*Photo : L’une des dernières gisaeng de Joseon (1392-1910), Kim Ok-yeob.
Elle devint, elle aussi, l’une des plus célèbres chanteuses dans les années 1920.
Il était une fois, au 16e siècle à Joseon, une petite fillette maigrelette dont le visage ressemblait à un singe et dont les yeux étaient aussi bridés qu’une flèche tordue. Elle s’appelait Seok-gae (석개), qui veut dire un petit caillou. Elle appartenait à la classe inférieure.
Un jour, l’enfant entra au service de l’une des familles les plus illustres de l’époque. Le maître de la maison, Song In (송인, 1516-1584), était l’un des gendres du roi Jungjong (1488-1544). Il était également fin connaisseur d’art et lui-même excellait dans la calligraphie. Ainsi, sa demeure et le pavillon construits au bord du fleuve Han étaient des lieux appréciés des aristocrates hauts placés et amateurs d’art, ainsi que des gisaengs belles et talentueuses, ces courtisanes qui accompagnaient des hommes nobles lors de leurs banquets.
* Pour en savoir plus sur ces femmes artistes : https://ours15.blogspot.com/2023/10/lhistoire-des-gisaengs.html
La première mission de l’héroïne du jour dans cette maison respectable fut d’apporter de l’eau puisée dans un puits. Or, arrivée au puits, elle ne pensa nullement à s’acquitter de son devoir. Elle mit ses seaux aux abords du puits. Ensuite, elle chanta toute la journée avant de rentrer les mains vides. Bien entendu, elle fut punie sévèrement.
Mais elle récidiva le lendemain, le surlendemain et ainsi de suite. Elle fut fouettée et objet de toutes les insultes possibles. Rien n’y fit. Alors, on décida de changer sa mission et on l’envoya sur des collines pour qu’elle cueille des herbes médicinales.
Là encore, notre enfant récalcitrante ne songea point à son boulot. Elle se mit même à s’entraîner plus sérieusement au chant. Elle ramassa d’abord une grande quantité de cailloux, les mis à côté de son panier, puis, elle mit un caillou dans le panier dès qu’elle finissait une chanson. Une fois le panier rempli, elle le vida et recommença à chanter en le remplissant de nouveau en chantant. Elle vida et remplit le panier de la sorte trois ou quatre fois. Lorsqu’elle fut rentrée, bien sûr, le panier était vide. Furieuse, elle fut châtiée encore plus fort. Mais rien ne pouvait faire fléchir la petite servante têtue. Le lendemain, elle reprit son entraînement et laissa tomber dédaigneusement son travail, quitte à se faire fouetter le soir.
L’histoire de cette drôle finit par parvenir aux oreilles de Song In, son patron. Loin de s’indigner contre cette petite rebelle, il apprécia à sa juste valeur la passion de cette dernière pour la musique. Il décida ainsi de lui donner sa chance. Il lui fit apprendre le chant.
Je crois que dans cette perspective il l’aurait inscrite à une école de gisaeng de Séoul. A l’époque, chaque municipalité avait son école de gisaengs. Là, les jeunes filles dès l’âge de 5 à 6 ans apprenaient différents arts destinées à rehausser l’ambiance des banquets publics ou privés, tels que le chant, la danse, des instruments musicaux, les poèmes, etc.
Le projet de l’amateur de d’art eut un grand succès. Seok-gae devint la plus célèbre chanteuse du pays ! Selon l’auteur du livre qui relaie son histoire, Yoo Mong-in (유몽인, 1559-1623), au cours du siècle passé, il n’y avait pas eu une chanteuse aussi talentueuse. Les hommes de la haute société, des membres de la famille royale, de hauts dignitaires, etc, s’empressaient de l’inviter. Habillée d’une somptueuse tenue de soie et assise sur une selle magnifiquement brodée, mise sur un cheval de première race, elle y arrivait. Dès qu’elle finissait un chant, les convives la couvraient d’or et de soie. Seok-gae devint vite riche. Et sa fille, Ok-saeng, devint une chanteuse tout aussi célèbre qu’elle.
L’ancienne servante en bas d’échelle jouissait surtout des hommages que des nobles puissants et cultivés de l’époque n’hésitèrent pas à lui rendre. Inspirés par ses chants, une dizaine de Premiers ministres et de ministres écrivirent des poèmes en son honneur.
Quelques années après le décès de Song In, le bienfaiteur de notre chanteuse, la guerre d’invasion japonaise éclata (1592-1598) et le pavillon de Song sur le fleuve de Han où se réunissaient ses proches pour écouter les chants de Seok-gae fut brûlé…
Cependant, après ce grand conflit régional, le petit-fils de Song In, Song Gi, -reconstruisit ce bâtiment et y invita régulièrement les proches de son grand-père. L’occasion pour eux de parler de ce défunt généreux et de sa chanteuse, qui, elle aussi, avait quitté ici-bas il y avait quelques années. Ils en profitèrent de rédiger des œuvres en souvenir de leurs amis qui n’étaient plus.
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