Cet ennemi juré de l’impératrice Ki était également l’un des rares rois qui aimaient passionnément leur épouse légitime. Son amour absolu pour la princesse mongole, Noguk, finira par le perdre, et avec lui, le dernier espoir de la dynastie de Goryeo… (918-1392)
1. Prélude : début de l’ère de l’intervention mongole (1259-1356)
Goryeo lutta farouchement pendant environ 30 ans contre les Mongols qui l’avaient envahi à plusieurs reprises depuis 1220. En 1259, cependant, la Cour de Goryeo fut obligée de signer un traité de paix avec l’armée la plus puissante au monde de l’époque.
Cependant, grâce à sa résistance qui dura si longtemps, l’empereur mongol Kubilai promit de conserver le trône coréen et de « ne pas toucher les coutumes du pays 불개토풍(不改土風)».
Il maria l’une de ses filles avec le prince héritier de Goryeo qui devint le roi Chungryeol. Ses successeurs lui emboîtèrent le pas et tous épousèrent une princesse mongole jusqu’au roi Gongmin. Et cette princesse-là est notre héroïne du jour, la princesse Noguk.
Pour en savoir plus sur la résistance de Goryeo face à l’invasion mongole : https://ours15.blogspot.com/.../goryeo-face-aux-invasions...
2. A la Cour de l’impératrice Ki
La série : "L'impératrice Ki" |
Bien sûr, ce traité contenait aussi des clauses humiliantes pour Goryeo, On dut envoyer un lourd tribut, y compris des femmes et des eunuques, laisser une partie du territoire du Nord sous le contrôle des Mongols, envoyer des princes comme otages à la Cour des Mongols, et j’en passe.
C’est dans le cadre de cet accord qu’une belle fille coréenne de la famille Ki fut envoyée à la Cour mongole avec d’autres Coréennes aux alentours de l’an 1330. Elle reçut les faveurs de l’empereur Togon Temür, donna son premier fils à ce dernier et fut promue comme 2e impératrice en 1340.
Pour l’histoire réelle de l’impératrice Ki : https://ours15.blogspot.com/.../lhistoire-reelle-de...
C’est à peu près à ce moment-là, en 1341, que le jeune prince Gangreung, futur roi Gongmin, alors âgé de 11 ans, rejoignit la Cour de Togon Temür. Il était le petit frère du roi de Goryeo à l’époque, le roi Chunghye (충혜왕, 1315-1344). Il y restera pendant dix ans.
Mine de rien, l’adolescent observa attentivement ce qui se passait autour de lui. Il constata plusieurs signes du déclin de l’empire, comme les officiels corrompus, l’effondrement de l’économie, ou des soulèvements des peuples dominés, notamment les Hans.
Entre-temps, à Goryeo, le roi Chunghye fut destitué en 1344 pour sa conduite trop tyrannique et violente. Le prince Gangreung aurait sans doute bien voulu succéder à son frère aîné.
Mais ce sont les deux jeunes fils de Chunghye, donc ses neveux, qui prirent successivement la couronne en 1344 et en 1348 respectivement à l’âge de 8 ans et 11 ans.
C’est en grande partie parce que l’épouse du roi déchu, une princesse mongole, voulut rester au pouvoir en tant que régente, alors que la mère du prince Gangreung était Coréenne, et donc, elle avait moins d’influence.
3. Mariage avec la princesse Noguk et retour à Goryeo
La série ,"Shindon" |
Probablement pour surmonter ce point faible, le prince Gangreung se maria, lui aussi, avec la princesse mongole Noguk, une cousine lointaine de l’empereur, en 1349. Ainsi, on peut présumer qu’au départ, c’était plutôt un mariage de raison.
Cependant, le jeune marié tomba fou amoureux de la belle princesse intelligente et vaillante qui avait un grand cœur et qui, avant tout, l’aima, elle aussi, passionnément.
Or, en 1350, une nouvelle chance se présenta pour notre héros du jour. La régente mongole de Goryeo retourna à son pays alors que Goryeo faisait face aux invasions fréquentes des Turbans rouge (rebelles chinois les plus puissants de l’époque qui finirent par repousser les Mongols de la Chine) et aux pirates japonais. Le roi coréen, alors âgé de 13 ans, privé de sa tutelle puissante, n’était pas en mesure de relever ces défis. Les courtisans demandèrent ainsi à l’empereur de nommer le prince Gangreung comme nouveau roi.
Ainsi, en 1351, le jeune prince, désormais devenu le roi Gongmin, fit un retour triomphal à la Cour de Goyreo avec son épouse bien-aimée.
4. Le roi Gongmin fait face à multiples défis
Le film, "A Frozen Flower" |
Mais une fois arrivé au trône tant rêvé, le roi Gongmin dut faire face à la dure réalité de son royaume.
A part les tentatives d’invasion tenaces des rebelles chinois et des pirates japonais, les nobles pro-mongols s’enrichissaient en exploitant à fond le pauvre peuple coréen. Ils étaient un véritable fléau comme ces collaborateurs qui vendirent sans vergogne le pays et ses compatriotes aux Japonais pendant l’occupation nipponne (1910-1945).
