Yi Bingheogak (1759-1824), descendante de Séjong le Grand

Portrait imaginaire de Yi Bingheogak 

Plus je fais des recherches sur l’histoire des individus de Joseon, plus je découvre des histoires d’amour entre les époux, y compris chez lez aristocrates qui se marièrent selon la volonté des parents. 

Par ailleurs, notre héroïne du jour était une grande érudite qui écrivit la première encyclopédie sur les arts ménagers écrite en hangeul. Voici son histoire. 

1. Enfance

La dame Yi, connue sous le nom de plume, Bingheogak (빙허각), naquit en 1759 dans l’une des familles les plus prestigieuses de Joseon. Elle avait pour ancêtre Séjong le Grand, car son père était descendant du 17e fils de l’inventeur du hangeul. Son père, son grand-frère et son oncle occupèrent des posts de ministre et de premier ministre à la Cour des rois Yeongjo et de Jeongjo (1752-1800). 

Même si c’était une fille, son père ne négligea pas son éducation. Il aimait bien la mettre sur ses genoux pour lui lire des canons confucianistes dont elle comprenait vite le sens. Dès l’âge de dix ans, elle composait des poèmes ou des essais. Elle se fit vite appeler « demoiselle érudite » par son entourage. Monsieur Yi était à la fois fier et inquiet d’une telle intelligence puisqu’il était difficile pour une femme de l’époque de faire valoir son savoir. 

En plus, la fille avait du caractère. Lorsqu’elle avait sept à huit ans, elle arrachait deux dents avec un marteau. Interloqué de voir la bouche de sa petite couvert de sang, le père lui demanda ce qui lui était arrivé. « J’ai vu un garçon se vanter d’avoir arraché lui-même une dent. J’ai voulu lui montrer que moi aussi, je peux faire la même chose. », répondit-elle triomphalement. 

2. Mariage heureux 

Vu la renommée de la maison, beaucoup de familles illustres demandèrent la demoiselle en mariage. Le père finit par choisir le fils d’un vieil ami qui appartenait au même parti que lui, celui de Soron (parti minoritaire). Le garçon s’appelait Seo Yoo-bong. Bingheogak l’épousa à l’âge de 15 ans. 

Je crois que le père Yi avait choisi exprès cette famille pour sa fille. Car le grand-père et le père du marié étaient à la fois hommes d’État et chercheurs éminents. Ils s’intéressaient à des études scientifiques et pragmatiques, telles que l’agriculture, l’astronomie, la biologie, etc. C’est parce qu’à partir du début du 18e siècle, de nombreux lettrés néo-confucianistes développèrent des « études pragmatiques (silhak, 실학) ». Comment améliorer la rentabilité agricole, par exemple, était l’un des sujets majeurs de recherche de la famille du marié. Cette dernière publia plusieurs manuels agricoles. 

Ces érudits de ce nouveau mouvement académique affichaient, en règle générale, des attitudes plus ouvertes et souples vis-à-vis de la hiérarchie. Ils s’intéressaient à leurs métiers et essayaient d’apprendre comment ça fonctionne pour ensuite améliorer l’efficacité et la productivité de leur travail. 

Le père Yi avait, en effet, bien choisi la belle-famille de sa fille. Le beau-père et le beau-grand-père aimèrent tendrement la nouvelle mariée intelligente. Ils  apprécièrent tellement ses savoirs qu’ils lui confièrent le mari et le petit-frère de cette dernières pour leurs études. Bingheogak les prépara, donc, pour les concours des fonctionnaires civils, l’objectif ultime de tous les hommes aristocrates. De son côté, la mariée put profiter de la vaste collection de livres de sa belle famille. Car, plusieurs membres de la famille étaient allés en Chine comme émissaire du roi. Ils avaient profité de leur séjour pour acheter des livres, y compris ceux venant de l’Occident. 

Les jeunes mariés se plaisaient à passer des heures et des heures ensemble en étudiant, en discutant de ce qu’ils avaient appris et en s’échangeant des poèmes que chacun avait écrits. Ils s’appelaient « ji-ou » ou « ji-gi », ce qui signifie un ami qui me comprend parfaitement. Passion et projet communs, voilà qui garantit les relations durables entre les amis et les amoureux.

Grâce à l’enseignement de Bingheogak, son beau petit-frère put décrocher un poste clé à la Cour et grimpa jusqu’au rang de vice-ministre. Et tout en s’occupant des affaires d’État, il écrivit différents manuels d’agriculture et d’économie à l’instar de son père et de son grand-père. 

Le mari réussit au concours préliminaire des officiels civils et entra à l’université la plus prestigieuse de l’époque, Seonggyungwan (성균관). Il était l’un des étudiants les plus brillants dont les écrits attirèrent même l’attention du roi Jongjo. Mais c’était, avant tout, un homme discret. Il ne voulut pas rejoindre la Cour. Il consacra sa vie À des études. Et son épouse était son meilleur compagnon de travail. Contrairement aux autres hommes nobles de l’époque, il préférait la compagnie de sa femme à celle des autres amis, et inversement. 

