Enfin, on est presque arrivé à la 2e guerre d’invasion mandchoue qu’on voit dans la série « My dearest ».
* Avant 1636, les Mandchous s’appelaient « Jurchens ».
1. Le roi Gwanghae ménagea la nouvelle dynastie jurchène
Mais retournons d’abord à la Cour du roi Gwanghae en 1618. La dynastie des Jin postérieurs aux Jurchens dirigée par Nurhaci était sur le point de se livrer à une série de batailles féroce contre la dynastie chinoise Ming dans le nord-est de la Chine. Cela marquera le début d’une longue guerre fastidieuse que menèrent les deux puissances pendant 26 ans à venir.
Ming demanda à Joseon d’envoyer des renforts. Gwanghae n’eut autre choix que l’accepter d’autant plus que Ming avait aidé Joseon lors de l’invasion nipponne à la fin du 16e siècle. Mais il ordonna au commandant de la troupe coréenne de rester à l’arrière et de capituler devant l’armée mandchoue à un moment propice. C’est ce que fit le commandant. A cette occasion, le commandant transmit le message de Gwanghae comme quoi ce dernier était obligé de soutenir Ming mais au fond, il souhaitait s’entendre bien avec la nouvelle dynastie jurchène.
Nurhaci s’en réjouit grandement. Et depuis, jusqu’au renversement de Gwanghae en 1623, les deux dirigeants poursuivirent des échanges.
2. Le roi Injo affiche la politique dite « pro-Ming, anti-Jin (Jurchen)»
En 1623, quelques officiels de la Cour et le prince Neungyang, l’un des petit-fils de Seonjo, destituèrent le roi Gwanghae par un coup d’état et le prince devint le roi Injo.
Parmi les fautes majeures qui furent invoquées pour justifier ce renversement se trouvait justement sa politique pro-jurchene. L’opinion publique, notamment celle des aristocrates était extrêmement hostile contre cette diplomatie pragmatique comme on le voit dans la série « My Dearest ».
En effet, les nobles gardaient une grande admiration pour Ming pour sa civilisation avancée. En revanche, ils méprisaient d’autres peuples nomades, tels que les Jurchens ou les Khitans en les prenant pour des barbares. Par ailleurs, la Corée avait des échanges étroits avec Ming depuis que le roi Gongmin de Goryeo était entré dans le système tributaire de Ming à la fin du 14e siècle pour contrebalancer les Mongols.
Or, plusieurs officiels qui entreprirent le coup d’état, dont Choi Myeong-gil, et le roi lui-même étaient conscients du danger que représentait la montée en puissance des Jurchens. Mais ils furent, en quelque sorte, obligés d’afficher une politique pro-ming, anti-Jin(Jurchen) pour obtenir le soutien des nobles alors que leur pouvoir restait très fragile au début du règne d’Injo.
Du côté des Jurchens, en janvier 1626, l’armée de Nurhaci, invincible jusque là, essuya une défaite cuisante face à l’armée de Ming. Nurhaci rendit son dernier souffle quelques mois plus tard. Son 8e fils, Huang Taïjï, réussit à lui succéder. C’était un stratège compétent mais au début de son règne, il dut faire farce à de multiples difficultés. Il perdit une autre bataille contre Ming en 1627 et une grave crise alimentaire s’abattit sur les Mandchous.
Ces défaites successives lui rappelèrent l’importance de garantir la sécurité de son arrière-front, c’était-à-dire, la frontière avec Joseon. Il lui sembla ainsi urgent de s’assurer, sinon le soutien, au moins de la neutralité politique de Joseon.
Dans ce contexte, le renversement de Gwanghae et la politique anti-Jin(jurchen) affichée par le roi Injo ne purent qu’alarmer davantage le nouveau chef des Jurchens.
En même temps, Huang Taïjï n’aurait sans doute pas oser attaquer si rapidement Joseon si seulement la rébellion du général Yi Gwal n’avait pas sapé considérablement la capacité de la défense de Joseon.
3. Première invasion mandchoue en 1627 (정묘호란)
Le général Yi Gwal fut l’un des instigateurs du coup d’état d’Injo. Il était commandant des troupes déployées au nord. Mécontent du traitement qui n’était pas, à son avis, à la hauteur de sa contribution, il attaqua la capitale en janvier 1624 avec ses troupes. Le roi Injo dût s’enfuir dans le sud. La rébellion fut vite neutralisée et Yi Gwal fut décapité. Pourtant, plusieurs de ses lieutenants se réfugièrent auprès des Jurchens.
Par ailleurs, traumatisé, Injo restreignit le nombre d’exercices militaires de ses troupes par peur que ses généraux se soulèvent contre lui. Toutes ces circonstances entraînèrent un affaiblissement considérable de la force coréenne.
