En mai, beaucoup d’universités organisent des fêtes. Les départements et les cercles organisent différents évènements, des bars en plein air, des expositions, des petits spectacles, etc. Les étudiants invitent les anciens élèves et leurs amis. Les administrations de quelques universités organisent un grand concert en plein air, en invitant des célébrités, etc. Lorsque mes parents entrèrent à l’université, c’est-à-dire en 1966 et 1968, cette tradition était déjà bien ancrée.
C’est en mai 1968 que mes parents se rencontrèrent lors du festival organisé par l’université de ma mère. C’était une école d’art, car maman avait reçu la formation de danseuse traditionnelle depuis qu’elle était plus jeune que Petit Ourson. Elle y avait invité une connaissance qui amena un camarade de fac, mon père.
« Mais qu’elle était belle, ta mère ! me raconta-t-il lors d’un souper en tête-à-tête avec moi. Avec sa mini-jupe et ses cheveux longs qui voltigeaient dans le vent. Et quel sourire ! J’ai tout de suite juré : ‘Ou bien je me marie avec elle, ou bien je n’épouserai personne. »
Mon père naquit à Busan en 1947. En mars 1966, il débarqua dans la capitale avec plein d’espoir. Et pour cause. Il venait de réussir brillamment au concours d’entrée de l’Université nationale de Séoul (SNU), l’université la plus prestigieuse du pays. Il avait obtenu les deuxièmes meilleures notes parmi les candidats du département d’industrie textile. « Même si je n’ai pu résoudre aucun problème À l’examen de physique, précisa mon père non sans fierté, à cause d’une migraine.» A l’époque où le président Park Jung-hee cherchait à booster les exportations d’abord avec l’industrie légère, comme le textile ou la confection, c’était l’un des domaines les plus prometteurs.
Mes grands-parents étaient pauvres et ils durent aussi élever mes deux oncles et deux tantes. Comme la plupart des familles de l’époque. Mon père est l’aîné de la famille. Ainsi, papa dut non seulement financer lui-même ses études et son séjour à Séoul, mais aussi l’éducation de ses petits frères et de ses sœurs. Mais grâce à sa réussite scolaire, il put donner des cours privés à des enfants de familles riches et influentes de la capitale. Par ailleurs, il parlait parfaitement l’anglais, ce qui était fort rare à l’époque. Les parents qui avaient des filles convoitèrent le jeune étudiant de la SNU comme futur gendre.
Mais non. Ce jeune homme intelligent était avant tout un grand romantique. Il aimait jouer de la guitare et était doté d’une belle voix, il aimait chanter des chansons d’amour. Il pleurait parfois en lisant des romans et des poèmes de Hesse ou Goethe. « En plus, tu sais, me confia-t-il, elles étaient trop moches (Ah, les hommes, tous pareils de Petit Ourson à papy Ours!), ces filles riches, loin de l’idéal dont j’avais tant rêvé depuis mon adolescence . » A l’époque, les mariages de raison étaient encore la grande règle mais le mariage d’amour faisait rêver des jeunes, surtout des étudiants, qui le connaissaient à travers des romans ou des films.
En mai 1968, quand la flamme de la révolution lancée en France se propageait vers LES quatre coins de la planète, mon père fit la rencontre de la femme de sa vie. Quant à ces soulèvements étrangers, il n’en savait presque rien comme beaucoup d’autres Coréens, parce qu’à l’époque, le régime autoritaire contrôlait les médias.
