Romance : Camélias (김유정, ‘동백꽃’, 1936)


C’est une histoire d’amour (?) entre les deux adolescents âgés de 16 ans. Elle se passe au fin fond d’une campagne dans les années 1930. 

Cette nouvelle reflète forcément l’ambiance conservatrice de l’époque. Les deux personnages se préoccupent, par exemple, constamment des regards des autres.  Par ailleurs, la mère de garçon lui ordonne de ne jamais « faire des bêtises » avec la fille, qui s’appelle Jeomsoon. 

Le garçon ne cherche d’ailleurs pas à enfreindre cet ordre d’autant plus il n’est pas particulièrement intéressée par la fille. Enfin, il la trouve jolie et diligente comme les autres du village mais ça s’arrête là. 

Or, Jeomsoon, plus entreprenante et audacieuse, est bien attirée par lui. Contrairement à la veuve de « L’invité de la chambre d’hôtes et ma mère », elle n’hésite pas à lui faire des avances la première. 

Cependant, lui, un vrai ours, ne voit absolument rien venir et la vexe sans le savoir en refusant brutalement trois patates offertes par elle. 

Alors, elle cherche coûte que coûte à se venger de cette humiliation mortelle. Mais lui, et ne comprend pas pourquoi elle le harcèle avec autant d’obstination. 

Les adolescents coréens apprennent ce roman à l’école et adorent ce récit d’autant plus que les deux protagonistes ont leur âge. On se plaît à s’identifier à eux dans leur jeu d’amour. 

* Le titre de la nouvelle prête au malentendu, car, les fleurs de camélia (동백꽃) signifie aussi, en dialecte de la région où se déroule cette histoire, les fleurs de buisson de gingembre (Lindera Obtusiloba), elles, toutes jaunes. 

La couverture de la première édition de la nouvelle 


Le narrateur du récit est le garçon. 

Voici mon résumé de cette nouvelle : 

- Aujourd’hui encore, notre coq poussa des cris épouvantables. Il venait de recevoir des attaques du coq de Jeomsoon, plus puissant et agressif que lui. Une nouvelle fois, ça doit être elle qui les ont incités à se combattre dans le seul but de m’exaspérer ! 

Je ne sais pas ce qu’elle a, la petite coquine, mais depuis quelques jours, elle semble chercher tous les moyens pour me mettre hors de moi ! Par exemple, il y a quatre jours, quand l’affaire des patates éclata, elle était vraiment bizarre. 

Cet après-midi-là, je réparais tranquillement la haie de la ferme. Je la croyais partie à la colline pour ramasser des légumes sauvages. Mais non. Je la retrouvai tout à coup juste derrière moi. Elle s’était approchée de moi en étouffant le bruit de ses pas. 

 « Tu travailles seul ? », « Mais oui, tu vois bien que je ne suis pas en équipe », lui répondit-je d’un ton bourru. Mais au fond, je fus un brin étonné par autant de familiarité de sa part, car même jusqu’à la veille, on gardait bien sagement une distance comme il faut entre une fille et un garçon de notre âge. Par pudeur, on ne s’échangeait même pas de petits saluts quand on se croisait. 

Mais là, au lieu de s’en aller, elle continua de tourner autour de moi en me débitant des propos insignifiants, du genre,  « Pourquoi tu répares déjà la haie, tu pourrais attendre jusqu’à l’été pour le faire ! » ou bien « Tu aimes bien travailler ? »

Puis, elle éclata de rire, toute seule, tout en fermant sa bouche de peur que les autres l’entendissent rigoler. Cependant, il n’y avait absolument rien de drôle ! Du coup, je me demandais si l’arrivée du printemps ne l’avait pas rendue un peu folle. 

Elle s’approcha encore plus près de moi avant de me tendre, brusquement, trois grosses patates grillées encore fumantes qu’elle avait soigneusement enveloppées dans son tablier. 

