Culte du Petit Prince en Corée


Quand on y pense, ce n’est point étonnant que Le Petit Prince suscite un grand engouement en Corée alors que ce roman de Saint-Exupéry, traduit en plus de 200 langues, cartonne tout autant partout ailleurs.

Mais ici, sa popularité frôle un véritable culte. On voit un peu partout des statues du Petit Prince et de son copain, le renard, dans plusieurs parcs, en haut d’un quartier perché sur une colline de Busan, sur des aires autoroutières ou dans des cafés. 



Des passages célèbres de ce chef-d’œuvre, traduits en coréen, reviennent régulièrement dans des manuels scolaire de coréen et dans des examens d’entrée à l’université. Depuis que j’étais toute petite, son titre figure triomphalement en haut de la longue liste des livres que le ministère de l’Education recommande aux enfants et aux adolescents. 

Cet œuvre est même traduit en dialectes coréens, celui du sud-est d’abord, puis du sud-ouest. Ils ont eu un tel succès que leur éditeur envisage de publier des livres traduits en dialecte des autres régions. 

Enfin, l’aventure du Petit Prince a inspiré d’innombrables écrivains et de scénaristes de dramas et des passages réputés de ce roman sont régulièrement évoqués par des personnage des série. Ce qui reflète parfaitement la réalité du terrain parce de nombreux coréens font de même dans leur vie quotidienne. 


Mais d’où vient cette passion si extraordinaire qui perdure depuis plus d’un demi-siècle ? A mon avis, c’est en partie parce que ce livre fut diffusé en Corée du Sud au moment où le pays se mit à connaître une croissance économique fulgurante dans les années 1960. 

Le gouvernement de l’époque ne cessait de nous inciter à concentrer tous nos efforts pour se défaire de la pauvreté. De notre côté, nous suivions volontiers ses consignes, fermement résolus à en finir avec la misère une fois pour toute.



Tout le monde courait de chiffres en chiffres à en perdre haleine. Le PIB, le RNB, le taux de croissance, la productivité, l’excédent commercial… En quittant tard dans la nuit le lieu du travail, on avait parfois l’impression de se noyer dans le déluge de chiffres de tout genre. Alors, on levait la tête pour regarder des étoiles lointaines et on se demandait ce qu’on perdait ou oubliait au milieu de cet immense tourbillon qui nous poussait sans cesse d’aller plus vite. 

Dans ce contexte, l’histoire d’un petit garçon blond venu d’un de ces astres aura dû captiver l’attention de plus d’un lecteur coréen. En effet, l’un des passages du roman les plus cités est celui qui commence par : « Les grandes personnes aiment les chiffres… »

Mais l’endroit préféré de beaucoup de Coréens, y compris moi-même, est le chapitre XXI qui décrit la rencontre entre le prince et le renard. Car la définition du mot « apprivoisement » donnée par le renard correspond à la notion du mot coréen « jeong (정) », ce qui signifie, entre autres, l’affection particulière qui attache des gens qui se côtoient dans leur quotidien. 




Certains d’entre vous ont dû déjà entendre parler de ce sentiment qui embellit chaque instant de notre vie. Et bien ! Pour savoir ce que c’est, il suffit d’ouvrir ce livre, sur le chapitre XXI : 
« Ma vie est monotone. Je chasse les poulets, les hommes me chassent. Tous les poules se ressemblent, et tous les hommes se ressemblent. Je m’ennuie un peu. Mais, si tu m’apprivoises, ma vie sera comme ensoleillée... » 

Quant à la phrase suivante, je crois que vraiment très peu de Coréens, de ma génération en tout cas, ne la connaissent pas. 
«Il eût mieux valu revenir à la même heure, dit le renard. Si tu viens, par exemple, à quatre heures de l’après-midi, dès trois heures je commencerai d’être heureux. Plus l’heure avancera, plus je me sentirai heureux. A quatre heures, déjà, je m’agiterai et m’inquiéterai ! »

Enfin, les dernières phrases de ce volet : « Tu deviens pour toujours responsable de ce que tu as apprivoisé. Tu est responsable de ta rose. »

* Quand j’étais au collège (13 ans à 15 ans en Corée), la traduction de l’intégralité de ce chapitre figurait dans le manuel scolaire de coréen. Je pense que ce n’est pas un hasard si les éditeurs ont opté pour ce passage.

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