A l’époque, le président Park Jung-hee jouissait d’une certaine popularité. Certes, l’ex-général de division avait pris le pouvoir par un coup d’état le 16 mai 1961. Il accéda néanmoins à la présidence par un scrutin universel direct où il battit son adversaire de justesse, soit avec un écart seulement de 0,97 % en 1963. Ensuite, son plan économique quinquennal produisit des résultats palpables dans tous les secteurs, que ce soit la manufacture, l’agriculture, les infrastructure, etc. Grâce à ces exploits, il fut réélu en 1967 (à l’époque, le mandat présidentiel était de quatre ANS et renouvelable une fois, contre cinq ans et non renouvelable d’aujourd’hui), cette fois-ci avec une victoire écrasante avec 65 % des votes exprimés. Hélas, il révisa ensuite la Constitution pour briguer un troisième mandat. Jusque-là, grâce aux résultats brillants de sa politique, la protestation des citoyens ne fut pas si violente. On avait cru qu’il se retirerait une fois achevé son troisième mandat, comme il l’avait promis. Mais lorsque Park procéda à une nouvelle révision constitutionnelle en 1972, cette fois-là pour rester à vie au pouvoir, il en fut tout autre. Le président sera finalement assassiné sept ans plus tard par l’un de proches.
Donc, je pense que pendant que mes parents faisaient leurs études, c’est-à-dire entre 1966 et 1970, les étudiants pouvaient avoir une vie plus insouciante même si beaucoup d’entre eux devaient faire des petits boulots tout en poursuivant leurs études, comme mon père.
Ces jeunes buvaient du café ou du thé dans des « dabangs, 다방», cafés de l’époque où des DJ mettaient des chansons coréennes et étrangères à la demande et des jeunes serveuses s’assoyaient parfois à côté des clients pour leur tenir la compagnie.
Et presque tous les étudiants masculins jouaient au billard. Cette tradition survivra jusqu’aux années 1990. Près des universités, il se trouvait d’innombrables salles de billard. Mon mari, de la promotion 1990, en parle encore avec nostalgie. « Tu sais, chérie, on séchait souvent des cours pour y passer toute la journée. » Moi aussi, j’y suis allée souvent pour voir les anciens étudiants jouer.
*Pour mon souvenir lié au billard :
Et bien sûr, il ne faut pas oublier des soirées copieusement arrosées de soju pour les étudiants masculins, les femmes qui buvaient encore mal vues. La bière fraîche commença à se répandre aussi. Mais ces jeunes messieurs ne pouvaient pas prolonger leur bacchanale jusqu’à ce que se lève le soleil en raison du couvre-feu. Ils devaient rentrer chez eux avant minuit. Le couvre-feu ne sera aboli qu’en 1982.
Depuis leur première rencontre, mes parents firent parfois des sorties ensemble. « On allait souvent à Myeongdong, me raconta ma mère, on mangeait des petits plats ensemble, comme des jjajangmyeons ou des kalguksus à Myeongdong Gyoza, oui, le resto que tu adores. A l’époque, Myeongdong était LE quartier de rencontre des jeunes. »
* Pour les infos pratiques et mon souvenir lié à Myeongdong Gyoza :
Enfin, la culture hippie se répandait et de plus en plus de garçons laissaient pousser leurs cheveux et les filles prenaient des mini-jupes de plus en plus courtes. Le régime autoritaire en viendra même à légiférer la restriction de ces pratiques au début des années 1970. Mais lorsque mes parents étaient à la fac, ce n’était pas encore le cas.
Ils allaient aussi au cinéma pour voir des films romantique comme « Love Story », sorti en Corée en 1971. Papa ne demanda pourtant pas la main à maman tout de suite car il fallait d’abord finir ses études et trouver du travail. Financièrement, il fallait aussi soutenir l’éducation de ses petits frères et sœurs, ce qui le retrada pour mettre de côté de l’argent pour son mariage. De son côté, maman était aussi très occupée. Elle se produisait souvent à Séoul comme en province, parfois au Japon avec ses collègues. Elle se présenta à un concours national et remporta le premier prix signé du nom du président Park Jung-hee. Elle donnait également des cours de danse à son ancien lycée, etc.
Puis les aléas de la vie les séparèrent pendant un certain temps. Mais mon père ne put oublier maman et revint, un jour, « Avec une coiffure et en tenue impeccable, se souvint ma mère, alors que quand il était étudiant, tu sais... » Et là, il la demanda en mariage et voilà ! Ils se marièrent et eurent un garçon et une fille qui parleront, les deux, le français.
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