Le billard et les jjajangmyeons

Quel est l’endroit où on peut manger le meilleur jjajangmyeon en Corée ? C’est la salle de billard. 

En 1998, quand je venais d’entrer à la fac, le jjajangmyeon, la salle de billard et l’université formaient encore à l’époque un trio inséparable. 

C’était avec mes copines du département de langue et de littérature française que je suis allée pour la première fois dans l’une de ces salles après les cours. Nous avions 18 ou 19 ans. 

Dès le seuil de l’établissement, l’odeur du jjangmyon nous a frappées alors qu’on avait toutes bien faim, comme l’heure du souper approchait. 

Un instant après, nous nous extasions devant les aînés (선배) qui maniaient de manière si charmante leur queue de billard, d’un air super concentré et avec des regards si sérieux qu’on aurait dit des acteurs sortis des films. 

A côté d’eux, nos camarades de classe qui commençaient à apprendre le billard nous paraissaient comme de petits gamins maladroits. 

Trop contents des signes palpables de notre réelle admiration, les aînés, qui étaient « bien plus vieux » que nous, de 4 à 5 ans de plus, nous ont commandé des jjajangmyeons avec des mandus frits. Qu’est-ce que c’était bon, tout cela ! 

Soit dit en passant, en Corée, beaucoup de garçons suspendent leurs études à la fin de la première ou de la deuxième année de la fac.  Puis deux ou trois ans plus tard, ils reprennent leurs études. 

Parce qu’en règle générale, on préfère finir vite le service militaire car si on est trop âgé, c’est humiliant d’avoir un grade inférieur à ceux qui sont moins âgés. Cette pratique de suspendre ses études pour faire le service militaire avant la fin des études est tellement répande qu’il y a même une expression qui les désigne, « étudiants de retour, 복학생 ». 

Après, les aînés nous ont appris à jouer au pocket ball, beaucoup plus facile que le jeu à quatre balles. 

Ce genre d’apprentissage constituait une excellente occasion pour des « prof » et des « élèves » qui se sentaient attirés les uns par les autres d’échanger des regards furtifs et de se frôler discrètement les mains.

Je crois que c’est depuis les années 1970 que le billard est devenu très populaire chez les étudiants masculins, pas chez les étudiantes qui étaient, par ailleurs, beaucoup moins nombreuses qu’aujourd’hui. 

Aux alentours des campus universitaires, on pouvait trouver facilement une dizaine de salles de billard.  Dès qu’un garçon entrait à la fac, il s’initiait systématiquement au billard et à l’alcool sous les directives des aînés. 

Je suis de la dernière génération à avoir connu cette ambiance. A partir des années 2000, les salles de billards cédèrent petit à petit la place aux salles de PC. Les étudiants d’aujourd’hui jouent plutôt aux jeux vidéo. 

Malgré le déclin du billard dans le milieu universitaire, dans le pays, il y a toujours pas mal d’amateurs du billard. Et d’après mes petites recherches, le jjajangmyeon reste toujours leur compagnon indispensable. 

Mais pourquoi le jjajangmyeon ? 

Autrefois, le service de livraison des plats n’était pas aussi développé qu’aujourd’hui. C’étaient surtout les restos chinois coréanisés qui offraient ce service même pour un seul bol de jjajangmyeon. Ils disposaient des motocyclettes et des livreurs pour ce faire. 

Par ailleurs, le jjangmyeon était à la fois l’un des plats les plus accessibles et les plus délicieux qu’on pouvait trouver dans des restos. 

(Pour l’histoire du jjajangmyeon :
https://www.facebook.com/groups/2608580949458549/permalink/3059599867689986/ )

Enfin, selon l’explication d’un internaute, le jjajangmyeon est devenu l’enjeu préféré des amateurs de billard au début des années 1970 alors qu’ils aimaient souvent faire des paris sur les résultats de leurs matchs. 

Certains patrons auraient eu l’idée de proposer ce plat succulent bon marché comme mise au lieu de l’argent car lorsque que ce dernier était en jeu, les matchs finissaient parfois par de violentes querelles, voire des bagarres.  

Grâce à ce changement, l’ambiance dans ces établissements est devenue plus conviviale. En effet, les perdants ouvrent volontiers leur bourse pour offrir du jjangmayeon à son adversaire. 

Que de bonheur quand le livreur du resto chinois ouvre la porte avec des bols remplis de jjangmyeons encore fumants, quel que soit le résultat du match ! 

Ah, ça me donne faim, toutes ces histoires. Je commanderai du jjajangmyeon un de ces quatre. Les oursons en raffolent, eux aussi

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