Le film éponyme sortie en salle en 1962 |
1. D’après vous, qu’est-ce qui vous attire le plus dans les romances coréennes ? Pour moi, c’est la discrétion.
On ne montre pas tout, on ne dit pas tout. Des déclarations amoureuses flamboyantes et volubiles n’ont guère cours et encore moins des scènes de baiser ou d’intimité plus poussées.
On vous fait deviner l’évolution subtile des sentiments des personnages à grand renfort de gestes ambigus, de quiproquos, de propos équivoques chargés de double sens, de petits cadeaux symboliques choisis avec soin, sans parler des regards intenses, des sourires à la fois timides et complices furtivement échangés ou des soupirs échappés à leur insu.
On laisse ainsi une marge blanche suggestive à la place de ces trois syllabes magiques « 사랑해(Saranghae, je t’aime) ». Le ton pastel rose pâle, comme les pétales de fleurs de cerisier domine.
Tout ce prélude pour vous présenter une nouvelle publiée en 1935, « L’invité de la chambre d’hôtes et ma mère », qui incarne parfaitement cette atmosphère languissante d’un amour inavoué.
En effet, cette courte romance raconte l’histoire d’amour impossible entre une veuve, âgée de 24 ans, et l’un des amis de son défunt mari.
En effet, à l’époque encore, le remariage des veuves était très mal vu en Corée, car selon le dogme du confucianisme, qui dominait la dynastie Joseon (1392-1910), une femme mariée était sommée d’être fidèle à son époux, même après le mort de celui-ci, mais pas inversement.
La veuve a une fillette, âgée de 5 ans, née un mois après la mort de son mari. L’auteur a pris le point de vue de cette enfant, Ok-hee, pour décrire l’évolution des sentiments des deux héros.
La mère et la fille vivent ensemble avec le petit frère de la mère dans un hanok, maison traditionnelle coréenne. Dans ce genre de maison traditionnelle, la chambre d’hôtes est située loin du quartier où résident les femmes.
Et à l’heure du repas, on ne mange pas ensemble à la salle à manger mais comme vous le voyez dans les séries historiques, on sert le repas sur une petite table individuelle qu’on apporte à la chambre de chacun. Là, c’est le petit frère de la veuve, non pas elle, qui apporte la table dans la chambre du pensionnaire.
L’histoire commence le jour où l’ami de son père emménage chez Ok-hee en tant que pensionnaire de la chambre d’hôtes.
Vraisemblablement tombés amoureux dès leur première entrevue, ce qui n’est pas explicitement expliqué dans la nouvelle, ils n’osent même pas se voir, même en présence d’un autre, tout en habitant dans la même maison. Ils n’apparaissent ensemble dans aucun passage de la nouvelle.
En revanche, la petite oursonne va voir tous les jours le pensionnaire dans sa chambre, fait des sorties avec lui et transmet à sa mère ce qu’il a dit ou fait et inversement.
Et elle s’étonne parfois que ses propos « mettent en colère » ces deux soupirants parce que leurs joues deviennent toutes pourpres de « colère » lorsqu’elle leur dit quelque chose. Voici, quelques extraits reconstitués de la nouvelles :
- J’allais jouer presque chaque jour dans sa chambre. Ma mère avait parfois peur que je l’importune trop. Mais c’était lui qui m’importunait le plus en me posant plein de questions du genre : « Tes jolis nez et bouche, tu les tiens de ta maman ? Est-elle aussi belle que toi? », « Mais tu ne l’as donc jamais vue ? Allons la voir maintenant ! » Mais là, il devint tout rouge et répondit qu’il ne pouvait pas pas car il était trop occupé...
- « Maman, maman, il est comme moi, son banchan préféré est l’œuf cuit ! »
s’écriai-je. Maman me gronda tendrement en disant de ne pas faire trop de bruit pour ça.
Mais depuis, à chaque fois que la marchande d’œufs venait chez nous, elle acheta beaucoup plus d’œufs qu’avant. Elle les cuisait avec soin et ne manqua pas d’en mettre sur la table du pensionnaire. Ce qui m’arrangea fort bien comme elle me donna de temps en temps un œuf. Lui aussi, il m’en offrait parfois lorsque j’allais le voir
- « Tu vas où aussi endimanché ? » me demanda le pensionnaire un dimanche matin. « Je vais à l’église d’à côté avec maman ! » A l’église, en plein milieu de la prière, comme je m’ennuyais un peu, j’ouvris les yeux et regardai autour de moi. Là, dans les sièges réservés aux hommes, je le vis !
