Elle chanta, à l’âge de 60 ans, lors du grand banquet organisé par le roi Jeongjo(정조,1752-1800) à l’occasion du 60e anniversaire de sa mère célébré en 1795 ! Mais deux ans après cet exploit glorieux, en 1797, elle déplorera amèrement qu’elle n’ait pas eu de « vrai rencontre » auprès de son jeune ami, âgé alors de 35 ans. Il s’agit de Shim No-sung(심노숭, 1762-1837), l’auteur de l’essai « En plantant des arbres autour du tombeau de mon épouse »
* Pour accéder à la traduction de ce texte : https://ours15.blogspot.com/2024/05/essai-en-plantant-des-arbres-autour-du.html
Voici l’histoire de la grande artiste racontée par Shim. A la fin du récit, vous pourrez découvrir la théorie de Gyésom sur « la vraie rencontre », qui s’apparente fort à L'INYEON , le destin qui régit les rencontres et les relations entre les gens.
* Pour en savoir plus sur les gisaeng : https://ours15.blogspot.com/2023/10/lhistoire-des-gisaengs.html
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Gyésom(계섬, 1736-?) est une gisaeng (courtisane) de Séoul. Son père était un officier de la province de Hwanghae (aujourd’hui, située en Corée du Nord) comme ses ancêtres. Elle perdit son père à l’âge de sept ans et sa mère, à l’âge de 12 ans. Orpheline, elle travailla comme domestique dans une famille noble et y apprit le chant dès l’âge de 16 ans.
Elle devint vite célèbre comme chanteuse. Sa notoriété était telle que les hommes les plus riches et les plus puissants de la capitale avaient honte s’ils n’arrivaient pas à inviter Gyésom à leurs fêtes.
Epris de son talent, un aristocrate illustre de l’époque, Won Ui-son (원의손, 1726-1780), la logea chez lui. Gyésom y séjourna pendant dix ans. Mais un mot mal placé de la part de Won vexa la chanteuse qui le quitta sur le champ.
Alors, Yi Jeong-bo (이정보,1693-1766), ancien haut dignitaire de la Cour alors âgé de 70 ans, la prit sous ses ailes. Depuis qu’il avait quitté les fonctions publiques, il parrainait une dizaine de musiciens talentueux.Parmi eux, Gyésom était la musicienne préférée de Son Excellence. Cependant, elle n’était pas sa maîtresse. Yi la chérissait seulement pour son talent et sa nature droite. Grâce à son mécénat généreux, notre héroïne put perfectionner ses performances. Son nom fut bientôt salué à travers tout le pays à tel point que des gisaengs de province venaient exprès À Séoul pour suivre ses cours de chant. Beaucoup de hauts officiers et lettrés illustres lui dédièrent à l’envi des poèmes pour lui rendre hommage.
Pendant que Gyésom restait chez Yi Jeong-bo, Won Ui-son vint chaque jour implorer son ancienne protégée de retourner chez lui, en vain.
Lorsque l’ancien ministre Yi rendit son dernier souffle en 1766, Gyésom pleura comme si elle avait perdu son propre père. Or, à ce moment-là, elle devait s’entraîner tous les jours pour participer à un grand banquet royal. Ce qui ne l’empêcha pas d’aller se recueillir devant l’autel du défunt le matin et le soir. Les organisateurs de la fête lui prêtèrent un cheval pour faciliter ce va-et-vient quotidien. Mais il lui était défendu de pleurer à haute voix car il lui fallait épargner sa voix pour le souverain et ses augustes invités. Elle dût se contenter de pleurnicher. Après le banquet, elle se rendit tous les jours au tombeau de son ancien sponsor. Elle l’arrosa d’alcool et chanta les chansons que le défunt affectionnait de son vivant. Cependant, elle dût s’arrêter par la suite à cause des plaintes déposées par les enfants de Yi.
Quelques temps plus tard, elle vécut avec Han Sang-jin, l’un des plus grands riches de Séoul. Il la choya avec son immense fortune. Mais au lieu de s’en réjouir, elle devint de plus en plus sombre. Enfin, un jour, elle finit par claquer la porte.
A l’âge de 40 ans, elle décida de s’isoler au fin fond d’une montagne, près d’un temple bouddhiste comme c’était une femme était très croyante. Elle vendit ses bijoux et ses habits somptueux pour s’installer dans l’est du pays. Informés de ce projet, tous ses fans de Séoul essayèrent d’en dissuader leur idole. Alors, avant de partir, Gyésom organisa un banquet pour son fan club et leur déclara : « Je vous remercie de votre attachement pour mon humble personne. Cependant figurez-vous, je ne suis pas encore tout à fait vieille. C’est pour ça que vous me chérissez encore. Mais quand je deviendrai une vieille femme moche, vous m’abandonnerez. Je préfère, donc, vous quitter la première afin d’éviter cette éventuelle infamie. » Elle s’en alla le soir même. A la montagne, notre ermite mena une vie simple et saine. Elle passait des heures et des heures à cueillir des légumes et des herbes médicinales, en se promenant allègrement de colline en colline. Chez elle, elle récitait des prière et pratiquait la méditation.
