Querelles d'un couple de Joseon décrit le journal de l'époux


Imaginez que vous formez un couple avec un homme d’âge mur et qu’une jeune femme prétend d’être entré dans l’intimité avec votre mari. Monsieur rejette en bloc son implication dans cette aventure. Comment réagiriez vous à la place de l’épouse ?

C’est ce qui arriva à une dame aristocrate qui vécut au 16e siècle. Une *gisaeng (courtisane) sans vergogne, nommée Jongdae, se vantait à tout le monde d’être très très proche de son mari, Yi Mun-geon(1494-1567). Alors âgé de 58 ans. Monsieur clama haut et fort son innocence tout au long de la querelle qui dura pendant des semaines. 
* Pour en savoir plus sur les gisaeng : https://ours15.blogspot.com/2023/10/lhistoire-des-gisaengs.html

Pourtant, le soupçon de madame n’était complètement pas infondé car son mari se fit surprendre, quelques mois plus tôt, seul avec une jeune domestique. Cette dernière était sur les genoux de monsieur mais il prétendit qu’il était seulement en train de « s’amuser » avec elle, peut-être « un peu trop fort », mais « pas plus ». 

Yi Mun-geon était un haut officiel de la Cour lorsqu’il fut envoyé en exil en 1546. C’est que son neveu fut exécuté pour avoir monté un complot. Yi partit pour le lieu de l’exil avec toute sa famille. Ils y vivront pendant 23 ans, jusqu’à la mort de monsieur.  

Yi tint un journal de bord entre 1535 et 1567. Cette archive précieuse est conservée aujourd’hui chez ses descendants. C’est dans ce journal, écrit du 5 octobre au 24 novembre 1552, que le pauvre se défoule contre son épouse qui le harcèle de « reproches injustes ». 

Voici les extraits de ce journal. 

Le 5 octobre 1552

Mon épouse m’interrogea dans les détails ce qui s’était passé lors de mon dernier voyage. Pour ne lui rien cacher, je lui dis honnêtement qu’une gisaeng dormit dans le même logement que le nôtre. Tout à coup, mon épouse se mit à se défouler à faire peur. Dans la foulée, elle prit un grand couteau et coupa en mille morceaux mes oreillers et couettes avant de les brûler sur place ! Puis, elle n’arrêta pas de me maudire en sautant deux repas de suite. Qu’est-ce qu’elle était exécrable ! 

Le 6 octobre 

Aujourd’hui, sa fureur sembla un peu se calmer. Mais elle ne cessa pas de maugréer à voix basse en mangeant. J’essayai de l’écouter. Elle était en train de déplorer son sort : « Pourquoi suis-je née femme et dois-je endurer une vie aussi misérable. Moi aussi, j’avais bien des choses que j’avais envie de faire et des rêves à réaliser. Alors, pourquoi, moi seule, dois-je supporter une telle infamie ? »

Le 7 octobre

Elle boude toujours. Aujourd’hui, elle me querella sur l’ancienne affaire de la domestique, Hyangbok. Il est vrai que je m’étais amusé avec elle dans ma chambre. un peu plus que qu'il ne le fallait. J’ai encore trop honte. 

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Cette affaire sembla avoir été close par l’évocation de la dernière aventure de monsieur. Or, un mois plus tard, le mari commit une autre gaffe : passer une nuit chez un autre. 

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Le 21 novembre 

Dès que j’eus franchi le seuil de la maison, mon épouse m’a couvert d’injures : « Comment as-tu oser dormir dans une maison où une gisaeng a également dormi, alors que tu n’étais pas très loin de chez nous. Est-ce un comportement à prendre pour un vieillard comme toi ? Comment ça se fait que tu te soucies comme d’une guigne de mes sentiments alors que je n’ai même pas pu dormir et ni manger en t’attendant ? » 

Enervé à mon tour par tant d’accusations injustes, je lui rendis la pareille. Notre dispute prit une tournure de plus en plus violente. Au milieu de ce vacarme, j’ai dû me contenter d’un peu riz trempé dans de l’eau froide comme souper. J’ai pu me coucher tard dans la nuit. Epuisée, madame s’est couchée à côté de moi. Mais jusqu’à ce qu’elle s’endorme, elle n’arrêta pas de m’engueuler en parlant de la gisaeng Jongdae.

Le 24 novembre 

Mon épouse, malade depuis plusieurs jours, vint me dire : « D’après ce que j’ai entendu, Jongdae se dit très proche de toi et elle prétend qu’elle t’appartient. Ce n’est pas tout. Toi aussi, tu lui aurais juré au chevet de son lit : ‘Mon cœur palpite rien qu’en entendant ton nom. Mais pourquoi ne viens-tu jamais me voir, cruelle ?’. Je vois clairement où vous deux en êtes maintenant. » Elle a continué de me bombarder de tant de rumeurs de ce genre que je n’arrive pas à les transcrire toutes ici ! Tout ça, c’est à cause de nos domestiques qui ne cherchent que l’occasion de lui relayer des fausses nouvelles. 

Comme je n’avais plus aucune envie de poursuivre cette dispute, je lui déclara : « Même si j’avais pris vraiment une maîtresse, si ça te faisais mal au cœur, je l’aurais tout de suite quittée. Alors, là, ça ne me coûtera absolument rien de ne plus voir une gisaeng que je n’ai même pas touchée. Je lui dirai fermement de s’absenter à des banquets où je serai présent. » Pourtant, elle n’en démordit pas : « Comment une gisaeng pourra renoncer à l’envie de servir un homme que toi!» 

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Malgré cette plaidoirie vigoureuse de monsieur, madame n’arriva pas à retrouver son appétit et se laissa flétrir de jour en jour. Gravement inquiet de l’état de santé de son épouse, Yi Mun-geon fit réunir son épouse et le patron de Jongdae au même endroit. Yi fit promettre à ce dernier, par écrit , d’interdire à la jeune femme d’assister à des banquets où Yi serait présent. Madame put enfin retrouver l’esprit tranquille. 

Même si je comprends pleinement la réaction violente de madame, je crois à l’innocence de monsieur. Car j’ai vu pas mal de femmes qui font semblant d’être plus proches des hommes mariés qu’ils ne le sont de leur épouse. De quoi faire enrager mesdames comme  l’héroïne du jour. 

* Source : #조선의시시콜콜한편지 (Des petits journaux de Joseon). Le jeune auteur Park Young-seo (박영서), âgé de 34 ans, y regroupe les journaux de bord tenus par une dizaine d’aristocrates de Joseon selon neuf thèmes avec ses commentaires charmants. Une vrai pépite comme son autre livre sur des lettres de Joseon.

Photos : Captures d’écran de la série Saimdang, le journal de la lumière. Son histoire n’a rien à voir avec le post mais Saimdang est la contemporaine de notre héroïne. Son mari prit carrément une maîtresse. Indignée, elle quitta la maison pour un certain moment et alla peindre le paysage du mont Geumgang. 
Pour l’histoire vraie de Shin Saimdang : https://ours15.blogspot.com/2023/08/shin-saimdang-1504-1552.html

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