Tango et guitariste Ahn Hyung-soo



C’était à un bal de tango à Séoul que je l'ai rencontré pour la première fois. D’un air très timide, il m'a invité à une valse de tango.

Comme nous faisions partie du même groupe de tangon, j’avais plusieurs occasions de le revoir. 

Un club de tango argentin à Séoul 

Et parfois, après des bals, autour d’un verre de soju ou de vin, il nous racontait des bribes de son histoire. Une aventure musicale exceptionnelle d’un garçon, issu d’une famille si pauvre qu’ils n’étaient même pas en mesure de l’envoyer au collège ni au lycée. 

Le guitariste Ahn Hyung-soo est né au début des années 1960 dans un tout petit canton perdu au fin fond des montagnes situées près de la frontière intércoréenne. 

C’était grâce à la radio KBS de musique classique qu’il découvrit le charme du guitare. Tout en travaillant chez un barbier du coin dès l’âge de 12 ans, il apprit à jouer de cet instrument en empruntant la guitare à un de ses voisins. 


Heureusement, près de son canton se trouvait une caserne. Et ses clients-soldats lui apportaient des partitions au retour de leurs permissions qu'ils passaient dans des grandes villes. 

Pour réaliser son rêve de devenir guitariste, il partit ensuite pour la capitale pour y obtenir d’abord les certificats de fin d’études secondaires à l’issue des concours organisés par le gouvernement pour ceux qui n’ont pas pu suivre leurs études à l’école. 

Après son service militaire, il entra dans un atelier de fabrication de guitare où il continua de perfectionner son art avec d’autres apprentis. 

Enfin, en 1987, Ahn décrocha le grand-prix d’un concours organisé par l’association des guitaristes de Corée. Ce qui lui permit de poursuivre ses études à l’université, d’abord en Corée, puis au Conservatoire royal supérieur de Madrid à l’âge de 29 ans. 

Là-bas, il joua de la guitare dans un parc pour gagner de quoi vivre.

En 2001, il publia son premier album, joua avec l’orchestre de KBS, donna plusieurs concerts, ce qui lui procura une certaine notoriété. Le destin sembla enfin lui sourire avant qu’un malheur inattendu le frappât. 

Notre brave musicien renoncerait-il ou pas à son rêve ?


De retour en Corée en 1999, la vie semblait enfin lui sourire. Il donna plusieurs concerts, publia son premier album en 2001 et il allait se produire avec le célèbre chef d’orchestre sud-coréen, Gum Nan-se avec l’orchestre de KBS, lorsque sa main droite fut paralysée du jour au lendemain.

Grâce à sa persévérance et des traitements, il recommença, tout doucement, à jouer de petits morceaux. C’était alors que je l’ai rencontré à un bar de tango à Séoul en 2003. J’avais 24 ans et lui 37. 

En fait, c’était à peu près à cette époque que le tango argentin fut introduit en Corée du Sud. Plusieurs groupes de tango furent créés, on organisait des cours, invitait des danseurs de tango de Buenos Airs, partaient pour la capitale argentine pour apprendre cette danse, analysaient les morceaux de différents compositeurs de tango, apprenaient l’espagnol, organisaient des bals de tango, donnaient des spectacles dans les rues et discutaient des heures et des heures, après les bals, autour d’un verre de soju ou de vin, jusqu’à l’aube de cet art qui nous unissait si fort. 

Et lui, il travaillait depuis son retour à Séoul dans un petit restaurant français qui se trouvait au pied du mont Namsan, situé au coeur de Séoul. Il y jouait (il y joue encore aujourd’hui) de la guitare le soir. Et le matin, il allait chercher des fleurs au marché pour en décorer le restaurant. La patronne était de ses amis et appréciait elle-aussi beaucoup le tango et surtout sa musique. 

