Un père belge qui devint le pionnier du fromage en Corée !


Les oursons aiment beaucoup la Belgique en grande partie grâce à la quantité impressionnante de chocolats qu’ils ont reçu de la part de mes amis belges de Facebook. Ils apprécient aussi Tintin et les Schtroumpfs.  C’est ainsi qu’ils ont été contents d’apprendre que le fromage qu’ils aiment tant fut fabriqué pour la première fois en Corée par un père belge. Ils ont adoré son histoire que j’ai racontée à leur chevet

Il s’agit du père Didier t'Serstevens (1931-2019) qui naquit à Bruxelles en 1931 dans une famille aristocrate. Il devint prêtre en 1958 et décida de partir en mission pour la Corée du Sud. Ses parents, qui soutenaient pourtant sa vocation de missionnaire, s’y opposèrent. Et pour cause. La République de Corée était l’un des pays non seulement les plus pauvres mais surtout les plus dangereux du monde, car cela ne faisait que 5 ans qu’un simple cessez-le-feu avait été signé entre le Sud et le Nord à l’issue du conflit fratricide éclaté en 1950.

Mais rien ne put arrêter le jeune prêtre. Il embarqua en Italie début novembre 1958 et débarqua, le 8 décembre à Busan. Il fut ensuite nommé vicaire de la cathédrale de Jeondong, à Jeonju, puis curé d’une église de la paroisse de Buan en 1961. 

Prenant pitié de la pauvreté des paysans du district, Didier incita ces derniers à assécher des marais littoraux de la région. Sous sa direction, les habitants purent obtenir près de 1 km² de polder. Or, le curé dut s’absenter pendant quelques mois pour se faire opérer de la vésicule biliaire en Belgique. De retour à Buan, il vit avec consternation que ces paysans avaient vendu leur terre pour rembourser leur dette ou pour des jeux de hasard. Profondément déçu, le jeune missionnaire jura qu’il ne se mêlerait jamais plus de la vie de ses paroissiens. 



En 1964, le père Didier fut affecté à un district perdu dans des collines, Imsil, situé près de la ville de Jeonju. Les conditions de vie des habitants étaient encore plus dures et il se résolut de nouveau à intervenir pour les aider. Un jour, le curé demanda à des jeunes oisifs : « Mais pourquoi ne travaillez-vous pas ? » « Parce que, répondirent ces derniers, on n’a que des champs couverts de mauvaises herbes. Il est difficile de les cultiver. » 

De retour à son presbytère, le prêtre réfléchit pendant un long moment à ces propos : « Le fait qu’il y ait des herbes partout, c’est que le terrain est propice pour l’élevage du bétail, et que les jeunes ne fassent rien, c’est qu’on dispose d’une main-d’œuvre disponible. » 

Par hasard, il avait reçu deux chèvres comme cadeau à son arrivée à Imsil. Il envisagea ainsi de se lancer dans l’élevage des chèvres pour ensuite vendre leur lait aux hôpitaux et à quelques Occidentaux qui résidaient à Jeonju. Cette initiative eut un certain succès. Ainsi, deux ans plus tard, 12 foyers du district élevaient des chèvres. Le père Didier créa la Coopérative de l’Elevage de chèvre d’Imsil. 

Le problème, c’est que contrairement à l’augmentation significative de l’offre, la demande demeurait restreinte. A l’époque, la Corée venait de lancer l’industrie laitière. Le gouvernement fit importer des vaches laitières de la Nouvelle Zélande en 1962. Cependant, le lait restait un aliment peu familier pour la plupart de la population. 

Notre brave curé réfléchit à ce qu’il pourrait faire du lait restant qu’on était obligé de jeter. Il pensa d’abord à produire du lait en poudre mais cela demandait trop d’investissements au niveau du matériel. Alors, il envisagea d’en fabriquer du fromage. Quand il exposa son plan aux éleveurs de chèvre, ces derniers se montrèrent confus : « Mais, c’est quoi, le fromage ? » Le missionnaire belge dut leur expliquer que c’était une espèce de tofu, mais fait avec du lait et non du soja.

