La plus ancienne lettre privée écrite en hangeul en 1490


Voici un résumé d’une lettre d’un officier militaire aristocrate à son épouse. Il s’agit de la plus vieille lettre écrite en hangeul qui existe encore aujourd’hui. 

Ce document fut découvert en mai 2012 alors que les descendants de l’auteur, Na Seon-gil, déménageaient les tombeaux de leurs ancêtres.

Un véritable « daebak » (대박, grand coup de chance) pour les historiens et les coréanologues d’autant plus que dans ce tombeau, se trouvaient environ 150 articles que la famille en question utilisait dans la vie quotidienne, tels que des vêtements, des chaussures et des accessoires, tous conservés presque intacts grâce à l’architecture ingénieuse du tombeau. 

Les deux lettres de Na Seon-gil ainsi découvertes furent désignées comme trésors nationaux en mars 2023. 

Ce document montre bien, entre autres, que le hangeul, créé en 1444 et proclamé en 1446 par Séjong le Grand, fut vite installé dans la vie quotidienne du peuple. Contrairement à l’idée fixe largement répandue, ce nouveau système d’écriture phonétique était également souvent utilisé non seulement par les femmes et les roturiers mais aussi par les hommes aristocrates, y compris les rois. Je vous présenterai, dans ma prochaine publication, une lettre écrite par le roi Jeongjo (정조, 1752-1800) à une de ses tantes quand il avait quatre ans. C’est trop mignon, l’écriture et le contenu ! 

Mais d’abord, voici la traduction d’un résumé de la lettre du jour et l’explication de son contexte. Le texte original est trop long et rempli de détails techniques sur la gestion d’une famille noble. 

1. Le résumé de la lettre

Chérie, j’ai bien reçu les lettres de notre famille que tu m’avais envoyées. 

Ma très chère, je t’en prie...Ne travaille jamais dans les champs et fais cultiver à des métayers nos terres. Ne cède jamais même si ces derniers te demandent de le faire avec eux. 
Parce que je ne veux absolument pas te voir souffrir à cause des durs travaux des champs. 

* Il paraît que lorsque le chef de famille n’était pas là, le personnel de la maison était souvent peu respectueux avec leur patronne. Car on retrouve souvent ce genre de recommandation dans des lettres écrites par les hommes nobles à leur femme. 

Pour le bêchage, tu demanderas de l’aide à Gisae (nom d’un serviteur). Et une fois terminée cette opération, envoie-moi Sunwon (nom d’un autre serviteur). 

J’ai acheté un peu de produits cosmétiques et six aiguilles pour toi. Je te les envoie avec cette lettre.


Que vous me manquez, toi et nos enfants ! Mais notre patron nous a interdit de prendre des congés alors que lui, il les a bien pris !! Que je souffre de cette injustice…  

Mais tu sais, comme je suis militaire, je ne peux pas faire librement ce que je veux. Si je vais vous voir sans autorisation de mon supérieur, le ministère de la Défense viendra me chercher pour ensuite me mettre dans la prison pour désertion. 

Ce qui est encore lamentable, c’est que je suis affecté à la province de Hamgyeong (province située au nord-est de la péninsule, région frontalière avec des tribus de Jurchens (futurs Manchous) ! Ca ne doit pas rigoler, là-bas…

Enfin, demande à mon frère de payer les impôts perçus sur nos terres. Et prépare par avance des tributs à rendre au gouvernement. N’oublie pas non plus de pilonner du riz. Et confie à Noksong (encore le nom d’un serviteur) toutes les tâches liées à la cuisine car il est bien intelligent. 

Prends bien soin de toi et de nos petits. Je vais essayer d’aller vous voir en automne de l’année prochaine. 

J’attends ta réponse avec impatience. 

Ton mari… 

2. Le contexte de la lettre

Na Seon-gil, officier militaire issu d’une famille noble, faisait son service dans la province de Chungcheong, situé dans le centre du pays, auprès de ses proches. Tranquille, car il était bien loin de la frontière du nord où les tribus des Jurchens (futur Manchous) franchissaient parfois la frontière pour piller les habitants de la région. 

Or, en 1490, le roi de l’époque, Seongjong (성종, 1457-1495), ordonna d’affecter plus de militaires au nord pour assurer de manière plus intensive la sécurité des habitants de la région en question. En effet, c’était l’un des plus grands rois qui ne CESSAIT de se soucier de la vie du peuple. 

Mais ce dispositif basé sur l’amour d’un monarque pour ses sujets était un coup de tonnerre pour les militaires qui s’acquittaient tranquillement de leur service militaire à l’arrière du front, dont notre héros du jour. Et le chef de sa troupe lui refusa même d’aller dire au revoir à sa famille avant de partir  ! De là où il travaillait à son nouveau lieu d’affectation, il fallait marcher pendant plus de trente jours. 

La destinataire de la lettre semble avoir gardé précieusement ce document, car, elle était pliée avec soin et l’état de sa conservation était étonnamment impeccable lorsqu’elle fut découverte. 

Note : La source du résumé de cette lettre et de l’explication de son contexte est un livre que j’ai récemment emprunté dans une bibliothèque de mon quartier. Intitulé « Les lettres de Joseon décrivant les détails de la vie quotidienne de l’époque (시시콜콜한 조선의 편지들), ce livre regroupe par neuf thèmes des lettres écrites en hangeul et en caractères chinois à l’époque de Joseon. Le jeune auteur de ce livre, Park Young-seo, âgé de 34 ans,  a également ajouté des explications craquantes à la fin de chaque lettre qu’il présente. Je vais revenir souvent sur ce livre pour vous présenter d’autres lettres charmantes avec leurs anecdotes tout aussi délicieuses.

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