En février 1627, Huang Taïjï en profita pour attaquer Joseon en dépêchant quelques 30 000 soldats. En deux mois, la force ennemie descendit jusqu’à Gaeseong, située à environ 57 km de Séoul. Enfin, la Cour coréenne accepta d’entamer les pourparlers avec les envahisseurs et consentit à devenir un allié d’égal à égal avec la dynastie des Jurchens.
4. Huang Taïjï se désigne « empereur, le fils du Ciel»
Depuis, la dynastie jurchène ne cessa de poursuivre son expansion tous azimuts. Huang Taïjï réussit notamment à soumettre toutes les tribus mongoles éparpillées au nord de la Chine. Par conséquent, il fut considéré comme l’héritier de la dynastie mongole Yuan.
Ainsi, en 1636, les nobles mongols et mandchous l’élurent comme nouveau Khan. Peu de temps après, Huang Taïjï se désigna carrément « empereur, le fils du Ciel » et rebaptisa son pays de « Jin » à « Qing » et son peuple de « Jurchen » à « Mandchou ».
De son côté, la Cour de Joseon continua de se montrer malhabilement hostile et méprisante contre les Mandchous. En même temps, elle ne songea nullement à reconstruire son armée considérablement affaiblie par la rébellion de Yi Gwal et la première invasion mandchoue.
5. Deuxième invasion mandchoue en 1636 (병자호란)
Dans ce contexte, Huang Taïjï finit par demander officiellement à Joseon de rompre ses liens avec Ming et d’établir des relations tributaires avec lui.
La Cour d’Injo rejeta cette proposition en maltraitant les émissaires mandchous.
Furieux, en janvier 1636, Huang Taïjï franchit le fleuve gelé qui faisait office de frontière avec Joseon à la tête de 100 000 soldats. En seulement huit jours, la troupe s’empara de Séoul. Surpris par cette attaque éclair, le roi Injo dut se contenta de s’enfermer dans la forteresse de Namhansan, située dans le sud de la capitale. Injo et son armée résistèrent pendant environ 45 jours contre le siège des Mandchous.
Pendant ce temps-là, le peuple ne resta pas les bras croisés. Partout dans le pays, le reste de l’armée et le peuple prirent les armes pour sauver le roi et repousser les envahisseurs. Hélas, la ferme volonté ne suffit pas. Faute de tour de contrôle, d’entraînement et de logistiques, ces soldats volontaires avaient dû mal à affronter l’armée ennemie.
Ainsi, Injo finit par consentir aux conditions de la reddition humiliante avancées par Huang Taïjï. Joseon dut payer un tribut lourd pendant une dizaine d’année, envoyer les deux princes comme otage à Qing, etc.
Surtout, Joseon établit des relations tributaires avec Qing et rompit ses liens avec Ming, ce qui était le premier objectif de cette 2e invasion mandchoue.
Une fois qu’il obtint ce qu’il voulut, l’armée de Qing se retira vite de la péninsule coréenne. Elle n’avait pas de temps ni de moyens à perdre pour occuper la Corée alors que leur objectif final était la conquête de Ming qui résistait toujours aux attaques virulentes des Mandchous.
6. L’évolution des relations entre Joseon et Qing
Il est vrai que les quelques années qui suivirent cette défaite furent particulièrement éprouvantes pour Joseon. Qing fut en guerre avec Ming jusqu’en 1644. Donc en tant que pays perdant, Joseon dut payer un tribut très lourd. Là, on peut parler de cette fameuse relation suzerain-vassal dans le sens où les Occidentaux l’entendent .
Mais, une fois que les Mandchous devinrent les maîtres du territoire chinois, la situation changea complètement. Ils n’avaient plus aucun besoin de continuer d’exacerber les tensions avec Joseon en lui infligeant de lourds impôts alors qu’ils pouvaient trouver tout ce qu’il leur fallait en Chine, la nourriture, la main-d’œuvre, la main d’œuvre,etc.
La Cour de Qing opta pour une politique coréenne similaire à celle pratiquée par Ming : recevoir un tribut raisonnable de la part de Joseon en lui accordant le droit de commercer avec Qing et de se contenter de la reconnaissance de sa supériorité protocolaire en se gardant bien d’intervenir dans les affaires intérieures coréennes.
Bref, une fois que la dynastie Qing s’installa stablement, le système tributaire traditionnel de l’Asie de l’Est fonctionna de nouveau à peu près de la même manière qu’autrefois entre la nouvelle puissance hégémonique et ses pays voisins.
Jusqu’à ce que les puissances occidentales viennent frapper fort à la porte des pays de la région au 19e siècle…
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