C’était, cependant, une décision d’autant plus téméraire qu’il ne savait pas trop comment faire du fromage. Pour cailler du lait, il utilisa tour à tour de l’eau salée et de la levure, mais ça ne marcha pas. Un jour, il découvrit, au fin fond de son tiroir, quelques sachets de coagulateur qu’il avait reçus lorsqu’il suivait la formation de missionnaire en Belgique. Il les avait, depuis, complètement oubliés. Ce qui lui permit de réaliser son premier fromage en 1967. Pour la fabrication en masse, il aménagea une cave avec les habitants du district, et pour monter une usine, il reçut 2000 dollars de la part de ses parents ainsi que de l’aide de l’église catholique belge. Enfin, en mai 1967, la première fabrique de fromage de Corée vit le jour. En 1968, il reçut également une subvention de la mairie d’Imsil. Parce qu’à l’époque, le président Par Jung-hee mettait énergiquement en place des plans de développement économique. L’amélioration de la rentabilité agricole ainsi que la diversification des activités des paysans afin d’augmenter leurs revenus constituaient l’un des axes de ces plans de l’ex-général de division.

Afin de réussir à une production plus organisée, le curé demanda à un professeur DE français spécialisé dans l’industrie laitière de lui envoyer un expert. Mais la personne dépêchée était un débutant peu qualifié. Heureusement, elle apporta un livre sur la fabrication de fromage. Grâce à ce livre, il réussit à produire du camembert. Il reçut même un prix décerné par l’administration du Développement rural. 

Il lui restait, pourtant, difficile de garantir la qualité de ses produits de manière stable en vue de leur commercialisation. Il partit pour l’Europe afin d’apprendre, sur place, les techniques nécessaires pour la production industrielle de fromage. Bien sûr, les fabricants consultés se montrèrent réticents à partager leur savoir-faire. Miraculeusement, au bout de trois mois, un secrétaire du chef du parti communiste italien lui fila un carnet épais où étaient écrits dans le détail les recettes de différents fromages. 

Or, de retour à Imsil en 1969, notre fromager débutant fut désemparé de découvrir qu’il ne restait qu’une personne à sa coopérative. Les autres avaient vendu leurs chèvres et l’usine de fromage était délaissée. Didier ne jeta pourtant pas l’éponge et se mit à produire du fromage avec son seul assistant. Les éleveurs revinrent un à un et la fabrique se remit à tourner. 

Le dernier défi à relever, c’était de trouver des clients. Le prêtre alla voir des commerçants du marché de Namdaemun à Séoul où se vendaient plus ou moins illégalement les produits alimentaires importés en provenance des unités de la force américaine déployée en Corée du Sud. Il alla également voir le chef allemand de l’hôtel Joseon. Ce fut un grand succès. Le fromage d’Imsil devint célèbre et les commandes affluèrent de la part des hôtels de luxe et des grands-magasins. 

Quand il n’y en a plus, il y en a encore, des obstacles. Avec le lait des chèvres, il était difficile de suivre la demande. Dès lors, il décida de remplacer les chèvres par des vaches laitières en 1972. En juin 1972, le père belge céda la propriété et le contrôle de l’usine aux membres de la coopérative. 

2. Le père Didier participe activement aux mouvements démocratiques

En octobre 1972, le président Park Jeong-hee fit réviser la Constitution pour rester au pouvoir à vie. Ce qui déclencha une levée DE boucliers des citoyens, y compris chez les ecclésiastes catholiques. Le premier cardinal de Corée, Stéphane Kim Su-hwan, condamna publiquement Park pour cette grave atteinte à la démocratie lors de la messe de minuit de Noël, alors que cette messe était en train d’être diffusée en direct à la télévision par la chaîne nationale KBS. A partir de là, l’église catholique coréenne jouera un rôle crucial, avec les étudiants, pour la démocratisation du pays sous la houlette de son chef. 

