Rien à voir avec le récit L'extrait de la série, "Saimdang, le jounral de la lumière" |
Cette fois-ci, une lettre d’une dame envoyée en 1570 à son mari. Monsieur s’était vanté, dans sa précédente lettre, de se garder bien de fréquenter des femmes à Séoul. A sa place, comment répondriez-vous ?
Moi, j’aurais plutôt complimenté mon mari en l’encourageant à continuer de résister à la tentation.
Et alors, la réponse de madame m’a fait éclater de rire !
La héroïne du jour est la dame Song (1521-1578), l’épouse Yoo Hee-chun (유희춘, 1513-1577). Yoo était un haut dignitaire particulièrement célèbre pour son journal qu’il rédigea tous les jours entre 1567 et 1577.
Il y écrivit minutieusement sa vie privée et ce qui se passait à la Cour. A tel point que les chroniqueurs du roi Gwanghae (광해군, 1575-1641)se référèrent à ce journal pour écrire les annales du roi Seonjo(선조, 1552-1608), le père de Gangwhae. Cette précieuse archive s’appelle « Le Journal de Miam (le nom de plume de Yoo), 미암일기» et fut désigné comme trésor national.
Revenons à notre dame du jour. En 1536, à l’âge de 16 ans, Song se maria avec Yoo Hee-chun, âgé de 24 ans. Quelques années après, ils emménagèrent dans une maison neuve. Au comble de sa joie, elle écrit ce poème.
« Le Ciel accorde aux êtres humains *cinq bonheurs
(* Cinq bonheurs principaux selon le confucianisme : longévité, prospérité, vie insouciante, aimer la vertu et exécuter l’ordre du Ciel)
La pie chante joyeusement pour notre bonheur.
On n’a pas pour rêve de devenir riche,
Mais de vivre dans l’amour comme des canards mandarins. »
Il semble que son souhait fût exaucé. Yoo aima tendrement sa femme et inversement. Ils eurent un fils et une fille.
Ce qu’il faut retenir, Song était également une femme très érudite avec qui il pouvait discuter sur différents domaines, allant des tâches ménagères aux affaires d’État en passant par l’interprétation de tels ou tels canons confucéens. « Elle aimait aussi jouer avec son époux aux échecs asiatiques qui s’appellent Jangi(장기). » Ainsi, elle était pour lui, à la fois, épouse amoureuse, conseillère pleine de sagesse et confidente intime.
Or, il leur fallut plusieurs fois vivre éloignés car il occupa différents postes clés à la Cour, donc à Séoul, alors que sa famille restait dans son pays natal, situé dans l’extrême sud-ouest du pays.
Même s’ils formaient un couple uni, ils avaient aussi connu différentes difficultés que rencontrent la plupart des couples. La plus dure épreuve était l’exil de monsieur ! Il fut envoyé à l’extrême nord-est du pays, dans une région frontalière que des tribus jurchens (futur Manchous) franchissaient de temps en temps pour piller des villages.
Quelques années après, madame dût faire face à une plus dure épreuve. Elle apprit que son époux avait pris une maîtresse avec laquelle il eut quatre filles. C’est que l’exil se prolongea à l’infini (il durera environ 20 ans) et qu’à l’époque, il était courant que les nobles exilés prennent une femme sur place qui lui faisait le ménage et d’autres choses.
Elle aurait bien voulu parcourir tout le pays pour arracher son mari bien aimé des bras de cette autre femme ! Cependant, elle ne pouvait pas bouger, car elle devait s’occuper de sa belle-mère. Elle ne put partir pour rejoindre son mari qu’après sa mort alors que tous ses proches l’en dissuadèrent.
Prévenue de l’arrivée imminente de madame, monsieur envoya sa maîtresse et leurs enfants dans une autre région. Mais il continua de veiller sur elles pour qu’elles ne manquent de rien. Par ailleurs, il déploiera, plus tard, tous ses efforts pour trouver de bons maris à ses filles naturelles.