« Chez toi, vous n’avez pas des choses comme ça, non ? », lança-t-elle fièrement avant d’ajouter, à voix basse, de les manger tout de suite sur place pour que personne ne sache qu’elle me les avaient offertes : « Tu sais, les patates de printemps sont délicieuses ! » 

Piqué par son « Chez toi, vous n’avez pas des choses comme ça », je répondis d’un ton bourru tout en travaillant sur la haie : « J’en veux pas. Mange-les toute seule !» Je ne pris même pas la peine de me retourner. Je repoussai simplement, d’un geste las, les trois patates qu’elle m’avait tendues. 

Je crus qu’elle allait partir aussitôt. Mais non. Quelques instants après, je l’entendis haleter bruyamment. Intrigué, je daignai enfin me retourner et que vis-je ! Jeomsoon me fusillait d’un regard on ne peut plus rancunier !


Je ne l’avais jamais vue aussi rouge depuis mon arrivée dans ce village il y a trois ans. En plus, j’aperçus quelques larmes dans ses yeux ! Elle ! La brave Jeomsoon ! Ce n’est vraiment pas son genre d’être timide ni de montrer ses larmes quand elle est en colère. Jeomsoon telle que je connais aurait dû me frapper durement le dos avec son panier. 

Elle s’en alla en courant. Elle trébucha tellement qu’on aurait dit qu’elle allait tomber d’un moment ou autre. 

- C’est depuis cette scène grotesque qu’elle s’obstina à me faire enrager dès qu’elle m’apercevait. Cependant, il n’y avait vraiment pas de quoi. Si ce n’était pas poli de refuser ses patates, il n’était pas non plus très correcte d’ajouter : « Chez toi, tu n’as pas de choses comme ça » en me les offrant. 

Déjà, nos parents font très attention pour ne pas contrarier les siens car on afferme le champ qui leur appartient. Et ils nous aidèrent à trouver un logement lorsque nous venions d’arriver dans ce village sans grandes ressources. En plus, quand il arrive qu’on manque de nourriture en attendant la saison des récoltes, les parents de Jeomsoon n’hésitent pas à nous prêter des céréales. 

Ainsi, maman ne tarit pas d’éloges à leur égard et m’avertit de ne pas rester seul avec elle, ce qui pourrait répandre une mauvaise rumeur. Parce que si on fait des bêtises, notre famille risquerait d’être chassée. 

Dans ce contexte, pourquoi m’accable-t-elle avec autant de hargne sans aucune raison compréhensible ?  

- Le soir du lendemain, lorsque je revenais de la colline avec une grosse botte de bois sur le dos, je la découvris dans la cour de sa maison. Elle était en train de frapper le derrière de notre poule aux œufs !  Elle avait dû guetter mon arrivée pour se livrer à une telle provocation. 

Indigné, je pris un bâton et je criai en frappant frénétiquement la haie qui sépare nos deux maisons : « Espèce de mauvaise garce ! Veux-tu donc rendre stérile notre poule? »

Elle ne sourcilla même pas et continua de frapper encore plus fort la pauvre bête. « Mais tu vas la tuer ! »,  m’écriai-je au comble de la colère. 

Là, elle s’arrêta, grimpa la haie mitoyenne puis, en haut de la haie, jeta la poule sur ma tête : « Prends cette saleté. Mais qu’est-ce qu’elle est sale ! », « Qui t’a dit de prendre une chose si sale, salope ! »

Au moment où je me retournai pour gagner notre poulailler, elle décocha une série d’insultes derrière mon dos avec une toute voix à peine audible: « Espèce de gros con ! Tu es, en fait, un impotent inné ? Non ? »

Si seulement elle s’était arrêtée là… mais elle ajouta aussitôt : « On dit que ton père, c’est un impuissant ! » 

Exaspéré, je retournai ma tête pour lui répliquer : « Quoi, mon père est un impuissant ? » Mais elle n’était déjà plus là. Elle s’éloigna en répétant des énormités qu’elle venait de me débiter.  

- Mais les attentats de Jeomsoon ne s’arrêtèrent pas là. Dès qu’il n’y avait personne, elle venait chez moi avec son coq pour lui faire combattre le nôtre, car elle était sûre que son coq allait gagner. En effet, à chaque fois, c’était notre coq qui essuyait une défaite sanglante. 

