La série, "Shindon" |
Drôle de destin pour une reine qui survivra à la fin chaotique de la dynastie de Goryeo (918-1392). Jeongbi de la famille Ahn (정비 안씨, vers 1350-1428), la 4e épouse du roi Gongmin, signera l’acte de décès du royaume prédécesseur de Joseon. Voici son histoire qui résume également la situation de l’une des époques de l’histoire de Corée les plus mouvementées.
1. Petit rappel de la vie du roi Gongmin
Le roi Gongmin (공민왕, 1330-1374) de Goyreo aima passionnément sa femme, la princesse Noguk (노국공주,1334-1365), avec qui il se maria en 1350 lorsqu’il séjournait comme otage à la Cour des Mongols.
De retour à Goryeo comme nouveau souverain, il réussit à liquider des nobles pro-mongols, notamment les frères de l’impératrice Ki. Dans la foulée, il réussit à retrouver une partie du territoire située au nord-est du pays occupé par les Mongols. Il mit ainsi fin à l’ère d’intervention mongole. Son épouse lui fut d’un soutien solide tout au long de ce processus.
Le seul souci de couple solidement lié était que la reine n’arriva pas enfanter. Enfin, en 1365, elle tomba enfin enceinte mais décéda avec le nouveau-né suite à un accouchement difficile.
Entre-temps, le roi avait pris, en 1361, une seconde épouse sur la demande de sa mère. Mais comme il ne lui accorda aucune attention, elle ne sera jamais enceinte.
Le roi eut néanmoins un fils naturel en 1365 suite à ses liaisons avec une servante de son premier ministre tout puissant de l’époque, le moine Shindon. Car, cette fille, qui s’appelait Banya, ressemblait beaucoup à la princesse Noguk. Pourtant, la reine-mère rechigna à le reconnaître comme prince.
2. Jeongbi entre à la Cour comme 4e épouse du roi
Le film, "A Frozen Flower" |
Ainsi, en 1366, la Cour l’obligea à épouser deux autres femmes, dont l’une est notre héroïne du jour, Jeongbi de la famille Ahn.
Soit dit en passant, la plupart des historiens s’accordent à présumer que la société de Goryeo était monogamique. Seuls les rois pouvaient prendre plusieurs épouses contrairement à ceux de Joseon (1392-1910).
Par ailleurs, la distinction juridique entre les épouses et les concubines n’était pas aussi stricte qu’à l’époque de Joseon. Cependant, pendant l’époque de l’intervention mongole, où les rois se marièrent avec des princesses mongoles (1259-1356), ces dernières étaient considérées comme numéro un, placées au-dessus des autres épouses coréennes. C’est pour ça que j’ai utilisé le mot « concubine » dans ma précédente publication sur le roi Gongmin.
Revenons à notre histoire. Même après son nouveau mariage, le roi ne changea pas. Il continua de délaisser la couche de ses trois femmes, préférant passer du temps avec les portraits de sa défunte reine. Privée de l’amour de son mari, Jeongbi aurait pourtant pu avoir une vie certes solitaire mais assez correcte en tant qu’épouse du roi.
Mais quelques mois après son mariage, son père, Ahn Geuk-in, qui occupait un poste important à la Cour, fut sanctionné pour avoir proposé l’arrêt de la construction d’un sanctuaire somptueux que le roi voulait dédier à son éternelle bien-aimée. Jeongbi fut elle aussi mise à la porte.
Le film, "A Frozen Flower" |
Elle put revenir à la Cour quelques années plus tard mais elle dut bientôt faire face à une humiliation inouïe pour une reine. Car en 1372, le roi créa une équipe de gardes de corps. Il choisit des beaux garçons issus des familles illustres et sombra dans la débauche avec eux. Il voulut que ses femmes participent elles aussi à ses bacchanales et que ses mignons couchent avec elles devant ses yeux. Jeongbi se révolta avec une telle virulence qu’elle parvint à échapper à cette infamie : elle se défit les cheveux, se noua une corde autour du coup et menaça de se pendre sur le champs pour peu qu’on ne la touche.
Malheureusement la 3e épouse, Ikbi, ne put se défendre jusqu’au bout et tomba enceinte. Le père du bébé était Hong Ryung, l’un des favoris du roi. Ce dernier s’en vanta à un collègue, qui le dénonça ensuite à Gongmin. Or, le roi, ivre mort à ce moment-là, jura qu’il tuerait Hong et le dénonciateur. Paniqués, les deux assassinèrent le souverain la nuit même. C’était en 1374. Le roi avait 44 ans.. Cette anecdote inspira le film « A Frozen Flower».
3. Jeongbi fut aimé par son beau-fils, le roi Woo
Conformément au vœux du roi Gongmin, son fils naturel, Wang Woo, alors âgé de 9 ans, accéda au trône. On l’appelle le roi Woo (우왕, 1365-1390). Pour le protéger, le défunt roi avait désigné son bras droit, Lee In-im, comme tuteur. La mère du roi Gongmin devint la régente.
Cependant c’était plutôt Lee In-im (이인임, 1311-1388) qui exerça une immense influence sur le roi. Il en profita pour s’emparer illégalement des terres des pauvres paysans. Ses proches lui emboîtèrent le pas. La vie du peuple devint irrespirable. Par ailleurs, comme ces nobles ne payaient pas d’impôt, les finances de l’État s’épuisèrent à vue d’œil.
De son côté, le roi Woo devint adolescent gâté, car pour le désintéresser de la politique, Lee In-im essaya de satisfaire ses moindres désirs. Or, la femme qu’il préférait, c’était Jeongbi, notre pauvre reine qui était la 4e épouse de son père. Il se plaignait publiquement « pourquoi parmi mes épouses et concubines, il n’y en a pas une seule qui vaut madame ma mère ».