Heureusement, en 1567, il fut enfin gracié et occupa tour à tour des postes majeurs à la Cour. C’est à partir de l’année suivante qu’il se mit à écrire le célèbre journal.
Il en profita, entre autres, pour immortaliser les écrits de madame : il y copia soigneusement ses lettres ou ses poèmes car ces textes étaient d’une grande consolation pour lui. Il publia également un recueil de poèmes pour sa femme. Ce cadeau fit un immense plaisir à madame !
Voici un petit message qu’il envoya à sa femme avec une bouteille d’alcool :
« Comme il neige et que le vent est devenu plus féroce,
Je ne puis m’empêcher de penser à toi.
Cet alcool n’est pas d’une qualité extraordinaire,
Mais j’espère qu’il réchauffera au moins ton petit corps. »
Et voici la réponse de madame :
« Même si les flocons de neige voltigent sur les pétales de chrysanthèmes,
J’espère qu’il y a des chambres bien chauffées dans ton bureau.
Que je te suis reconnaissante pour cet alcool chaud
Qui n’a pas manqué de remplir mon cœur de ta tendresse.»
Mari attentionné, il s’inquiétait tout le temps de la santé de sa femme. Lorsque la dame Song eut la ménopause à l’âge de 47 ans, il demanda à une infirmière de la Cour d’ausculter son épouse pour savoir ce qui n’allait pas. Diagnostique : rien d’anormal. Simplement, il était bien temps que ça arrive.
Seule la mort put les séparer. En 1577, monsieur partit le premier après 42 ans de vie de couple heureux. L’année suivante, madame le rejoindra dans l’éternité.
Et la lettre de madame ? Rassurez-vous, je ne l’ai pas oubliée. Ce long préambule était indispensable pour vous faire mieux comprendre le ton taquin plein d’amour d’une épouse qui reproche à son mari de s’être vanté de sa chasteté. Elle fut écrite en 1570. Elle avait alors 50 ans, lui 58 ans. « On peut y sentir une pointe de jalousie de la part de madame lorsqu’elle répète que cette abstinence est surtout pour le bien de son mari. Je trouve ça très mignon. » Enfin, voici le résumé de sa lettre :
« Que tu t’es vanté de t’être abstenu d’avoir des liaisons avec des femmes et ce, pour moi ! Mais c’est tout à fait normal qu’un noble confucéen doive veiller à ses comportements. Si tu avais correctement étudié les canons confucéens, tu n’en aurais même pas eu envie. Donc, pourquoi me veux-tu te complimenter de t’être simplement acquitté de ton devoir conjugal ?
Cela ne fait que trois ou quatre mois qu’on ne s’est pas vus. S’abstenir pendant cette courte période n’aurait pas donné lieu à ce genre de vantardises si tu avais été vraiment insensible aux charmes des autres femmes.
Au contraire, ces propos vaniteux montrent bien que tu avais quand même quelques arrières-pensées quand tu avais l’occasion de rencontrer des belles.
Tu sais, ton problème, c’est que tu te plais à faire le saint tout en espérant que les autres saluent ta vertu. Tu as tellement prôné ta vertu dans ta précédente lettre que ça me donne plutôt des soupçons. Tu t’es complimenté, à chaque lettre, que tu avais une vie aussi exemplaire qu’un veuf qui reste fidèle à sa femme défunte. Mais tu sais, tu auras bientôt soixante ans et je crois qu’à ton âge, quelques mois d’abstinence sont plutôt bénéfiques pour ta santé.
Bon… ceci dit, je comprends quand même très bien que pour un homme qui a un statut aussi élevé que le tien, ce n’est pas facile de vivre seul comme un veuf vertueux pendant plusieurs mois.
Tout cela pour te dire, continue de faire comme tu l’as fait jusqu’à présent, non pas pour moi, mais surtout pour ta santé.
Ta femme. »
PS. Monsieur répondit : « Puisque tous tes propos sont pleins de sagesse, je ne puis que t’admirer encore davantage. » Diplomatique, ce mari chevronné et surtout aimant et attentionné.
Magnifique et d une finesse
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