigne non seulement de l’amour profond que portait le « monarque saint »  à son peuple mais aussi de sa ferme volonté de manifester l’identité nationale.

Or, pourquoi mena-t-il ce projet qui revêt une importance si significative vraisemblablementà l’insu de ses chercheurs et courtisans ? Et comment put-il y réussir ? 

2. Création du hangeul : projet secret et familial ?

La série, "Séjong le Grand"

En annonçant la création du hangeul, en décembre 1443, Séjong le Grand provoqua une véritable tempête dans la cour. Nombreux furent ceux qui protestèrent vigoureusement contre la diffusion du hangeul, y compris des érudits du Jiphyeonjeon (집현전), une sorte d’institut de recherche royal à l’époque.

C’était parce que, entre autres, ils croyaient que l’idéal du confucianisme ne pouvait pas être exprimé correctement dans d’autres langues. Un peu comme le latin pour les prêtres catholiques d’autrefois. 

A mon avis, ils auraient également été peu enthousiastes à l’idée de partager le privilège d’accéder aux savoirs avec le reste de la population. 

Il est donc possible que Séjong, doté d’une clairvoyance hors norme, ait prévu par avance cette contestation.

Ainsi, aujourd’hui, certains historiens présument qu’il aurait inventé le hangeul en toute confidentialité.

Mais comment put-il y arriver ? 

Déjà, le monarque était un génie, un érudit hors pair dont le passe-temps préféré était les études. Il s’intéressait beaucoup à la phonétique chinoise et à d’autres langues. 
Ainsi, quand ses chercheurs dénoncèrent le nouveau système d’écriture phonétique, le royal linguiste avant l’heure put leur asséner avec dédain  : «Mais savez-vous au moins ce que ce sont les phonèmes ? » 

Ensuite, d’après certains documents de l’époque, il se serait fait assister par ses propres enfants, notamment les trois premiers princes et la seconde princesse. Tel père, tels enfants, ils étaient tous brillants !

D’après les mémoires écrits par les célèbres chercheurs de l’époque, Shin Sook-joo et Seong Sam-mun, le dauphin, qui devint plus tard le roi Munjong (문종), aida beaucoup son père dans cette entreprise alors que ce dernier souffrait d’une maladie. 

Par ailleurs, l’un des plus farouches opposants du hangeul, Choi Man-rin, se plaignit, dans une pétition, que le prince héritier « passe trop de temps pour l’étude du hangeul ». 
Selon le livre sur la généalogie de la famille Ahn, la princesse Jeong-eui (정의공주) qui s’est mariée avec un membre de cette famille, aurait « résolu des problèmes liés aux dialectes et de différents sons utilisé  par le peuple sur le terrain » à la demande de Séjong. Ce dernier fut tellement satisfait qu’il la couvrit de cadeaux.

Enfin, Séjong nomma le 2e prince qui devint le roi Sejo(세조) et le 3e prince Anpyeong(안평대군), comme responsables de l’office du hangeul. Ils participèrent également à la traduction de certaines œuvres chinoises en hangeul. Ce qui fait supposer qu’ils disposaient eux aussi d’une profonde connaissance sur le nouveau système d’écriture. 

3. La diffusion du hangeul 

Manuel du japonais en hangeul

Séjong réagit avec fermeté face à la protestation des aristocrates. Il fit arrêter ou destitua les opposants et ordonna aux chercheurs royaux et à ses enfants de traduire quelques œuvres chinois en hangeul, de créer des poèmes en hangeul et de rédiger le premier manuel du nouveau système d’écriture. 

Il mit également en place un organe officiel chargé de la diffusion du nouveau système d’écriture à travers le pays. Enfin, lors des concours des fonctionnaires, on testait aussi la maîtrise du nouvel alphabet. 

Grâce à ses efforts, le hangeul put être diffusé en un laps de temps relativement court et trois ans après sa proclamation, on découvrit un pamphlet, écrit en hangeul, dénonçant la corruption d’un ministre ! 

Sous le règne du célèbre tyran Yeonsangun (연산군, 1476-1495) , on assista à la  prolifération des pamphlets et des affiches qui fustigeait les écarts commis par ce dernier. Du coup, le roi alla jusqu’à interdire l’usage du hangeul. 

Comme le souhaita Sejong le Grand, les gens peu instruits pouvaient plus facilement s’exprimer en hangeul, s’échanger des lettres, écrire des poèmes, des romans, des manuels techniques, des pétitions en hangeul, voire des pamphlets critiques contre la Cour. 

Même à la Cour, les régentes écrivaient leurs ordres à l’adresse des ministres ou pétitions à l’adresse du roi en hangeul. Puis, les secrétaires les traduisaient en chinois pour les insérer dans les annales royales. 

Les hommes aristocrates, y compris les rois, malgré leur attitude souvent condescendante vis-à-vis du hangeul, l’utilisaient fréquemment pour écrire à leurs proches féminins ou à des roturiers même si on continua d’utiliser les caractères chinois pour la rédaction des documents officiels.

En 1894, grâce aux efforts des réformateurs, le hangeul fut désigné comme l’alphabet du pays qu’il faut utiliser pour la rédaction des documents officiels. 