Les plus puissants et corrompus d’entre eux étaient les frères de l’impératrice Ki. Ils jouissaient d’un pouvoir supérieur à celui du roi.
Puis, il fallait s’attaquer à la source du mal : l’interférence des Mongols dans les affaires de Goryeo qui durait depuis plus de 80 ans.
Gongmin envisagea également d’entreprendre un vaste plan de réformes à tous azimuts, politique, fiscale, économique et militaire pour stabiliser la vie du peuple.
Comment le jeune roi pourrait relever tous ces immenses défis ? Sa femme mongole qu’il adorait ne l’empêcherait-elle pas d’aller jusqu’au bout de sa campagne contre son pays natal ?
Intermède
Les frères de l’impératrice Ki étaient inquiets. Le jeune roi, du haut de ses 20 ans, semblait résolu à en finir avec l’influence mongole, la source de leur pouvoir tout puissant. En effet, la première chose que Gongmin fit de son retour en Corée, c’est d’interdire la coiffure et l’habillement mongols qui étaient très à la mode à l’époque.
Par précaution, ces nobles pro-mongols auraient bien voulu le remplacer par un roi plusl docile par le biais de leur sœur.
5. Couple amoureux
Or, ils se heurtèrent à un obstacle inattendu. La princesse mongole, Noguk, que le roi avait épousée à Pékin aimait passionnément son mari. Tout ce qui était cher au roi l’était pour elle, en particulier la Corée et son peuple. Elle se mit donc ouvertement en première ligne dans la campagne anti-mongole de son époux.
Armée de volonté de fer et de sens pratique, elle était également un grand appui psychologique au roi Gongmin qui était un homme d’une grande sensibilité. Fin connaisseur en art, il pratiquait lui-même la peinture et le goemungo, une espèce de sitar traditionnel coréen.
Son séjour à la Cour de l’empire en tant qu’otage, puis à celle de Goryeo, toutes débordant d’embûches et de trahisons, avait sournoisement sapé ses nerfs délicats d’artiste. L’amour inconditionnel de sa femme lui permit de maintenir le cap dans ses gigantesques projets de réformes.
Enfin, la reine était aussi une femme très vaillante. Un soir, lorsque le couple royal séjournait dans un temple bouddhiste, l’un des proches du roi entreprit un coup d’État et encercla le temple avec ses hommes armés. Pris au dépourvu, il se cacha dans la chambre de sa mère après avoir déguisé son valet en roi.
Lorsque les rebelles fouillèrent partout le temple pour trouver le roi, la princesse resta assise devant la porte de cette chambre et les empêcha d’y entrer. Entre-temps, ils trouvèrent le faux roi, lui tranchèrent le cou en le croyant leur cible avant de se retirer. Ils furent bientôt neutralisés par l’armée régulière.
Ces attraits ne firent que renforcer, d’année en année, l’amour du roi pour son épouse jusqu’à ce qu’il frôlât la folie. Il lui donna un petit nom, « Gajin », qui signifie « Beau bijou ». Il n’avait l’œil que pour son trésor unique.
Malheureusement, elle fit fausse couche au début de leur mariage. Puis, elle n’arriva pas à avoir d’enfant pendant longtemps. Du coup, le roi fut obligé de prendre une concubine pour assurer la descendance. Ce fut un drame pour le couple si solidement uni ! Monsieur se confondit en excuses mais madame bouda pendant plusieurs jours en refusant de boire et de manger.
Le mari lui aurait sans doute promis de déserter la couche de sa rivale. Car elle finit par reprendre de la nourriture. Et la malheureuse concubine ne tombera jamais enceinte.
6. Gongmin met fin à l’ère d’intervention mongole en 1356
En 1356, se sentant de plus en plus menacés, les frères de l’impératrice Ki montèrent un complot qui consistait à faire annexer Goryeo comme une simple unité administrative de l’empire mongol.
Mais le roi les prit de court. Il organisa un grand banquet en l’honneur de la famille Ki, puis, dès que ses invités eurent franchi le seuil du palais, ils furent décapités un par un. Le peuple exulta suite à l’extermination de ces vendeurs du pays cupides.
Dans la foulée, il reconquit la partie nord-est du pays encore contrôlée par les Mongols. Cette victoire signa la fin de l’ère de l’intervention mongole débutée en 1259 (ou 1273) par la capitulation de Goryeo.
7. Rencontre avec Yi Seong-gye
Ce qu’il faut noter dans cette opération, c’est qu’un seigneur obscur de cette province frontalière apporta une précieuse collaboration. C’était le général Yi Ja-chun(이자춘,1315-1360), l’arrière-grand-père de Séjong le Grand (세종대왕, 1397-1450).
A cette occasion, Sa Majesté fit également connaissance avec le fils de cet aristocrate, un certain Yi Seong-gyeo (태조 이성계, 1335-1408). Rencontre fatale pour les descendants de Gongmin et sa dynastie… car ce n’était rien d’autre que le futur fondateur de Joseon (1932-1910).
