L’histoire de la fille dévouée Shim Cheong (심청전



Sortez votre mouchoir ! Je vais vous raconter une histoire très triste qui vous fera pleurer à bien des endroits. Mais la fin recèle une surprise ! 

Cette histoire fait partie des cinq répertoires classiques du « pansori », chant épique qu’une seule personne interprète sur le rythme du tambour.
 
* Pour en savoir plus sur le pansori : https://ich.unesco.org/fr/RL/les-chants-epiques-pansori-00070?RL=00070

1. Naissance de Shim Cheong

Il était une fois, dans la province de Hwanghae, située dans l’ouest du pays, un aristocrate nommé Shim Hak-gyu. Il était le descendant d’une des familles les plus illustres du pays. Cependant, de génération en génération, la famille s’appauvrissait et lorsque Shim atteignit l’âge de 20 ans, il ne restait plus grand chose. Pour  comble de malheur, Shim perdit sa vue suite à une maladie. 

Mais heureusement, il rencontra une femme, la dame Gwak, aimante et dévouée. C’était une femme diligente douée pour la cuisine, le tissage et la couture, ce qui permit au couple de ne pas tomber dans la misère. 

Cependant, le couple n’arriva pas à avoir d’enfant même dix ans après leur mariage. Il offrait régulièrement des offrandes à Bouddha en le priant de leur donner un enfant. Un jour, à la veille de l’anniversaire de Bouddah, les deux époux eurent le même rêve. Ils y virent une belle fille qui leur dit : « Je suis une fée qui vit au paradis. Bouddha m’ordonna de venir ici. Veuillez prendre soin de moi. »

Après cet étrange rêve, la dame Gwak tomba enceinte avant d’accoucher d’une jolie fille. Ils la baptisèrent Cheong. Hélas ! L’accouchée décéda une semaine plus tard. Le chagrin de Shim Hak-gyu fut indescriptible. Il se ressaisit pour autant vite pour élever sa fille en mendiant du lait aux mères voisines. 

2. Madame la Première ministre souhaite adopter Shim Cheong

Dès son plus jeune âge, Shim Cheong mendiait pour nourrir sa petite famille. En grandissant, elle aidait ses voisins à faire des tâches ménagères ou à travailler dans les champs pour gagner de quoi vivre. Elle passait tout le reste du temps à être au petit soin de son père. 

A l’époque où le dévouement filial était considéré comme l’une des plus grandes valeurs à respecter, son histoire se répandit vite dans toute la région. 

Lorsque Shim Cheong atteignit l’âge de 15 ans, l’épouse du Premier ministre du roi qui habitait dans un village voisin l’invita chez elle. Madame voulut voir de ses propres yeux une fille si célèbre pour son amour filial. Eprise de l’allure élégante et de l’intelligence de Cheong, elle lui lança une proposition alléchante : « J’aimerais t’adopter. Si tu viens ici, tu ne manqueras de rien tout ta vie et tu pourras recevoir une éducation digne d’une jeune fille noble que tu es. » Car, rappelons-le, Shim Cheong était d’une famille illustre même si elle devait travailler pour vivre.

En effet, il n’était pas rare de voir les femmes aristocrates travailler aussi dur qu’elle ou que sa mère à l’époque de Joseon. Même chez des familles aisées. Pourquoi ? Je reviendrai sur ce sujet dans l’un de mes publications ! 

Revenons à notre brave Cheong. Un instant séduite par la perspective d’une vie dorée, elle finit par refuser cette proposition pour rester auprès de son père. 

3. Shim Hak-gyu promet à un moine de faire le don de 300 sacs de riz pour retrouver sa vue

Pendant ce temps-là, la nuit se mit à tomber. Inquiet de l’absence prolongée de sa fille, Shim Hak-gyu sortit pour la chercher. Arrivé au bord d’une rivière, il fit un faux pas et glissa dans l’eau. Il faillit s’y noyer. Un moine qui passait par là intervint à temps pour le sauver.

En le voyant aveugle, le moine prétendit à Hak-gyu que ce dernier pourrait retrouver la vue s’il offrait trois cent sac de riz au temple auquel le moine appartenait. Désireux de revoir le monde, le père de Cheong promit de le faire sans bien y réfléchir. Alors seulement là, le moine exposa les modalités de ce contrat très pénalisante pour le futur donneur : « Il vous faut passer à l’acte d’ici 15 jours. Sinon, Bouddha vous rendra cul-de-jatte. »

Hak-gyu se rendit compte qu’il était tombé dans un piège mais c’était trop tard. Informée de cette promesse imprudente de son père, Cheong le rassura en disant qu’elle s’en occuperait. 

4. Shim Cheong se vent contre 300 sacs de riz

A ce moment-là, des marchants chinois de Nankin passaient par ce village. Ils cherchaient à acheter une jeune vierge à sacrifier pour le dieu de la mer. Car sur leur itinéraire, il y avait un endroit où la vague était très violente. Il n’y avait aucun autre moyen pour la calmer que de jeter une jeune pucelle dans la mer. Le prix proposé était, comme par hasard, 300 sacs de riz. Shim Cheong y postula tout de suite et reçut 300 sacs de riz par avance. « Je les reçus de la part de madame la Première ministre. En contre partie, je lui ai promis de devenir sa fille adoptive », mentit-elle à son père. 