Ahn Hyung-soo jouant dans ce restaurant

Du coup, après la fermeture du resto (ici, c’est en général vers 21 h 30), il invitait souvent les membres de son groupe du tango dont je faisais partie pour y donner un mini-bal de tango. La patronne nous offrait du vin et des friandises et nous regardait danser avec un tendre sourire maternel aux lèvres. A la fin du bal, il offrait des fleurs du resto à des danseuses du groupe, un geste à la fois discret et galant qui nous flattait. 

En fait, il n’était pas un danseur extraordinaire. Mais quand on dansait avec lui, on comprenait bien vite qu’il s’agissait d’un musicien hors normes, comme il incarnait parfaitement la musique et d’un homme très attentionné, sans cesse à l’écoute de moindres mouvements et désirs de ses partenaires. 

Revenons à sa carrière musicale. A cause de sa maladie, il lui devint difficile de jouer pour de grands concerts. Il en «profitera » pour procéder à l’adaptation de nombreuses chansons coréennes, y compris des comptines pour enfants, de tango ou d’autres qui nous étaient familières et il organisa des petits concerts, plus proches des gens ordinaires, qui ne connaissent guère de grandes œuvres classiques. 

Il jouait également, une fois par semaine, comme bénévole auprès des malades incurables. Il y tenait et il me disait souvent qu’il apprenait beaucoup de ces patients. 
Et il se disait heureux (et ça se voyait) de pouvoir vivre de ce qu’il aimait ainsi que de pouvoir faire plaisir et donner espoir aux autres avec « sa petite musique ». 

Et quand il n’y en a plus, il n’y en a encore! Ce n’est pas la fin de son histoire. J’irai assister demain à son concert. Il avait formé, entre-temps, avec de jeunes artistes, le « Ahn Hyung-soo quintet » ! 

Peut-être, le sujet d’une autre publication, son concert?
Pour apprécier sa musique :
https://youtu.be/f7nCIyVeqrc
https://youtu.be/a3WL7VNCNto
https://youtu.be/7h9FGKlZxaM

Epilogue : Concert de Ahn Hyung-soo quintet


Le 29 janvier 2022, vers 15 h, je suis allée voir un concert de mon ami guitariste Ahn Hyung-soo.

Ahn Hyung-soo quintet est l’un des deux quintets qu’il avait créés. Le concert a eu lieu dans une petite galerie aménagée dans une superbe 한옥(hanok) ou maison traditionnelle coréenne.

Les musiciens jouaient de célèbres morceaux de tango. Et Ahn interpréta en solo « El dia que me quieras » de Carlos Gardel.

C’était la première fois que je le revoyais en 8 ans, comme j’ai arrêté de danser après mon mariage.

Après le concert, notre brave guitariste m’a accompagnée jusqu’à la station du métro Gwanghwamun.

Petit hanok où a eu lieu ce concert

Chemin faisant, il m’a raconté brièvement ce qu’il avait vécu depuis notre dernière entrevue. Sa main droite a fini par guérir tant bien que mal. Il lui était cependant difficile de renouer avec la carrière d’un grand virtuose. Il a néanmoins monté différents projets musicaux, formé deux quintets qui portent son nom et a donné de petits concerts avec eux non seulement à Séoul mais aussi en province et parfois à l’étranger.

A mon tour, je lui ai montré les photos de mon mari et de mes oursons ainsi que les publications que j’ai postées sur lui. J’en ai profité pour lui transmettre les meilleurs vœux de certains d’entre vous, ce qui lui a fait un immense plaisir.

Il n’avait pas changé, toujours heureux de pouvoir vivre de ce qui lui plaît le plus au monde, jouer de la guitare, même si ce n’était pas la gloire à laquelle il aurait pu accéder sans sa maladie.

Sous la belle lumière typique de fin janvier de Corée, il gardait toujours ce petit sourire tendre et discret, tout aussi rayonnant que le soleil qui se dirigeait tout doucement vers l’ouest.

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