A un moment donné, je me dit qu’il était bien temps de passer à la contre-attaque. Pour rendre plus fort le nôtre, je lui fit manger du gochujang. Parce que j’avais entendu quelque part que si on fait comme ça, le coq aurait plein d’énergie comme un taureau qui vient d’avaler une vipère. Heureusement, il eut l’air de bien l’aimer comme il en dévora, tout de suite, une bonne quantité.

Quelques heures plus tard, je l’amenai au champ où pavanait le coq de Jeomsoon. Le gochujang produisit ses effets ! Cette fois-ci, le nôtre se montra plus vaillant, en picorant vigoureusement son adversaire. 

Jeomsoon, qui les observa chez elle depuis un certain moment, fronça les sourcils. 

Pourtant, furieux par cette attaque violente, le coq de Jeomsoon lança une contre-offensive encore plus féroce qui anéantit presque le nôtre. Jeomsoon ne manqua pas d’éclater de rire. 

- Le lendemain après-midi, je descendais de la colline avec une grande botte de bois sur le dos. Sur le chemin, le son d’un pipeau m’arrêta net. Les fleurs de l’arbre de gingembre étaient épanouies entre de gros rochers et au milieu de cette fleur, Jeomsoon jouait toute seule au pipeau, tranquille.

Mais ce qui m’interpella le plus, c’était le bruit de coq qui voletait. En laissant de côté le fagot, je courus à toutes jambes pour sauver notre coq qu’elle avait dû amener là pour le mettre en combat avec le sien. 

Comme je l’avais deviné, notre coq agonisait aux pieds de Jeomsoon. Là, je n’en pus plus. Non seulement l’état pitoyable de la pauvre volaille mais surtout la nonchalance de Jeomsoon devant cette scène finirent par m’assommer. 

Autrefois, je l’avais trouvée plutôt sympa comme c’est une fille habile et diligente. Par ailleurs, je ne la trouvais pas trop moche. Mais maintenant, on aurait dit que ses yeux étaient ceux de renard. 

Dans la foulée, je pris le coq de Jeomsoon avant de le jeter par terre avec fureur. Ensuite, je tombai par terre car elle me poussa énergiquement en me tapant le ventre. « Pourquoi as-tu tué notre coq ? » « Pourquoi pas ? », « Pourquoi pas ? As-tu oublié à qui il appartient ? »

Ses propos finirent par me rendre la raison. Mais qu’ai-je fait ! Notre famille serait, sans doute, chassée de la ferme et devrait errer longtemps sans abri… Pris de panique, j’éclatai de pleurer en me relevant en titubant. 

« Alors, promets-tu de ne plus refaire ça ? » me demanda Jeomsoon. Comme cette question me fit entrevoir une lueur d’espoir, je répondis tout de suite: « Oui, oui ». Cependant, j’ignorai complètement de quoi elle parlait. « Si tu refais ça, moi aussi, je recommencerai ! », « Non, non, crois-moi, je ne répéterai jamais», « Bien ! Ne t’en fais pas. Je ne dirai à personne que tu as tué notre coq ». 

Tout à coup, comme si elle avait été poussée par quelque chose, elle tomba sur moi en appuyant ses bras sur mes épaules. Du coup, je tombai moi aussi par terre. Nos corps se trouvèrent ainsi superposées, entièrement cachés dans les fleurs jaunes de buisson de gingembre. 

L’odeur à la fois piquante et douceâtre de ces fleurs m’étourdit comme si je m’enfonçais encore et encore sous la terre. Dans ce vertige, j’entendis Jeomsoon susurrer à mon oreille : « Ne dis rien.» « D’accord » 

Mais quelques instants plus tard, une voix furieuse retentit dans toute la vallée : «Jeomsoon ! Jeomsoon  Mais où diable t’en es-tu allée en délaissant ta couture ? »
C’était la mère de Jeomsoon qui venait de rentrer d’une sortie. 

Apeurée, Jeomsoon n’eut d’autre choix que de descendre en rampant sous les fleurs. Je m’enfuis, à mon tour, vers le haut de la colline en me cachant derrière les rochers. 


Commentaires