Mais au lieu de prier comme les autres grands, il avait les yeux grands ouverts comme moi comme s’il cherchait désespérément quelque chose. Quand nos regards se croisèrent, je lui remuai la main ! Mais au lieu de me saluer avec joie, il se mit en colère car ses joues devinrent tout rouge. Il détourna même la tête pour éviter de nous voir.
« Notre pensionnaire est là » murmurai-je à maman. Et alors, elle devint elle aussi toute pourpre de colère. J’avais bien envie de pleurer mais je me retins car ma maîtresse d’école était juste à côté de nous.
- Un après-midi, en revenant de l’école, je cueillis de jolies fleurs pour offrir à maman. Elle me demanda d’où elles venaient. Je ne sais trop pourquoi, mais je lui répondis que c’était le pensionnaire qui m’avait demandé de lui transmettre le bouquet. Elle devint aussitôt toute pâle, puis toute rouge.
Elle m’interdit de recevoir un tel cadeau de la part du pensionnaire et me fit promettre de ne jamais raconter à personne cette histoire. Comme elle eut l’air tellement en colère, je pensai que j’ai bien fait de lui avoir dit que c’était lui, pas moi.
Je crus qu’elle allait tout de suite jeter le bouquet. Mais non. Elle le mit dans une jolie vase. Puis, quand les pétales furent flétries, elle détacha avec soin chaque pétale pour les mettre dans les pages de son missel. »
A suivre dans ma prochaine publication !
- Ce soir là, je m’amusais comme d’habitude avec notre pensionnaire dans sa chambre. Tout d’un coup, on entendit le son du piano. Je n’avais jamais vu maman jouer du piano. C’était le cadeau de papa et un jour elle m’avais expliqué qu’elle ne l’avait plus touchée depuis sa mort. Je sortis de la chambre d’hôtes pour aller la voir jouer. Qu’elle était belle au clair de lune devant le piano ! Elle se mit à chanter. Quelle belle voix ! Mais quelques instants après, sa voix tremblait, s’éteignit tout doucement, puis tomba dans le silence.
Elle quitta le piano et vint me prendre très très fort dans ses bras en pleurant. « Mais pourquoi tu pleures ? » Elle resta silencieuse pendant un longue moment avant de répondre « Je n’ai que toi. Toi seul me suffit.»
- Un après-midi de samedi, notre pensionnaire m’amena à la colline voisine. On a passé un excellent moment ensemble ! Je regardais tantôt passer des trains à la gare que la colline dominait, tantôt en cueillant des fleurs et des herbes, en pinçant de temps à autre les jambes du pensionnaire. Sur le chemin de retour, je croisai quelques camarades de l’école. « Regardez ! Voilà Ok-hee avec son papa ! » s’écria une camarade qui ne savait pas que mon mère était mort.
Mes joues devinrent toutes rouges de joie. A ce moment-là, j’aurais sans doute souhaité qu’il soit mon papa. En effet, j’avais toujours envie d’appeler quelqu’un « papa ! ». « J’aimerais bien que tu sois mon papa », laissai-je ainsi échappé ce souhait juste devant la porte de chez nous.
Mais là, ça le rendit vraiment furieux. « Il ne faut jamais dire ça », lança-t-il d’une voix qui tremblait très fort tout en me remuant très fort. Stupéfaite par tant de colère, j’entrai seule en courant à la maison en pleurant encore et encore.
- Un jour, notre pensionnaire me demanda de transmettre une enveloppe blanche en disant que c’était le loyer du mois dernier. Lorsque je la tendis à maman, elle devint toute pâle. Mais lorsqu’elle découvrit quelques billets là-dedans, elle devint normale. Or, elle trembla encore. Elle avait un papier plié en quatre entre ses doigts.
Elle hésita longtemps avant de décider de le déplier. Son visage devint tour à tour blême et pourpre à mesure qu’elle le lit. Encore un long moment après, elle le replia en quatre avant de le mettre dans la boîte à coudre avec le loyer. Puis elle regarda loin sans rien dire. Comme elle avait l’air tout essoufflée, j’étais bien inquiète et de lui proposa d’aller se coucher.
Alors là, elle m’embrassa sur mes joues. Mais que ses lèvres furent brûlantes ! On eût dit une pierre chauffée à blanc.