Le jeune roi venait la voir jour et nuit, ce qui donna lieu à des ragots sur une éventuelle liaison incestueuse. Jeongbi essaya de l’éviter le plus possible en prétextant de fausses maladies ou autres. Elle en vint même à marier une de ses nièces avec le roi.
Malgré ce harcèlement de la part de son beau-fils, elle devint la numéro un parmi les membres de la famille royale en 1780 suite au décès de la mère du roi Gongmin. Car les autres épouses du roi étaient devenues toutes devenues moines ou étaient décédées.
4. Yi Seong-gye destitue le roi Woo par un coup d’État
En 1388, le roi Woo, désormais devenu un adulte de 23 ans, commença à en avoir assez des abus de son tuteur corrompu. Assisté par le général Choi Young (최영,1316-1388), le numéro un de l’armée, et d’autres officiels qui aspiraient à réformer la classe dirigeante corrompue, le roi Woo exila Li In-im et ses proches. Yi Seong-gyeo (태조 이성계,1335-1408), le général le plus influent après Choi Young de l’époque, y joua également un rôle important. Le futur fondateur de Joseon put ensuite obtenir un post important à la Cour.
Quelques mois après, en 1388, le roi, sur proposition du général Choi, ordonna à Yi Seong-gye d’attaquer Liaodong. Or, la nouvelle dynastie chinoise des Ming venait de s’emparer des Mongols de cette péninsule située près de la frontière ouest coréano-chinoise. D’abord, Yi s’y opposa jugeant peu probable de battre l’armée la plus puissante de l’époque dans la région. Mais le roi et le général Choi insistèrent.
Yi finit par diriger l’armée jusqu’à la frontière. Mais juste avant de la franchir, il fit reculer ses troupes vers la capitale. Le général Choi y était resté avec le roi Woo. Yi Seong-yeo s’empara du pouvoir. Le général fut tué et le roi Woo, destitué. C’est ce qu’on appelle « Le retrait de Wihwado ». Je reviendrai plus tard sur cet évènement crucial qui ouvrit la voie à la fondation de Joseon.
Jeongbi, en tant que reine douairière, décréta l’acte de la destitution de son beau-fils qui l’adorait.
C’est le fils du roi Woo, Wang Tchang, alors âgé de 8 ans, qui succéda à son père. Les proches de Yi, notamment Jeong Do-jeon(정도전, 1342-1398), furent nommés à des posts clés à la Cour. Ils étaient des jeunes officiels déterminés à réformer le système de l’État pourri de Goryeo, Leur premier objectif fut de confisquer les terres occupées illégalement par des nobles pour les redistribuer ensuite aux roturiers. Ils invoquèrent le néo-confucianisme comme fondement de leur idéologie.
Comme leurs propositions étaient trop révolutionnaires pour l’époque, de nombreux aristocrates se montrèrent réticents à leur projet. Certains d’entre eux se sentirent menacés et essayèrent de liquider Yi Seong-gyeo et ses proches, mais en vain.
Entre-temps, le roi Woo exilé, tenta de retrouver son trône. Ce complot fut vite déjoué. Dans la foulée, Yi Seong-gyeo fit destituer le roi Tchang, le fils du roi Woo. Pour justifier leur acte, Yi et son état-major prétendirent que le roi Woo était le fils de Shindon et non pas du roi Gongmin, C’était en 1389.
Une nouvelle fois, Jeongbi fut appelée à proclamer le décret de cette destitution.
5. Jeongbi signe l’acte de décès de Goryeo
Enfin, en 1389, Yi Seong-gyeo mit au trône un lointain cousin du roi déchu, le prince, Wang Yo. Il devint le roi Gongyang (공양왕, 1345-1389). C’était un roi fantoche, alors que Yi Seong-gyeo jouissait d’un pouvoir quasi total. Yi Seong-gyeo aurait voulu que le roi Gongyang lui cède le trône après avoir passé un délai décent. Mais, il se heurta à un autre obstacle.
C’était Jeong Mong-ju, l’un des ministres les plus puissants de l’époque. Jeong était, jusque là, un fidèle allié de Yi Seong-gye, Dignitaire confucianiste érudit, il était bien d’accord avec la nécessité de la réforme. Mais lui, il voulut rester fidèle à Goryeo et incita le roi Gongyang à liquider le camp de Yi Seong-gyeo. Mais c’était trop tard... Il finit par être assassiné par Yi Bang-won, le 5e fils de Yi Seong-gye et le futur roi Taejong.
Peu de temps après, les officiels pro-Yi se ruèrent vers le pavillon de Jeongbi, lui demandèrent de rédiger un décret officialisant l’abdication du roi Gongyang et la nomination de Yi Seong-gyeo comme nouveau monarque. Elle n’eut pas d’autre choix que de signer cet acte de décès de Goryeo.
Elle avait à peu près 42 ans. Elle vivra encore 36 ans de plus, jusqu’à la 6e année du règne de Séjong le Grand (1428), qui est le 4e roi de Joseon. Les rois de Joseon se montrèrent reconnaissants envers cette collaboratrice précieuse malgré elle. Yi Seong-gyeo, désormais le roi Taejo, lui rendit visite de temps à autre avec son épouse. Le roi Taejong (Yi Bang-won) lui offrait des cadeaux et Séjong le Grand fit en sorte qu’elle put être enterrée comme une reine.
* "My Country" et "Six Dragons Flys" ainsi que le film "A Frozen Flower" traitent cette époque mouvementée.
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