Pour exprimer l’amour pour son mari, Bingheogak fabriquait, à chaque automne, de l’alcool de cent fleurs (Baekhwaju) avec des feuilles de différentes fleurs qu’elle avait collectées tout au long de l’année. Monsieur cita plusieurs fois, dans ses poèmes et essais, cet alcool que madame préparait avec amour. L’un de leurs plus grands plaisirs intimes était de partager, en tête-à-tête, cette boisson parfumée, 
fermentée pendant l’hivers, à l’arrivé du printemps. Grâce à leur amour si solide, ils eurent quatre fils et sept filles. Le couple et les enfants formèrent une famille parfaite, noble, riche et érudite qui ne manquait de rien. 

3. Epreuves 

Hélas ! Comme on dit en Corée, les fantômes sont parfois jaloux d’un bonheur si parfait. Le couple dut enterrer dans leur cœur huit enfants décédés avant d’atteindre l’âge adulte. Et en 1806, six ans après la mort de Jeongjo, le grand roi qui chérissait cette famille éclairée, sa belle-grande-mère, la reine douairière Joengsun assuma la régence. Elle et sa famille en profitèrent pour éliminer leurs rivaux politiques, dont l’un des oncles de monsieur. Son petit-frère fut exilé et la plupart des biens de toute la famille furent confisqués. 

La famille fut ainsi obligée de quitter la belle maison de la capitale pour s’installer en province. Elle y loua une petite maison délabrée. Cependant, bien qu’élevée au sein d’une famille riche et puissante, notre héroïne n’était pas aussi faible que des fleurs élevées dans une serre ! A l’âge de 47 ans, elle acheta un petit lopin de terre avec le peu qui lui restait, et y cultiva du thé. Avec l’argent qu’elle gagna en vendant du thé, elle acquit des vers à soie. Elle en fit des tissus de soie de haut de gamme. Ce qui permit à la famille de gagner de quoi vivre et à son mari de se concentrer sur ses études. Tout en vaquant à mille tâches différentes, elle ne négligea point les études. Au contraire, le soir, après avoir achevé si bravement son travail du jour, elle écrivit un livre auprès de son mari. Ce livre, c’était la première encyclopédie des arts ménagers écrite en hangeul. 

4. La première encyclopédie des arts ménagers écrite en hangeul 

Séjong le Grand se serait grandement réjoui s’il était encore vivant que l’une de ses descendants rédigeât une œuvre parfaitement conforme aux trois raisons de la création du hangeul qu’il invoqua : l’amour pour le peuple, le pragmatisme et la manifestation de l’identité nationale. 

Cette encyclopédie est composée de cinq volumes. Le premier rassemble des recettes de plats et d’alcools, le deuxième est dédié à la couture, à la teinture, à l’élevage des vers à soie, au tissage et à la broderie, le troisième au travail dans les champs, l’horticulture, l’élevage du bétail, le quatrième à l’éducation des enfants, aux traitements médicaux, le cinquième à différentes pratiques chamaniques et à la prévention des catastrophes. 

Loin de se contenter d’écrire ses propres expériences, elle dédia une grande partie du livre aux théories des anciens, en citant, à chaque fois, des sources. Et quand elle ajouta son avis personnel, elle le précisa. Un total de 80 livres furent cités comme références, y compris des manuels agricoles de son beau-père et son beau-grand-père. Ce n’était donc pas un simple manuel des tâches ménagères. Et ce faisant, la dame Yi les transforma en véritable art et discipline académique. Je n’en reviens pas. 

Enfin, la chercheuse présenta 297 « grandes femmes », y compris Shin Saimdang, la peintre aristocrate et Hwang Jini, une gisaeng célèbre pour ses poèmes, en déclarant : « Bien sûr, il y a aussi des femmes parmi les élites. »

Monsieur était tellement fier d’un tel exploit de sa bien-aimée qu’il écrivit une préface très élogieuse pour ce livre et l’intitula « Gyuhapchongseo, 규합총서 », ce qui veut dire à peu près, « L’encyclopédie pour les dames »

Dès sa sortie en 1809, ce livre eut un grand succès. Ainsi, à la fin du 19e siècle, nombreuses étaient celles qui le possédaient. 

5. Disparition

En 1822, monsieur tomba brusquement malade. Bingheogak fit tout pour sa guérison mais rien n’y fit. Son mari la quittera quelques jours plus tard. Madame, inconsolable, s’enferma dans sa chambre, refusa de voir ses proches et de se nourrir correctement. Un soir, devant l’alcool de cent fleurs qu’elle avait fabriqué l’automne précédent, elle ne put retenir son sanglot. Elle réalisa, à ce moment-là, qu’elle ne pourrait plus le partager avec l’homme de sa vie. Elle écrivit ainsi un poème en mémoire de son défunt mari. Voici des extraits : 

« Nous étions généreux, l’un envers l’autre, 
   Comme d’immenses océans et de grandes montagnes..
   A chaque fois que nous pensions à notre amour, 
   Nous nous disions que rien n’est comparable.   
   Ainsi, nous avons vécu heureux pendant cinquante ans ! 
   Il est maintenant temps de rendre l’amour 
   Que j’ai reçu de toi, oh, mon grand et unique ami ! 
   Je n’hésiterai pas à te rejoindre dans l’éternité… »

Yi Bingheogak rendit son dernier souffle en 1821, 19 mois après le décès de son mari. Elle avait 65 ans.

Commentaires

  1. Si bien racontée, l histoire devient passionnante merci🫰🫰

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