Il était alors un jeune officier prometteur âgé de 22 ans. Le roi Gongmin remarqua ses talents militaires hors normes et fit appel à lui plusieurs fois pour repousser les envahisseurs. Yi Seong-gyeo ne perdit aucune bataille et devint le héros national incontournable.
Y compris lors de la nouvelle tentative d’invasion des Mongols en 1364. L’impératrice Ki voulut se venger du sang de ses proches en mettant au trône un prince de Goryeo qui vivait sous sa protection dans l’empire. Mais la force mongole fut pulvérisée dès qu’elle eut franchi la frontière par l’armée coréenne dirigée par Yi Seong-gyeo.
7. Disparition de la princesse Noguk et montée en puissance du moine Shindon
Un an après cette victoire écrasante, un grand malheur frappa le couple amoureux. La princesse Noguk, enfin enceinte de nouveau, décéda en accouchant, ainsi que le nouveau né en 1365, soit 17 ans après leur mariage.
Je vous fais grâce de la description du choc dans lequel la mort de sa bien-aimée jeta le roi Gongmin. Il fit mettre partout des portraits de sa défunte reine, parla avec ses portraits même en prenant des repas…
Lui, qui était si économe du vivant de la reine, ruina les finances d’État pour la construction d’un immense sanctuaire dédié à la princesse Noguk.
Pourtant, au début de son deuil, il fit preuve de sa volonté de poursuivre ses réformes visant à améliorer la vie du peuple. Il confia les pleins pouvoirs à un moine révolutionnaire qui s’appelait Shindon.
C’était l’enfant naturel d’une esclave qui travaillait dans un temple bouddhiste et d’un aristocrate. Il fut élevé dans le temple comme moine et étudia avec des livres qu’il empruntait ou volait chez ses fidèles.
Il rencontra le roi Gongmin vers 1345 et lui donna de temps à autre des conseils pour ses réformes. Mais en raison de l’opposition de la classe dirigeante qui méprisait Shindon pour sa naissance vile, le roi ne put lui donner un poste à la Cour.
Cependant, après la mort de son épouse en 1365, las de toutes les affaires d’État, le veuf royal donna plein pouvoir à Shindon et sombra à sa guise dans les souvenirs de sa bien-aimée.
Le moine entreprit tout de suite une série de réformes audacieuses. Il confisqua les terres dont les aristocrates s’étaient emparés illégalement afin de les restituer à leurs propriétaires initiaux et libéra de nombreuses personnes devenues esclaves contre leur gré.
En parallèle, il embaucha de nombreux jeunes lettrés confucianistes, souvent issus de la petite noblesse pour contrebalancer les aristocrates puissants au pouvoir.
Pourtant, Shindon s’engagea vite dans le chemin de la déchéance, ce qui arrive souvent lorsque trop de pouvoir est confié à de faibles mortels. Il s’enrichit et accumula de nombreuses maîtresses. La noblesse en profita pour lancer une contre-offensive d’envergure. Le roi lui-même finit par se sentir menacé devant les comportements de plus en plus insolents de son bras droit. En 1371, Shinon fut décapité.
8. Chute d’un grand roi
Après la liquidation de Shindon, le roi sombra dans la débauche. Il embaucha de beaux jeunes garçons comme « gardes du corps ». Il passa son temps à boire et à faire d’autres choses avec ses mignons, parfois en compagnie des servantes de la Cour. Il alla même jusqu’à forcer ses concubines de les rejoindre dans leurs jeux dangereux malgré leurs protestations farouches. Mais lui-même ne toucha jamais ses maîtresses attitrées…
Or, le 22 septembre 1374, l’un des favoris du roi se vanta d’avoir engrossé une de ces concubines. Son ami le dénonça auprès du monarque qui était ivre mort. « Je vais le tuer. Et je te tuerai toi aussi car tu es au courant de l’affaire. », répondit-il.
Pris de panique, cet ami alla avertir le favori en question et les deux poignardèrent leur maître. Le roi Gongmin s’éteignit sur le champ et avec lui, le dernier espoir de Goryeo(918-1392).
Il fut enterré à côté de sa bien-aimée éternelle…
9. Epilogue
Malgré sa répugnance contre les liaisons extraconjugales, Gongmin laissa néanmoins un fils naturel. C’est l’une des nombreuses maîtresses de Shindon, qui s’appelait Banya, qui le lui avait donné. Elle ressemblait beaucoup à la princesse Noguk. Comme le roi n’eut pas d’autre enfant, ce fils unique lui succéda à l’âge de 9 ans et devint le roi Woo (우왕, 1365-1389).
Mais nombreux étaient ceux qui murmuraient : « Comment peut-on être sûr que c’est le fils du roi puisque sa mère était aussi maîtresse de Shindon ? »
Le général Yi Seong-gyeo, dont la côte de popularité ne cessa de grimper plus haut que le ciel grâce à ses victoires successives contre toutes sortes d’envahisseurs, ne manquera pas d’exploiter cette rumeur…
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