Essai : « En plantant des arbres autour du tombeau de ma femme»


A l’époque de Joseon (1392-1910), comme dans bien d’autres pays à l’époque, le mariage de raison était la règle. Les parents arrangeaient le mariage de leurs enfants en fonction de différents critères sociaux, économiques, politiques, etc. Et très souvent, les intéressés se voyaient pour la première fois le jour de leurs noces ! 

Et pourtant, de nombreux documents privés, tels que les lettres et les journaux, nous apprennent qu’il y avait beaucoup de dames et de messieurs qui devinrent amoureux au fil de leur existence commune, comme l’attestent les lettres écrites par des hommes nobles de l’époque que j’avais publiées sur ce groupe. 

Cet essai de Shim No-sung (심노숭, 1762-1837) en est également une magnifique illustration. Il se maria à l’âge de 16 ans avec l’une des filles de la famille Yi de Jeonju, le clan prestigieux auquel appartenait la famille royale. Il eut un fils et trois filles avec elle, mais son fils et sa première fille décédèrent en bas âge. 

Le pays natal de Shim était Paju, ville située au nord de Séoul, près de l’actuelle frontière intercoréenne. Mais comme son père occupait un poste clé à la Cour et que lui-même était inscrit à Seonggyungwan, l’institut qui formait des futurs hauts fonctionnaires, depuis 1784, il résidait à Séoul avec sa famille, au pied du mont Namsan. Il réussit le concours des fonctionnaires en 1790. 

Hélas, deux ans plus tard, en 1792, son épouse bien-aimée et leur petite dernière, alors âgée de 4 ans, quittèrent notre héros du jour. Shim fut tellement affligé par ces pertes qu’il écrivit 26 poèmes et 23 textes en proses dédiés à sa défunte femme. 

Voici le texte du jour qui en fait partie. Il fut écrit en 1793, un an après le décès de madame. 

Autrefois, dans le jardin de notre maison située au pied de Namsan, il y avait beaucoup d’arbustes à fleurs. Cependant au fil des ans, ils périrent les uns après les autres. C’est en partie parce que j’étais trop paresseux pour les entretenir mais surtout parce que la maison, elle-même, était tellement délabrée que cela ne me donna guère envie de l’embellir. 

Un jour, mon épouse me reprocha : « Il paraît que bien des hommes adorent les fleurs à tel point que certains d’entre eux vont jusqu’à vendre des bijoux de leurs femmes à la dérobée pour acheter de beaux arbustes. Mais pourquoi tu n’y songes point ? Malgré la décrépitude de notre demeure, si on arrive à l’embellir avec des fleurs, notre maison pourra jouir d’une belle réputation. » 

« Dans ce cas, lui répondis-je, il nous faudra tout d’abord réparer notre maison. Mais moi, je n’ai pas trop envie de l’habiter pendant longtemps. Donc, ce sera inutile de créer un beau jardin ici. Tu sais, je rêve de retourner dans mon pays natal avec toi et d’y planter plein d’arbres à fleurs. Comme ça, on pourra offrir leurs fruits à nos défunts ancêtres. Et quant à nous deux, nous pourrons jouir de la belle vue de leurs fleurs jusqu’à ce que nos cheveux deviennent blancs comme des racines de poireau. Voilà, mon plan. »

Ma femme rit d’aise tellement cette explication lui donna de l’espoir. 

Lorsqu’on entama la construction d’une petite maison à Paju, ma ville natale, madame s’en félicita : « Enfin, je comprends ce que tu voulais dire ! » Tout au long des travaux, je discutai étroitement avec elle en ce qui concerne le plan de la maison et de son jardin dans les moindres détails. 

Malheureusement, quelques jours avant la fin de la construction, mon épouse tomba gravement malade. Je passai mon temps à prendre soin d’elle. Lorsqu’elle se montrait un peu mieux, je profitais de ce répit pour aller à Paju superviser les travaux. Au moment où elle rendit son dernier souffle, elle me pria, les larmes aux yeux : « Et notre maison à Paju ? Tu m’enterreras sûrement près d’elle, n’est-ce pas ? » 

Le jour du déménagement, ma femme arriva à notre nouvelle demeure dans un cercueil. Comme promis, j’inhumai son corps à moins de cent pas de la maison. Ainsi, j’avais l’impression qu’elle venait m’accompagner à chaque fois que je prenais du repas. 

La colline où elle repose est célèbre pour sa verdure luxuriante. Cependant, il fallait déterrer plusieurs arbres qui n’étaient pas de bonne qualité et qui faisait trop ombrage. Je fis planter une trentaine de cèdres et transplanter ceux de  notre ancienne maison. Je fis surtout attention à ne pas priver son tombeau des rayons du soleil. Jusqu’à la fin de ma vie, je n’oublierai jamais d’embellir, le printemps comme l’automne, son tombeau avec de beaux arbres. 

Hélas ! Que n’ai-je exaucé son vœux de fleurir notre jardin de son vivant ?  Finalement, je ne pus passer aucun moment avec ma bien-aimée dans notre nouvelle maison. Et me voilà laissé seul, inconsolable. Que les êtres humains sont sots de repousser la réalisation de leur bonheur en se croyant quasi immortels !

Comme je suis d’une constitution faible, à mon tour, je pourrai partir à tout moment . Même si le Ciel me permet, je ne pourrai vivre à peine trente à quarante ans de plus. Et une fois mort, je devrai affronter cette Eternité.

Je ne pus vivre avec mon amour dans notre nouvelle maison. Je me réjouis, pourtant, à l’idée de passer l’éternité avec elle dans cette colline de Paju. C’est la raison pour laquelle je m’obstine à planter des arbres autour du tombeau de ma femme. C’est pour me faire récompenser de mon rêve évanoui, pour évacuer mon chagrin et pour apprendre à mes descendants mon amour pour mon épouse. Donc, que personne ne touche à ces arbres ! 

Certains me railleront : « Vous devriez plutôt penser à bien vivre le reste de votre vie ici-bas au lieu de planifier votre existance d’au-delà. De toute façon, vous ne sentirez plus rien une fois mort. Alors, à quoi servira votre plan ! » 

Je leur répondrai : « J’ai dû mal à supporter l’idée que les êtres humains ne peuvent rien sentir après leur décès. »

Commentaires

  1. Quelle fraîcheur et sincérité ressentie dans la lecture de ce texte. L'écrivain exprimé parfaitement son ressenti et nous pourrions nous croire sur place à observer ces arbres et leur lieu de paix eternnelle

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