Cette nuit-là, je me réveillai en plein milieu de la nuit. Mais maman ne dormait pas à côté de moi comme d’ordinaire. Prise d’une panique, je regardai autour de moi dans le noir. La chambre était légèrement éclairée par la lueur de la lune. Maman était accroupie devant l’armoire dans laquelle elle avait mis les vieux vêtements de mon papa. Elle les avait sortis et les caresser, un à un, tout doucement, en murmurant quelque chose les yeux clos.
On eût dit qu’elle priait. « Maman, que fais-tu ? » Là, elle ouvrit les yeux avant de m’envisager longuement. Puis, elle remit tous les habits et on revint au lit. « Maman, prions avant dormir », lui proposai-je, car elle récitait toujours la prière du Seigneur quand elle me couchait. Je ne comprends rien de ce que cette prière dit mais à force de l’avoir entendu plusieurs fois, je puis, maintenant, le réciter très bien toute seule. « Notre Père qui es aux cieux... » commença-t-elle d’une voix calme et douce.
Mais arrivée à l’endroit « Et ne nous laisse pas entrer en tentation », elle sembla bloquée. Elle bégaya en répétant plusieurs fois, « Et ne nous laisse pas entrer en tentation…, pas entrer en tentation… tentation.. »
Du coup, je décidai de terminer la prière, « Mais délivre-nous du mal »… « Amen » susurra maman non sans peine après une longue pause.
2. Voici la deuxième partie de l’une des histoires d’amour les plus connues en Corée. Tous les élèves l’apprennent à l’école. Ecrite par Joo Yo-seop (주요섭, 1902-1972), l’un des auteurs coréens contemporains les plus importants, elle fut publiée en 1935 dans la revue mensuel « Jogwang (조광) ».
- Ce soir-là, je m’amusais, comme d’habitude, avec notre pensionnaire dans sa chambre. Tout à coup, on entendit quelqu’un jouer du piano. C’était maman. Je ne l’avais jamais vu jouer du piano. C’était le cadeau de papa et un jour elle m’avait expliqué ne plus l’avoir touché depuis sa mort. Je sortis de la chambre d’hôtes pour la rejoindre. Qu’elle était belle au clair de lune devant le piano ! Elle se mit à chanter. Quelle belle voix ! Cependant, quelques instants plus tard, sa voix trembla, s’éteignit tout doucement avant de disparaître dans le noir.
Elle quitta le piano et vint me prendre très très fort dans ses bras en pleurant. « Mais pourquoi tu pleures ? » Elle resta silencieuse pendant un long moment avant de répondre « Je n’ai que toi au monde. Toi seul me suffit.»
- Un après-midi de samedi, notre pensionnaire m’amena à la colline voisine. Nous passâmes un excellent moment ensemble ! Je regardais tantôt passer des trains à la gare que la colline dominait, tantôt cueillais des fleurs et des herbes, en pinçant de temps à autre les jambes de notre pensionnaire. Sur le chemin du retour, je croisai quelques camarades de l’école. « Regardez ! Voilà Ok-hee qui revient d’une sortie avec son papa ! » s’écria une camarade qui ne savait pas que mon père était mort.
Mes joues devinrent toutes rouges. A ce moment-là, j’eusse sans doute souhaité qu’il soit mon papa. En effet, j’avais toujours envie d’appeler quelqu’un « papa ! ». « J’aimerais bien que tu sois mon papa », laissai-je échapper juste devant la porte de chez nous.
Mais là, ça le rendit vraiment furieux. « Il ne faut jamais dire ça », lança-t-il d’une voix tremblante tout en me remuant violemment. Stupéfaite par tant de colère, je rentrai seule à la maison en courant et pleurant encore et encore.
- Un jour, notre pensionnaire me demanda de transmettre une enveloppe blanche : « C’est le loyer du mois dernier.» Lorsque je la tendis à maman, elle devint toute pâle. Cependant, lorsqu’elle découvrit quelques billets là-dedans, elle sourit en poussant un petit soupir. Mais tout de suite après, elle trembla encore. Elle avait entre ses doigts un papier plié en quatre.
Elle hésita longtemps avant de décider de le déplier. Son visage devint tour à tour blême et pourpre à mesure qu’elle le lisait. Elle finit par le replier avant de le mettre dans la boîte à coudre avec le loyer. Puis elle regarda loin sans rien dire. Comme elle avait l’air tout essoufflée, j’étais bien inquiète et de lui proposa d’aller se coucher.
