Savez vous que l’un des amants de Hwang Jini(황진이,1506-1567), la célèbre gisaeng contemporaine de Saimdang, dédia un poème romantique à Saimdang, quand elle avait 44 ans ?
* Pour leurs histoire et poèmes : https://ours15.blogspot.com/2023/08/hwang-jini-et-so-se-yang-aventure-et.html
Ce qui fit enrager, un siècle plus tard, le confucianiste conservateur Song Si-yeol(송시열 1607-1689), qui vénérait, comme grand maître de pensée, le troisième fils de Saimadang, Yi I (1536-1584)
Voici, l’aventure palpitante de l’image posthume de Saimdang qui se poursuit du 16e siècle à nos jours.
1. Au 16e siècle : la dame Shin, la peintre
De son vivant déjà, Shin Saimdang(1504-1552) jouissait d’une grande renommée en tant qu’artiste hors pair, comparable au grand peintre du 15e siècle, Ahn Gyeon(안견,?-?). De nombreux hauts dignitaires de la Cour et écrivains nobles ne tarissaient pas d’éloges sur ses œuvres, quels que soient les genres, en particulier les tableaux de paysage.
Et que j’étais contente de retrouver, parmi ces adorateurs, le nom de l’un des amoureux de Hwang Jini, So Se-yang (소세양, 1488-1562) ! Homme d’État et célèbre écrivain, il avait parié qu’il resterait seulement pendant un mois avec la belle et la quitterait sans regret après ce délais. Bien sûr, il perdit son pari, ayant succombé au charme de Jini.
Or, ce fin connaisseur de l’art fut tellement frappé par la beauté d’un tableau de paysage de la dame Shin qu’il écrivit un poème à même la peinture. Après avoir décrit le paysage peint dans cette œuvre, il rendit hommage à « la dame Shin » :
« Son âme aussi belle que les fleurs communiquant avec des esprits de montagne,
Que j’aimerais surprendre ses pensées mystérieuses et suivre son allure limpide ! »
Pour ses admirateurs contemporains, Saimdang était, avant tout, «la dame Shin, la peintre ».
2. Au 17e siècle, la classe dirigeante cherche à renforcer l’ordre patriarcal
A la fin du 16e siècle et au début du 17e siècle, la Corée dût affronter deux guerres d’invasion de la part des Japonais et des Jurchens. Ces conflits bouleversèrent le pays de fond en comble que ce soit sur le plan économique, politique et social.
L’autorité de la classe dirigeante tomba part terre, notamment après la défaite essuyée contre Jurchens. Les aristocrates au pouvoir cherchèrent à rétablir l’ordre en durcissant le contrôle sur les classes dominées, y compris les femmes.
Ainsi, l’ordre patriarcal ne cessera de se consolider , et le statut des femmes, de dégringoler jusqu’à la fin du 19e siècle.
Dans ce contexte, mener et montrer ses réalisations artistiques aux autres était considéré comme impudique, comme s’il s’agissait de montrer une partie de son corps en public.
Or, perdre la pudeur et la chasteté, même contre son gré, était considéré comme un crime que les femmes devaient éviter par tous les moyens, y compris le suicide.
3. Au 17e siècle, les mandarins cherchent à justifier l’exception Saimdang
Entretemps, le parti de Seoin(서인) était devenu la faction majeure de la Cour après la chute du roi Gwanghae(광해군, 1575-1641) en 1623 qui soutenait Bukin(북인), le parti ennemi de Seoin. Ce dernier était un courant politico-idéologique qui vénérait, comme grand maître de pensée, Yi I.
Le problème, c’est que la mère de leur leader spirituel était une grande peintre. Alors, des dirigeants de ce parti, notamment Song Si-yeoul, se creusèrent la tête pour trouver des excuses visant à justifier les activités artistiques de Saimdang.
Song fustigea d’abord le poème que So Se-yang avait écrit sur un tableau de paysage de Saimdang. Il remit également en cause l’identité de l’auteur de l’œuvre en question. Je vous présente les extraits du commentaire de Song, car ce texte illustre parfaitement bien l’idée que se faisaient des mandarins de l’époque sur les rôles des femmes :
« Je ne pense pas que cet œuvre est de l’épouse de Yi (et non plus « la dame Shin »). Une femme peignant pour son petit loisir ou contre son gré par l’ordre de son père (le père de Saimdang l’encouragea à développer son talent artistique) ne pourrait pas réaliser un tableau aussi complet que seuls DES peintres professionnels peuvent exécuter. Par ailleurs, elle se SERAIT sûrement gardée d’offrir ses œuvres aux autres par pudeur. Et pour cause. La distinction entre homme et femme doit être repectée strictement, à tel point que même entre les membres de la même famille, on ne puisse pas s’offrir ou se prêter des objets à la légère.