Mais 16 ans après, le hangeul dut s’affronter à une grande épreuve, l’occupation japonaise… Comment les autorités coloniales ont réprimé le hangeul et le peuple coréen a-t-il pu surmonter cette crise ? 

4. Les chercheurs coréens s’efforcent de mondernier le hangeul au début du 20e siècle 

La série, "Mr.Sunshine"

A la fin du 19e siècle, le sort de la Corée était aussi précaire qu’ « une lanterne allumée dans le vent ». La série historique à grand succès Mister Sunshine (Netflix) décrit merveilleusement l’ambiance de cette triste époque. 

Hélas, la cour de Joseon (1392-1910) ne sut pas s’adapter à temps à la vague de la « mondialisation » qui déferlait dans le monde entier.

Depuis l’ouverture tardive de ses ports aux puissances étrangères en 1876, elle essaya quelques réformes pour devenir un pays moderne, mais c’était trop tard et le Japon en profita à fond pour avaler le pays du Matin clair…

Il n’empêche que le peuple coréen et une partie de la classe dirigeante étaient pleinement conscients du danger de l’interférence des étrangers ainsi que de la persistance du vieux système basé sur la hiérarchie.

La proclamation, certes tardive, du hangeul comme les lettres officielles du pays en 1894 témoigne de cette prise de conscience de la nécessisté de rappeler l’identité nationale. 

Deux ans après, en 1896, grâce aux efforts de plusieurs érudits, le premier journal écrit 100 % en hangeul, baptisé « 독립신문 » ou « Journal pour l’indépendance » vit le jour. 

Les rédacteurs du journal, notamment Ju Si-gyeong (주시경, 1876-1914), en profitèrent pour ériger des normes précises pour l’orthographe, la grammaire et les ponctuations du coréen. Car, comme le hangeul n’était pas les lettres officielles de l’État jusqu’en 1894, son usage différait selon les milieux sociaux ou régionaux. 

Ju Si-gyeong

Ju Si-gyeong poursuivit ces travaux jusqu’à sa mort en 1914, soit 4 ans après l’annexion de la Corée par le Japon. 

C’est par ailleurs lui qui donna le nom actuel de l’alphabet coréen « hangeul, 한글», qui signifie « grandes lettres » ou « lettres coréennes ».

Pour rappel, au moment de la création de ce système d’écriture, Séjong le Grand le baptisa « Hunminjeongeum, 훈민정음 », soit « les sons appropriés à l’instruction du peuple ». Mais il fut appelé longtemps plutôt « lettres roturières » par les aristocrates du pays. 

Enfin, Ju fonda l’Association académique de la langue nationale (국어연구학회) en 1908. Après le décès de Ju, ses collègues et disciples poursuivirent l’œuvre si bien entamée par Ju Si-gyeong, en donnant des cours de coréen, en publiant des périodiques et en rédigeant un grand dictionnaire de coréen. 

Association académique de la langue nationale

Cette organisation joua ainsi le rôle de l'Académie française pour le développement du hangeul. Mais contrairement à l'institut fondé par le cardinal Richelieu qui bénéficia du plein soutien du pouvoir en place, elle fit objet de persécution de Tokyo. 

Elle fut rebaptisée «  l’Association du hangeul » (한글학회) après la libération en 1945 et œuvre encore aujourd’hui pour la promotion du hangeul. 

4. Les autorités nipponnes persécutent le hangeul pendant l’occupation (1910-1945)

Or, les autorités nipponnes qui cherchaient obstinément à effacer l’identité nationale de la Corée, réprimèrent cette association en déployant tous leurs efforts contre la diffusion du hangeul pour imposer le japonais à toute la population. 

Les quatre décrets relatifs à l’éducation en Corée publiés par Tokyo montrent sans ambages cette entreprise sournoise de Tokyo.

Ils ordonnent en gros, d’abord de limiter, et ensuite interdire l’usage du coréen dans les écoles, de promouvoir plutôt des écoles techniques que des universités en vue de former de la main-d’œuvre que le Japon pourrait exploiter à bas prix ou même pour rien (c’est d’ailleurs ce qu’il fit), et de limiter puis interdire la création des écoles privées gérées par les Coréens qui risquaient de se montrer récalcitrants contre leurs consignes. 

Vers la fin de l'occupationn en 1942, les autorités coloniales finirent par dissoudre l’association, arrêtèrent et torturèrent ses membres. 

Or, ils étaient sur le point d’achever le premier grand dictionnaire du coréen… Il ne verra le jour qu’en 1957 en raison de la répression des Japonais et de la guerre de Corée (1950-1953) qui s’en suivit…

Malgré toutes ces dures épreuves, grâce aux efforts désespérés de ces chercheurs et la volonté du peuple de préserver notre langue, le hangeul put survivre. 

Aujourd’hui, le hangeul jouit d’une renommée mondiale pour son côté scientifique et pratique. Il joue également le rôle principal pour le rayonnement de la culture coréenne dans le monde entier.

Et comme nous l’a souligné notre amie Vannessa dans sa dernière publication, l’Unesco a classé comme Mémoire du monde le premier manuel du hangeul « Hunminjeongum » et octroie tous les ans le prix « Séjong » à des individus ou des associations qui ont contribué à la lutte contre l’illettrisme !

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