L’autoportrait de Yun Du-seo (윤두서, 1668-1715)

L’autoportrait de Yun Du-seo 

« Ce n’est pas évident, par moments », m’a confié la maman de Noah, un copain de Petit Ourson, dans la voiture qui nous amenait au marché traditionnel de Cheongnyangni.  « De vivre comme une bonne et une nourrice au foyer, a-t-elle continué, alors qu’avant le mariage, j’ai connu un grand succès en commerce. Vous comprenez parfaitement ce que je veux dire, madame la mère de Petit Ourson. Mais bon, j’ai choisi d’assister mon mari et de bien élever notre fils que nous avions attendu si longtemps. J’assume ma décision mais je ne puis m’empêcher d’éprouver de vagues regrets de temps à autres.»

Oui, je sais ce que c’est, perdre sa place dans la société. J’ai fait le même choix que cette dame et ce n’était pas facile au début. Bon, grâce à mes échanges quotidiens avec vous, je me félicite maintenant de mon choix. Autrement, je n’aurais pu découvrir le plaisir de faire des recherches sur l’histoire de Corée qui ne m’intéressait guère auparavant. 

Cependant, lorsque j’ai redécouvert le tableau du jour dans un livre sur l’histoire de Joseon(1392-1910) et le commentaire de l’écrivain sur cet œuvre, je me suis rappelé la grande amertume que j’éprouvais au début de ma vie de femme au foyer.

Mais d’abord, qui est l’auteur de cet autoportrait troublant ?

Il s’agit de Yun Du-seo (윤두서, 1668-1715). Issu d’une famille noble et riche, il réussit au petit concours d’embauche des officiels civils en 1693 à l’âge de 26 ans. 

Mais pas de chance ! 

Juste un an plus tard, le roi de l’époque, Sukjong(숙종, 1661-1720), renversa l’échiquier politique. Il liquida le parti Namin qui était au pouvoir depuis 5 ans, destitua son épouse, restitua son ex-reine et avec elle, le parti Seoin qui la soutenait. Certes, c’était un grand roi qui aimait le peuple et les chats. Mais ce monarque absolu avait un sacré caractère et bon nombre de ses proches en souffrirent. 
* Pour l’histoire du roi Sukjong et ses chats :

Par malheur, la famille Yun appartenait au parti Namin. Yun Du-seo vit son troisième grand-frère périr au milieu de ce séisme politique et comprit que sa carrière politique était condamné à jamais. Il n’eut d’autre choix que de renoncer À postuler au grand concours qui lui aurait pu permettre de décrocher un bon poste à la Cour.

Heureusement, c’était un homme très curieux pourvu d’un esprit libre et ouvert. Au lieu de rester frustré, il profita de son temps libre et de sa fortune pour poursuivre ses recherches dans différents domaines plus pratiques que le néo-confucianisme, tels que l’astrologie, la géographie, les mathématiques, l’art de la guerre, la médecine, etc. ce faisant, il se procura beaucoup de livres importés de la Chine et bon nombre d’entre eux présentaient des peintures et des sciences venues de l’Occident.   

Ainsi, il devint l’un des précurseurs du mouvement de réforme confucianiste baptisé « silhak », ce qui signifie « études pratiques ». Ce n’est pas un hasard si l’un de ses arrière-petit-fils est Jeong Yak-yong(정약용,1762-1836), l’homme d’État et l’un des chercheurs du silhak les plus célèbres et que le roi Jeongjo (정조, 1752-1800) chérissait.

En parallèle, il ne cessa pas de se perfectionner dans la peinture. Cet art était pour lui l’un des moyens qui lui permettaient de mieux comprendre le fonctionnement  de l’univers. Ce qui comptait pour lui, c’était de reproduire dans les détails l’objet de sa peinture. Mais il ne s’arrêta pas là, il essaya surtout de surprendre l’essence ou l’âme qui gisaient au fin fond de chaque objet ou modèle. Il excella ainsi dans les portraits et les peintures de chevaux. Dans son exercice, il essaya quelques techniques de la peinture occidentale. 

Ce qui était également nouveau, c’est qu’il aimait peindre des roturiers ordinaires, tels que des paysannes qui cueillent des légumes dans les champs ou des artisans qui confectionnent des chaussures. Ses tableaux inspirèrent ainsi les grands peintres du 18e siècle, tels que Kim Hong-do, qui laissa de nombreux chef-d’œuvres représentant des scènes de vie ordinaire du peuple. 

A n’en pas douter, à posteriori, Yun Du-seo, apporta d’innombrables contributions pour le développement du pays, sans doute bien davantage que ce qu’il aurait pu faire dans des postes clés de la Cour. 

Mais à l’époque de Joseon, l’idéal confucianiste de tous les hommes aristocrates était de devenir un homme d’État et d’assister le roi pour, par ce biais, améliorer la vie du peuple. Bien sûr, ce rêve n’était réalisable qu’à un nombre extrêmement restreint d’élites, comme la compétition lors des concours de fonctionnaires civils était rude. Cependant, Yun Du-seo venait de franchir la première étape pour y arriver lorsque sa famille fut expulsée de la Cour. Vivre sans titre officiel alors qu’il en avait des moyens intellectuels et financiers n’aurait pas été toujours facile à supporter pour Yun. Et voici le commentaire du livre sur l’auto-portrait du jour qui m’a profondément touchée : 

« Dans ce contexte, Yun Du-seo dut se poser de temps à autre cette question, ‘Qui suis-je ?’. Cet autoportrait semble être la réponse. Car il remplit une grande partie de l’espace de son visage vu d’en face et on n’y voit à peine son habit. Idem pour sa coiffure. Or, dans des portraits des nobles de l’époque, on représentait le visage vu de trois quarts avec leurs vêtements et chapeaux qui montraient leurs statuts sociaux. Alors que Yun n’occupait aucune fonction publique, quelle tenue d’officiel aurait-il pu choisir pour le portrait ? Il semble avoir senti une sorte d’amertume de peindre son habit d’aristocrate ordinaire sans grade. Ainsi, on ne voit que Yun Du-seo en tant qu’être humain, qu’on ne peut qualifier ni par son statut, ni par sa classe sociale. 

Il aurait peut-être essayé de se convaincre que même s’il n’avait pas sa place dans la société, cela ne voulait pas dire que sa vie était inutile. Il se serait consolé qu’au contraire, sa situation lui permettait de vivre, chaque jour, pleinement sa vie intérieure et de satisfaire sa curiosité en approfondissant ses connaissances. Le Yun peint dans ce tableau semble dire, pourtant, que malgré tout cela, il ne pouvait pas entièrement effacer le sentiment d’être mis à l’écart. Et qu’au lieu de refouler ce regret, il fallait accepter son existence . »

L’autoportrait de Yun Du-seon fut classé comme trésor national numéro 240 en 1987. 
Source : 이종수, 조선회화실록 (Lee Jong-su, « Les annales de peintures de Joseon »)

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