Quant à So Se-yang, quel homme impoli et indécent ! Comment osa-t-il écrire à même le tableau d’une dame noble un poème plein de sentiments irrespectueux ! Les mots qu’il a utilisés pour saluer l’épouse de Yi, « l’âme belle comme les fleurs », « pensée mystérieuse », « allure limpide » ou encore « j’aimerais surprendre à surprendre » me semblent tout à fait inappropriés »
En effet, Song n'a pas voulu croire que la mère de Yi I avait osé aller à des montagnes pour peindre des tableaux alors que la sortie des femmes nobles était très mal vue.
Ainsi, à l’instar de ce grand leader de Seoin, on n’évoquera plus, jusqu’à la fin du 19e siècle, les peintures de paysage de Saimdang.
Mais même lui, il ne put s’empêcher de s’extasier devant les tableaux d’autres genres de Saimdang, notamment ceux d’orchidées, de raisins ou d’insectes.
Selon Song, elle n’aurait pas dû s’efforcer d’approfondir son art. Elle n’aurait tout simplement pu empêcher son âme sublime de conduire ses mains à exprimer l’harmonie de l’univers qu’elle entrevoyait. Et de conclure que c’est cette âme capable de réunir les énergies fastes de l’univers qui lui aurait permis de concevoir le grand maître Yi I. Joli exemple de culte de la personnalité.
Voilà, le ton fut donné pour justifier « la cohabitation incommode d’une peintre et d’une bonne mère »*. Sur cette base théorique, les successeurs de Song forgeront désormais l’image de « Sainte Saimdang, mère d’Yi », qui prendra le dessus sur la peintre Shin.
3. Canonisation de Saimdang et d’Yi I comme « mère exemplaire et fils dévoué »
L’opération de la canonisation de Saimdang se poursuivit, donc, durant les siècles suivants. De nombreux aristocrates, voire le roi Sukjong, dédièrent des commentaires et des poèmes élogieux à la mère d’Yi I tout en continuant de trouver des excuses pour ses activités artistiques.
Selon eux, les activités picturales Saimdang étaient compréhensibles car elle effectua d’abord parfaitement ses tâches de femme , en particulier, l’éducation des enfants, y compris, l’éducation prénatale (태교,胎敎).
En effet, en Corée, dès qu’on apprend qu’on est enceinte, on fait attention à ce qu’on mange, à ce qu’on dit, entend et voit, et on essaie de lire de bons livres et d’écouter DE la musique classique même si on n’aime pas du tout ce genre.
De son côté, Yi I fut vénéré également comme fils dévoué idéal, car « c’est grâce à ses exploits académiques et politiques que le nom et les œuvres de sa mère seront glorifiés pour des siècles et des siècles. »
4. Résurrection de la peintre Shin : « Saimdang, le journal de la lumière »
Et cette image de « mère exemplaire, épouse édifiante », était encore dominante jusqu’en 2007 lorsque le gouvernement annonça avoir choisi Saimdang comme modèle du billet de 50 000 wons.
Le problème, c’est que ce cliché de de mère édifiante n’était plus un idéal féminin à suivre pour les femmes d’aujourd’hui qui veulent d’abord s’épanouir dans leur propre vie. Dans leur imagerie, Saimdang devint un cliché de mère dévouée et d’éoupse soumise.
Ainsi, les féministes réclamèrent haut et fort le retrait de cette décision. Le résultat est ce qu’on sait. Ce mouvement protestataire n’aboutira pas. Cependant, ce débat virulent permit de restaurer le vrai portrait de la peintre Shin, femme autonome et compétente, si longtemps estompé par la classe dirigeante imprégné de l’idéologie patriarcale.
Le gouvernement et les éditeurs de manuels scolaires adoptèrent ce nouveau discours sur Saimdang.
Et la peintre Shin finira par faire son retour triomphal dans la série, « Saimdang, le journal de la lumière », diffusée en 2017 !
* Pour l’histoire vraie de Shin Saimdang : https://ours15.blogspot.com/2023/08/shin-saimdang-1504-1552.html
* Source : Sauf le chapitre 4, il s’agit d’un résumé de l’article de la professeure Lee Sook-in, chercheuse du Kyujanggak Institute for Korean Studies de l’Université nationale de Séoul, intitulée : « Cohabitation incommode d’une peintre et d’une bonne mère »
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