Alors là, elle m’embrassa sur mes joues. Mais que ses lèvres étaient brûlantes ! On eût dit une pierre chauffée à blanc.
Cette nuit-là, je me réveillai en plein milieu de la nuit. Mais maman ne dormait pas à côté de moi. Prise de panique, je regardai autour de moi dans le noir. La chambre était légèrement éclairée par la lueur de la lune. Maman était accroupie devant l’armoire dans laquelle elle avait rangé les vieux vêtements de mon papa. Elle les avait sortis et les caressa, un à un, tout doucement, en murmurant quelque chose avec les yeux fermés.
On eût dit qu’elle priait. « Maman, que fais-tu ? » Là, elle ouvrit les yeux avant de me dévisager longuement. Puis, elle remit tous les habits dans l’armoire et on revint au lit. « Maman, prions avant de dormir », lui proposai-je, car elle récitait toujours la prière du Seigneur quand elle me couchait. Je ne comprends rien de ce que cette prière signifie mais à force de l’avoir entendu plusieurs fois, je puis, maintenant, le réciter très bien toute seule. « Notre Père qui es aux cieux... » commença-t-elle d’une voix calme et douce.
Mais arrivée à l’endroit « Et ne nous laisse pas entrer en tentation », elle sembla tout à coup coup bloquée. Elle bégaya en répétant plusieurs fois : « Et ne nous laisse pas entrer en tentation…, pas entrer en tentation…en tentation.. »
Impatiente, je décidai de terminer la prière, « Mais délivre-nous du mal »… « Amen » susurra maman péniblement après un long silence.
- Après ce jour-là, maman devint capricieuse et imprévisible. Tantôt elle était très gaie. Tantôt, elle chantait des cantiques au son du piano, pourtant souvent, cette chanson finissait par un long pleur silencieux. Là, je pleurais moi-aussi avec elle. Alors, elle me faisait mille bises sur mon visage en répétant : « Je n’ai que toi, toi seule me suffit, n’est-ce pas ? »
Un dimanche après-midi, il n’y avait que maman et moi à la maison. Mon oncle et notre pensionnaire venaient de sortir. De son côté, maman n’était pas allée à l’église le matin et resta couchée toute la matinée en se plaignant d’un mal de tête.
« Ma chérie, veux-tu avoir un père ? », me demanda-t-elle lorsque je la rejoignis dans notre chambre. « Oui, oui, j’aimerais beaucoup en avoir un ! » « Ecoute, mon p’tit cœur. Ton père est décédé juste avant ta naissance. Donc, on ne peut pas dire que tu n’en as pas. Il n’est tout simplement plus là. Or, si tu en prends un autre, le monde nous insultera. Oui, on te montrera du doigt : ‘La mère d’Ok-hee est une pute. Ok-hee a de nouveau un père alors que son père est décédé. La honte !’ Dans ce cas, tu ne pourras même pas te marier et même si tu deviens une personne importante, on raillera, ‘Ca ne change rien ! Après tout, ce n’est que la fille d’une pute !’ »
Après une longue pause, elle ajouta : « Ma très chère, tu ne me quitteras jamais, n’est-ce pas ? Tu vivras toujours avec moi, n’est-ce pas ? Même si tu fais beaucoup d’études jusqu’à la fac et que tu deviens une personne importante, tu vivras pour toujours avec moi, non ? Combien m’aimes-tu ? » « Moi, comme ça, comme ça », répondit-je en écartant le plus largement possible mes bras comme j’eus peur qu’elle pleurât encore. Mais elle ne pleura pas. « Oui, oui, je n’ai que toi. Je n’ai besoin de rien d’autre que toi. N’est-ce pas mon p’tit cœur ? » dit-elle en m’étreignant à me couper le souffle.
Cette nuit-là, elle me recoiffa et m’habilla de mes meilleurs habits avant de me demander de transmettre un mouchoir blanc immaculé et soigneusement repassé à notre pensionnaire. Je pus sentir qu’il y avait un papier là-dedans.
Quand il le prit, il ne dit rien, devint tout blême et rentra dans sa chambre en ne me regardant même pas. Lorsque je revins notre chambre, maman jouait une mélodie calme mais triste avec son piano. Elle continua de jouer jusque tard dans la nuit encore et encore ce morceau mélancolique…
3. Voici le dénouement de mon résumé de la nouvelle de Joo Yo-sup, publiée en 1935. (Les liens des deux parties précédentes à la fin du texte.)