Dans ce contexte, notre curé d’Imsil participa activement à des manifestations contre le régime autoritaire. Entre temps, il s’était donné un nom coréen, Ji Jeong-hwan, « Ce qui signifie que je me démènerai jusqu’à ce que la justice rayonne dans toute sa splendeur », expliquera-t-il plus tard lors d’une interview.

Un jour, il fut arrêté avec ses confrères et allait être expulsé. A ce moment-là, le président Park intervint et ordonna de le relâcher. Car il avait appris que notre héros du jour avait contribué à l’amélioration des habitants d’Imsil avec son usine de fromage.

Des décennies plus tard, interrogé sur son opinion relative au président Park, il répondra : « Je l’apprécie hautement. C’est en grande partie grâce à lui que la Corée put connaître un développement aussi fulgurant. Dommage qu’il n’ait pas su se retirer du pouvoir à temps.»

3. Au service des handicapés

En 1976, le pionnier du fromage coréen attrapa la sclérose en plaque. Il dut retourner en Belgique en 1981. Il retourna en Corée en chaise roulante en 1983. Six mois plus tard, l’évêque de Jeonju lui proposa de s’occuper des handicapés du diocèse. Il répondit tout de suite « Oui ». Il commença par aménager un centre de soutien dans un appartement de la ville avec l’aide de quelques paroissiens. Cette communauté fut ensuite baptisée « La famille d’arc-en-ciel ». Son site se trouve aujourd’hui dans un village près de Jeonju depuis son déménagement en 1989. Le missionnaire tenait avant tout à leur rééducation pour qu’il puisse trouver leur place dans la société. 

En mai 2002, il reçut le prix de Hoam décerné par le groupe Samsung avec 100 000 000 wons (environ 70 000 euros). Avec cet argent, il créa la fondation de la Famille d’arc-en-ciel afin d’offrir des bourses aux enfants des handicapés. Il y consacrera plus de 25 ans de sa vie jusqu’à ce qu’il entre dans la lumière de Dieu en 2019. Plus de 3000 personnes vinrent à Jeonju pour présenter leurs condoléances, et son décès, ainsi que la messe funéraire, furent relayées par les médias. 

De son côté, le gouvernement lui avait octroyé la nationalité sud-coréenne en 2016. L’administration lui discerna également l’ordre de mérite civile de Moran. 

Différentes variétés de fromage fabriquées à Imsil

4. Epilogue

Le district d’Imsil ne cessa d’élargir et de moderniser l’usine de fromage. En 2023, les retombées économiques dérivées de cette industrie sont estimées à environ 70 millions d’euros. En 2011, un immense parc de 150 000m2, baptisé « Le parc thématique du fromage d’Imsil (임실치즈테마파크) », fut inauguré et devint l’un des lieux touristiques les plus cotés des Coréens. Au centre de ce site se trouve le musée dédié à la vie de Didier t'Serstevens, des statues de Schtroumpfs, etc.  Et depuis 2015, la municipalité organise le Festival du Fromage d’Imsil chaque octobre. L’année dernière, plus de 500 000 personnes ont participé au festival. Comme c’est le cas du parc, le pionnier du fromage coréen ainsi que son pays natal, la Belgique, sont toujours mis à l’honneur. Par ailleurs, la famille de Didier y est régulièrement invitée. 

Le parc thématique du fromage d'Imsil

Enfin, lors du dernier Jamboree tenu en août 2023, le maire d’Imsil invita quelques 1300 scouts belges dans son district. Ils visitèrent le parc et apprirent l’histoire de leur compatriote avec émotion. La municipalité leur offrit également différents produits laitiers fabriqués sur place. 

Vous pouvez retrouver l’histoire du missionnaire belgo-coréen dans le magnifique film documentaire « Cinq histoires Belgo-Coréennes » de Thierry Loreau et Bernard Sauvenier diffusé en décembre 2023 sur la RTBF. 

Pour voir ce film : https://vimeo.com/894817157/646c8b22a3?share=copy

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