Cependant cette nouvelle se répandit vite dans tout le village et Hak-gyu finit par l’apprendre juste avant que les marchands viennent la chercher. Je vous fais volontiers grâce de cette scène déchirante. Le père voulut rembourser le riz préférant devenir cul-de-jatte. Mais Shim Cheong tint à sa promesse. Le pauvre père insulta à tue-tête en regardant, impuissant, les marchands emmener sa fille… 

Au moment où elle devait se jeter dans la mer, Shim Cheong s’avança vers le bord du bateau en titubant de droite et à gauche. Elle fut prise de panique à la vue de la mer si violente ! Elle se ressaisit en se disant : « Je meurs pour le bien de mon père! ». Ce fut sa dernière pensée avant de sombrer au fin fond de la mer. 
* Pour ce passage chanté par une chanteuse de pansori avec une mise en scène théâtrale : https://youtu.be/-FyNoGhiQ5c?si=nhuTVmzFQliFJmMf

5. Cheong rencontre sa mère au palais de l’empereur de la Mer

Quelques heures plus tôt, l’empereur du Ciel convoqua son homologue de la Mer : « Entre 11h et 13h, la demoiselle Shim se jettera dans la mer. Occupez-vous bien d’elle. » 

Quel fut l’étonnement de Cheong quand elle reprit connaissance ! Elle fut émerveillée par le beau paysage de mer et la somptuosité du palais de l’empereur de la mer. Ce n’était pas tout. Une belle dame élégante la regardait avec amour. C’était sa mère, la dame Gwak, morte quelques jours après sa naissance ! En fait, comme Cheong, elle était une fée du Ciel descendue ici-bas dans un corps humain. Après sa mort, elle retourna au Ciel et redevint fée. Cheong y passa trois ans auprès de sa mère. 

Pourtant, Cheong n’était pas encore décédée, et l’empereur du Ciel ordonna à l’hôte de Cheong de la renvoyer à terre. Ce dernier fit mettre Cheong et deux de ses servantes dans un lotus géant avant de l’envoyer sur la surface de la mer. Les marins qui passaient par là à cet instant cueillirent la fleur et l’offrirent à l’empereur du pays. 

6. Cheong devient l’impératrice du pays

Il s’en réjouit grandement et fit installer le lotus dans son jardin. Quelques jours plus tard, l’empereur fut stupéfait de voir la fleur s’ouvrir et d’y découvrir trois femmes : « Mais qui êtes vous ? Des fantômes ou des humains ? » « L’empereur du Ciel vous a envoyé une épouse idéale » répondit l’une des deux servantes en indiquant Shim Cheong. La joie du monarque était d’autant plus indescriptible qu’il venait de perdre sa femme. 

Dès que notre héroïne devint l’impératrice, le pays prospéra en paix. Tout le peuple la loua en croyant que c’était grâce à elle protégé par l’empereur du Ciel. Pourtant, Cheong n’était pas heureuse. Son père lui manquait trop et elle ne put s’empêcher de se demander sans cesse: « Est-ce qu’il a réussi à retrouver la vue ou reste-il toujours aveugle ? » Pour consoler sa bien-aimée, son impérial époux organisa une grande fête pour tous les aveugles du pays.

7. Shim Hak-gyu se dirige vers la capitale afin de participer à la fête

Quand on y pense, c’est un peu paradoxal. Shim Cheong s’était vendue pour redonner la vue à son père en offrant 300 sacs de riz à un temple bouddhiste. Mais au fond, elle semble ne pas avoir trop eu confiance quant à l’efficacité de cette opération. Sinon, pourquoi organiser une fête pour les aveugles ! Si son père avait retrouvé sa vue, il n’y irait pas et il ne la retrouverait donc jamais. 

Heureusement ou malheureusement, Shim Hak-gyu resta aveugle. Entre temps, il avait été séduit par une femme méchante, moche et grasse, une nommée « mère de Bbaengdeok.» Ses cibles étaient toujours des hommes malvoyants qu’elle dépouillait jusqu’au dernier sou avant de se lancer dans une nouvelle aventure. C’est exactement ce qu’elle fit avec Shim Hak-gyu. 

Elle dépensa tous les sous que Shim Hak-gyu avait mis de côté. Puis, sur le chemin qui les menait à la capitale, elle délaissa Shim pour s’enfuir avec un autre homme malvoyant plus jeune, plus beau et plus riche. 

Heureusement, Shim Hak-gyu rencontra une autre femme aveugle, la dame Ahn, qui se rendait elle aussi à la fête. La dame Ahn venait d’avoir un rêve prémonitoire dans lequel l’empereur du Ciel lui ordonnait de se marier avec Shim Hak-gyu. Elle lui expliqua ce rêve et dès leur première rencontre, ils passèrent la nuit ensemble. 

8. Retrouvailles entre le père et la fille

Enfin, Shim Hak-gyu et sa nouvelle compagne arrivèrent au palais. 

A ce moment-là, Shim Cheong qui regardait attentivement tous les invités aperçut son père ! Elle voulut tout de suite lui sauter au cou. Mais elle se retint et fit venir son père devant elle : « Présentez-vous, monsieur. D’où venez-vous et quel est votre histoire ? » lui demanda-t-elle. 

* Voici l’air le plus connu de ce chant dans lequel il résume sa vie :https://youtu.be/iT1ud5LeCq4?si=V9GzEuYQcL2_bGuE

Il acheva son récit en sanglotant : « Tuez-moi, ce vilain père égoïste, qui tua sa fille pour son propre bonheur ! » 

L’impératrice n’en put plus : « Père, père, c’est moi, Shim Cheong. Je ne suis pas morte. Que n’as-tu retrouvé sa vue malgré le don de 300 sacs de riz! » « Quoi ? Toi, tu es Shim Cheong, ma fille adorée ? Que le Ciel est cruel ! Je ne peux pas te voir ! Mais non. Je te verrai, je finirai par te voir ! » s’écria le père désespéré. 

Là, il ouvrit ses yeux et vit sa fille pour la première fois de sa vie. 

Et avec lui, tous les aveugles qui étaient sur place retrouvèrent leur vue.

- La fin-

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