Le problème, c’est que la Cour ordonna de retourner dans la capitale et d’effectuer son service chez Hong Guk-young (홍국영, 1748-1781), l’ami d’enfance du roi Jeongjo. Oui, on le retrouve dans la série The Red Sleeve, dans le rôle de Hong Deok-ro. A chaque fois qu’elle y chanta, les invités de Hong la couvrirent d’or et de soie. Elle ricana à Shim No-sung : « Vous croyez qu’ils m’ont gâtée de la sorte parce qu’ils surent apprécier à sa juste valeur ma musique ? Bien sûr que non. C’était juste pour flatter Hong, qui état l’un des plus puissants hommes de l’époque. Leur obséquiosité me fait encore rire quelques fois même dans mes rêves. »
Après la destitution de Hong, Gyésom put enfin devenir complètement libre. Dans un premier temps, elle envisagea de regagner sa petite chaumière à la montagne. Mais là, Shim Yong (심용, 1711-1788), un aristocrate et grand amateur d’art, lui proposa de vivre à côté de sa maison, située à Paju, ville qui se trouve au nord de la capitale. Shim Yong était un cousin lointain de Shim No-sung, ce qui permit à ce dernier de faire connaissance de la diva. No-sung eut l’occasion de visiter la petite maison de Gyésom, qui était sobre mais cosy et propre. Elle vécut des revenus provenant de la terre qu’elle louait à des métayers. Elle s’abstint de manger de la viande et de l’ail et se plût à réciter des prières bouddhistes et à méditer. Tous les villageois tenaient cette dame sainte haut dans leur estime.
Lorsque Shim No-sung passait ses vacances dans un papillon situé près de chez elle, elle lui rendit visite. Elle avait 62 ans mais elle faisait bien plus jeune que son âge. Après avoir raconté sa vie, elle ajouta, d’un air affligé : « Jusqu’à présent, je goûtai à d’innombrables plaisirs. Or, contrairement à l’idée reçue, la richesse et le pouvoir n’en étaient point. En revanche, ce qui me fut le plus difficile à décrocher, ce furent des vraies rencontres. Comme je devins célèbre assez jeune, je pus fréquenter des hommes illustres du pays. Chacun d’eux tenta de me séduire avec leur demeure splendide et des bijoux scintillants. Mais plus ils essayèrent de m’éblouir en étalant leur luxe, plus ils me lassèrent. Je finissais toujours par les quitter. Une fois séparés, ils redevinrent de simples connaissances. Mon bienfaiteur, Son Excellence Yi, me prédit un jour : ‘Aujourd’hui, ici-bas, il n’y a aucun homme qui puisse t’égaler. Ainsi, tu mourras sans avoir eu de vraie rencontre.’ En fait, il ne parlait pas de mes qualités mais il faisait allusion à la difficulté de rencontrer ceux qui nous sont destinés. A l’époque, je ne croyais pas trop à sa prédiction mais avec du recul, je me rends compte qu’il était très clairvoyant ! En même temps, quand on y pense, dans l’histoire, peu de gens eurent droit à vivre avec ceux qui leur sont prédestinés.Au moins, j’ai de la chance parce que j’ai des moyens de quitter les hommes qui ne me sont pas destinés alors que d’autres femmes doivent continuer de vivre avec ceux qui ne leur plaisent pas parce qu’ils sont riches ou puissants. Si j’arrive à vivre selon les paroles de Bouddha, je pourrai peut-être assister à une vraie rencontre dans ma vie prochaine… » Puis, elle pleura beaucoup.
Par ailleurs, Gyésom n’avait pas d’enfant. Elle offrit quelques lopins de terre à l’un de ses neveux à condition qu’il organise des cultes aux ancêtres pour ses parents. Quant à elle-même, elle lui demanda tout simplement de l’incinérer après sa mort.
Lorsque Shim No-sung lui apprit : « Quand Garyeon, la gisaeng de Hamheug décéda, quelqu’un érigea à son tombeau une pierre tombale sur laquelle il fit graver : ‘Ci-gît Garyeon, gisaeng de Hamheung.’ ce qui permet, aujourd’hui encore, aux passants de savoir qui est l’occupant de ce tumulus. »
Cette histoire réjouit fort Gyésom. Cependant, elle poussa un léger soupir en murmurant : « Ca, c’est une vraie rencontre. » Afin de la consoler, le jeune aristocrate lui écrivit cette biographie et plaisanta : « Voilà, en fait, c’est moi qui suis ta vraie rencontre ! Tu ne le savais pas ? » Puis, Shim et son amie éclatèrent de rire en se regardant.
On ne sait ce que devint la chanteuse après la rédaction de ce récit ni quand et comment elle rendit son dernier souffle. Seul un poème de la gisaeng de Séoul fut transmis jusqu’à nos jours :
« Quand la jeunesse s’en est-elle allée,
Et quand des cheveux blancs sont-ils arrivés ?
Mais même si j’avais su quel chemin ils ont empruntés,
Aurais-je pu les repousser ?
Je ne puis que déplorer,
Cette voie qu’on ne peut jamais obstruer. »
* Shim Yong, le second mécène de Gyésom, forma une sorte de bande mixte avec trois gisaengs célèbres pour leur danse et leur chant, un auteur-compositeur-interprète de grand renom et un joueur de geomungo, sitar traditionnel de l’Asie de l’Est. Ce groupe est notamment célèbre pour leur aventure à Pyongyang, grande ville célèbre pour ses gisaengs talentueuses et belles. A suivre dans ma prochaine publication !
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