- Plusieurs nuits s’écoulèrent après que j’eus transmis à notre pensionnaire le mouchoir de ma mère qui contenait un bout de papier. Depuis ce soir-là, je n’étais pas allée le voir à sa chambre car il avait l’air toujours trop triste même quand il me voyait !
Alors, je fus surprise lorsqu’un matin, je le vis faire sa valise. « Tu vas où ? », « Je pars loin.», « Quand ? », « Aujourd’hui.», « En train ? », « Oui, en train.», « Tu reviens quand ? »
Au lieu de me répondre, il sortit une jolie poupée de son tiroir et me la tendit. « Prends-la. Tu m’oublieras bientôt après mon départ… », « Mais non… », lui contestai-je tristement.
Je revins à notre chambre avec la poupée dans mes bras. « Maman, regarde ! Notre pensionnaire me l’a donnée. Il m’a dit qu’il partirait loin, aujourd’hui, en train.»
Maman resta muette. « Pourquoi il s’en va ? », « Parce que son école est en vacances (Il est instituteur)», « Il va où ? », « Chez lui », « Reviendra-t-il ? » Elle ne répondit plus. « Moi, je n’aime pas qu’il s’en aille comme ça. », ajoutai-je en faisant la moue.
Après une pause silencieuse, elle me demanda d’aller voir à la cuisine combien d’œufs il nous restait. Il y en avait six. Elle les cuisit tous, les enveloppa soigneusement dans un mouchoir avec un peu de sel. « Donne-les à notre pensionnaire et dis-lui de les manger dans le wagon ».
- Dans cet après-midi là, je berçais doucement ma nouvelle poupée en lui chantant une berceuse pour l’endormir. Tout à coup, maman entra dans notre chambre et me proposa : « Si on allait prendre un peu d’air sur la colline ? » « Oui, oui ! Bonne idée ! », sautillais-je toute excitée. « Puis-je amener cette poupée ? », « Bien sûr »
Nous montâmes sur la colline. Là, on peut très bien voir la gare. « Regarde la gare ! Mais il n’y a pas encore de train. »
Maman resta immobile. Une brise remua légèrement le long pan de sa jupe. Maman, figée ainsi au sommet de la colline, me paraissait encore plus belle que d’ordinaire.
Au loin, un train se profila. « Youpi ! Enfin un train ! », m’écriai-je de joie. Le train arrêta un moment à la gare avant de repartir en poussant des cris aigus. « Le train part ! », criai-je en applaudissant.
Mais maman demeura toujours immobile en regardant le train jusqu’à ce qu’il eût disparu loin derrière la montagne et que le tourbillon de fumée sorti de sa cheminée se dissipât en haut du ciel.
De retour chez nous, elle ferma avec la clé la couvercle du piano qu’elle laissait toujours ouverte pendant que notre pensionnaire était là. Puis, elle remit la boîte à coudre sur le piano comme avant.
Ensuite, elle prit son missel, le feuilleta nonchalamment et repris les pétales de fleurs toutes flétries et séchées avant de me les tendre : « Jette-les ! » C’étaient des fleurs que j’avais offertes jadis à maman en prétendant qu’elles venaient de notre pensionnaire.
A ce moment-là, quelqu’un frappa à la porte. « Achetez des œufs ! » C’était notre vieille marchande d’œufs qui vient tous les jours.
« On n’achète plus d’œuf ! Il n’y a plus personne qui en mange. », répondit maman avec une toute petite voix.
Interloquée, je voulus vigoureusement protester contre cette déclaration. Mais lorsque je vis le visage de maman éclairé par la lueur pourpre du soleil couchant, je n’eus plus le courage.
Ainsi, je me contentai de murmurer à l’oreille de la poupée offerte par notre pensionnaire. « Ecoute ! Je ne savais pas que maman peut aussi bien mentir. Tout en sachant très bien que j’adore l’œuf, elle dit qu’il n’y a plus personne qui en mange chez nous! J’aimerais bien faire la tête mais regarde-la. Pourquoi est-elle si pâle ? On dirait qu’elle est malade quelque part. »
Merci pour ce partage, cette histoire est magnifique, un chef d’œuvre. Néanmoins , on espère jusqu’à la fin qu’elle finisse autrement, on se sent peinés pour les 3 personnages principaux mais on comprend parfaitement le poids des injonctions sociales et le sacrifice de la mère pour préserver sa fille.
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