Lettre envoyée par un aristocrate de Joseon (1392-1910) à sa femme qui allait accoucher




J’ai accouché de mes oursons quelques semaines avant les dates prévues. J’ai ainsi dû appeler mon mari en toute urgence sur son portable pour qu’il puisse assister à la naissance de nos petits. Heureusement, il se trouvait, à chaque fois, près de l’hôpital. Il a pu arriver à temps pour couper le cordon. 


Or, à l’époque de Joseon (1392-1910), lorsque les maris devaient rester loin tout en sachant que le moment d’accouchement de leur épouses approchait, ils devaient être très impatients et inquiets d’autant plus qu’ils n’avaient pas de moyens de communication aussi développés qu’aujourd’hui, sans parler du taux de mortalité élevé des accouchées et des nouveaux-nés. 

Vous pourrez apercevoir ce sentiment dans la lettre du jour écrite en hangeul au 17e siècle par un aristocrate à sa femme. Cette dernière séjournait chez ses parents pour l’accouchement. Ce billet fait partie des lettres que monsieur expédia à madame à l’approche de la date de l’accouchement. 


« Chérie, comment ça va ? As-tu toujours mal à la poitrine ?  Tu sais, en ce moment, j’ai bien des choses qui me tracassent. Mais ce qui m’inquiète le plus, c’est ta santé. Dès que les douleurs commencent, envoie-moi quelqu’un, même en plein milieu de la nuit. Je partirai tout de suite. Donc, contacte-moi immédiatement mais immédiatement dès que tu commences à souffrir des premières contractions. 

Si j’arrive à recevoir la nouvelle à temps, je récompenserai généreusement la personne qui me l’apportera. Dis-le clairement à nos domestiques. Donc, dès que tu apercevras les signes d’accouchement, envoie-moi quelqu’un tout de suite, tout de suite mais tout de suite ! 

Mais comment ça se fait que l’enfant tarde à venir encore alors que la date d’accouchement prévue ce mois-ci est presque arrivée ? Est-ce que parce que nous l’avons mal calculée ? Ici, je tourne en rond et ne fais qu’attendre de tes nouvelles. Tu te rends compte combien grande est mon impatience ? 

Je t’envoie avec cette lettre des herbes médicinales. Mais ne commence pas à en prendre avant mon arrivée. Je tiens à les infuser moi-même pour toi. Si on a bien calculé, tu devrais sentir les douleurs aujourd’hui ou demain. Donc, dépêche-moi quelqu’un immédiatement, immédiatement mais immédiatement après que les contractions auront commencé. 

Ah, surtout, ne t’inquiète pas que ce soit une fille. Ce qui compte avant tout, c’est ta santé. Pourvu que tu sois en forme, que m’importe le reste ! »

Ce billet fait partie des 176 lettres découvertes dans le tombeau de madame en 1989 avec quelques vêtements et couettes de l’époque. Une nouvelle fois, véritable jackpot pour les historiens ! Elles furent écrite entre 1602 et 1646. 106 d’entre elles furent écrites par monsieur à madame, 42 par l’une de leurs filles à madame, et le reste, de madame à monsieur, etc. Et 171 lettres furent écrites en hangeul, cinq autres en caractères chinois.

Le nom de monsieur est Gwak Joo(곽주). C’est un cousin de l’un des plus célèbres généraux volontaires du temps de la guerre d’invasion nipponne (1592-1598), Gwak Jae-woo (곽재우, 1569-1617). Madame s’appelait la dame Ha. Gwak l’épousa suite à la mort de sa première femme. Avec cette dernière, il eut un fils et avec Ha, quatre filles et quatre fils. Le bébé à venir était leur quatrième garçon.

D’après ses lettres, Gwak Joo semble avoir été un mari et père aimant et très attentionné comme on le voit dans cette lettre. Par ailleurs, il donnait souvent des conseils très minutieux sur les tâches ménagères, ce qui nous permet de reconstituer la vie quotidienne des nobles de l’époque. Par exemple, il dicta, dans une lettre, le menu à préparer pour la visite d’un oncle ou les vêtements pour habiller les enfants pour leur sortie, etc. 

Alors revenons au moment de l’accouchement de madame Ha. D’après des lettres envoyées par la suite, on peut présumer que monsieur réussit à assister à la naissance de son quatrième fils. Comme il n’avait pas envoyé de lettre pendant un certain temps après  l’accouchement, on peut présumer qu’il passa quelques mois chez ses beaux-parents auprès de son épouse et du nouveau-né. Puis, de retour à leur maison, il envoya encore plusieurs lettres pour s’enquérir des nouvelles de son petit dernier. Voici quelques extraits : 

« Dae-im (le nom du nouveau-né) boit-il toujours bien du lait ? J’aimerais tant savoir comment il grandit. » 

« Dae-im arrive-t-il maintenant à marcher ? Peut-il rester debout longtemps ? Je ne parviens à l’oublier un seul instant. Cheol-ryeo (l’une de leurs filles) se porte-elle bien aussi ? Et Bok-ryeo (une autre fille), pense-t-elle de temps à temps à moi ? Dis au petit (probablement le troisième fils) d’apprendre vite le hangeul pour qu’il puisse m’écrire des lettres. Comme je ne peux pas envoyer de lettre à l’aîné faute de papier, transmets-lui ce message : ‘Fais-moi tout de suite savoir si maman ou un de tes frères et sœurs tombe malade’ »  

* Jusqu’au 16e siècle, il était courant que les couples mariés s’installent chez les parents de l’épouse. Mais suite aux guerres d’invasion de la part des Japonais et des Mandchous qui eurent lieu à la fin du 16e siècle et au début du 17e siècle, la classe dirigeante renforça l’ordre patriarcal et de plus en plus de ménages vécurent chez les parents du mari. Cependant, les femmes retournaient souvent chez leurs parents pour l’accouchement. Elles y restaient jusqu’à ce que le nouveau-né atteigne un certain âge, elle était parfois accompagnée de ses autres enfants en bas âge. 

* Pour en savoir plus sur les conditions de vie des femmes de Joseon : https://ours15.blogspot.com/2023/08/les-conditions-de-vie-des-femmes-de.html

* Source : Les lettres de Joseon décrivant les détails de la vie quotidienne de l’époque (#시시콜콜한조선의편지들 ). Ce livre regroupe en neuf thèmes des lettres écrites en hangeul et en caractères chinois à l’époque de Joseon. Le jeune auteur de ce livre, Park Young-seo, âgé de 34 ans, a également ajouté des explications craquantes à la fin de chaque lettre qu’il présente. Une véritable pépite ! J’en ai déjà présentés deux mais il y en a encore plein d’autres qui sont plus craquantes les unes que les autres. 

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