« La loi martiale ? C’était juste pour faire peur aux députés de l’opposition. C’était plutôt comme un jeu d’enfants ! Car, en fin de compte, il n’y a eu aucun mort. Et un président de la République a le droit de proclamer ce dispositif d’urgence. »
Chaque jour, c’est une épreuve pénible d’écouter ou de lire les propos proférés par les avocats de Yoon Seok-yeol. Ils font semblant de ne pas comprendre pourquoi la majorité des Coréens sont si indignés contre leur client.
Pourtant, la démocratisation et le développement économique que notre peuple ont réalisés en un laps du temps si court sont le prix du sang et de la sueur des ouvriers et des militants des droits de l’homme souvent qualifiés, par les régimes autoritaires, de « communistes ». Pour la plupart d’entre nous, aucun chef de l’Etat n’a le droit en toute impunité d’humilier leur souvenir en instaurant un régime dictatorial.
Voici, l’histoire de l’un d’entre ces martyrs. Il s’agit d’un jeune homme qui s’immola à l’âge de 22 ans en 1970 pour dénoncer les conditions de travail extrêmes dans les usines. Il s’appelait Jeon Tae-il(전태일, 1948-1970).
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Jeon Tae-il naquit en 1948 à Daegu. Il était le fils aîné d’une famille pauvre qui aura deux garçons et deux filles. Son père était tailleur. La famille s’installa à Séoul en 1954, un an après la signature du cessez-le-feu. Son père y ouvrit une petite usine de vêtements. Au début, les affaires ne marchèrent pas mal ce qui permit à Tae-il d’entrer à l’école primaire.
Cependant le petit élève dut interrompre ses études car son père fit faillite. La famille retourna à sa ville natale. Tae-il apprit le métier de tailleur avant de revenir à Séoul pour trouver un travail dans une usine de vêtements en 1965. Il avait 17 ans.
A l’époque, la Corée du Sud se mit à sortir de la misère absolue. Le plan quinquennal pour le développement économique mis en place par Park Jung-hee commença à apporter ses fruits. Comme le pays n’avait ni le capital ni la technologie, Park commença d’abord à promouvoir l’industrie légère, comme la confection ou le textile. Le quartier de Dongdaemun, plus précisément le marché Pyeonghwa qui s’y trouve, était l’un des centres clé du secteur de l’habillement. Ce marché existe encore. Il n’y a plus aucune fabrique de confection mais un grand bâtiment qui regroupe des grossistes de vêtements. Il se trouve tout près de la porte de Dongdaemun et au bord de la rivière de Cheonggyécheon. Vous pourrez y trouver des vêtements de qualité à des prix intéressants.
Mais revenons à notre jeune héros du jour. Jeon Tae-il trouva, donc, un post d’assistant-tailleur dans une usine. Il était très doué pour cette profession. Il fut vite promu comme tailleur de la maison. Encouragé par son succès, il rêva d’ouvrir sa propre fabrique avec d’autres jeunes tailleurs.
Or, un jour, Jeon vit l’une des ouvrières de son usine cracher du sang. Consterné, il voulut prévenir tout de suite le patron. Mais elle l’en empêcha. Car elle avait peur que patron la vire. Quelques jours plus tard, sa maladie fut découverte et elle fut remerciée tout de suite sans aucune indemnité.
« Je suis un homme très sensible. A chaque fois que je vois la misère d’autres gens, je me sens déprimé toute la journée. C’est parce que moi-même, je me trouvais souvent dans des situations difficiles. », confiera-t-il dans son jounal intime.
Ainsi, cet incident lui ouvrit les eux sur les conditions de travail extrêmes des ouvriers des usines de confection. « Le marché de Pyeongyang est l’un des plus grands centres du secteur de l’habillement de l’Asie. Il y a environ 20000 personnes qui y travaillent… 90% d’entre eux sont des filles dont l’âge moyen ne dépasse pas les 18 ans. Et 40% d’entre elles sont des fillettes âgées de 15 ans... Elles travaillent 15 heures par jour dans et ne peuvent se reposer que un dimanche sur deux et ce, dans des endroits mal aérés et mal éclairés, serrées les unes contres les autres. Alors que les fonctionnaires travaillent 45 heures par semaine, elles passent 98 à 100 heures par semaine devant leurs machines à coudre. Elles souffrent de différentes maladies en raison de ces conditions du travail dures.», décrira-t-il cinq ans plus tard dans une lettre adressée au président Park Jeong-hee. Elle ne parviendra pourtant jamais à son destinataire…
En faisant des recherches sur les conditions des ouvrières du marché de Pyeonghwa, il découvrit l’existence d’une loi qui protégeait les travailleurs, le code du travail. Cette révélation lui donna de l’espoir. Naïvement, il crut qu’il suffirait de rappeler aux patrons cette législation pour améliorer la situation.
Le problème, c’est que le livre du code du travail était trop difficile à comprendre pour lui. Le jeune tailleur regretta vivement de ne connaître personne qui fit des études universitaires. Il finit néanmoins par trouver un diplômé dans son quartier qui l’aida à déchiffrer le code. Il créa ensuite l’une des premières associations syndicales de Corée avec d’autres tailleurs du marché. Il essaya de révéler l’infraction de la loi perpétrée par les employeurs auprès des autorités concernées et des médias.
Mais la Corée était toujours sous le régime autoritaire. Beaucoup de fonctionnaires étaient corrompus et le gouvernement ne s’intéressait qu’au chiffre d’affaire de ces usines. Il ferma volontiers les yeux sur l’exploitation illégale des jeunes filles et leur triste sort. Et les médias étaient soumis à un contrôle strict de l’Etat. Dans ce contexte, c’est Jeon qui fut taxé de « communiste ». Jeon Tae-il n’arrivait même pas à organiser des manifestations à cause des policiers.
Désespéré, le 13 novembre, il organisa une cérémonie de « l’exécution du code pénal que personne NE respectait » en plein milieu du marché de Pyongyang. Pourtant, les forces de l’ordre dissipèrent les manifestants avant même le début du rassemblement. Il se versa alors de l’huile sur tout son corps et y mit le feu… avec à la main le code pénal. Le feu se répandit vite sur ses vêtements. Il n’empêche qu’il courait tout autour en répétant et criant : « Rspectez le code du travail ! Nous ne sommes pas des machines ! Permettez-nous de se reposer le dimanche ! N’exploitez plus les travailleurs ! Ne rendez-pas vaine ma mort ! »
Au bout de quelques instants, il tomba par terre. Il ne put plus résister à la douleur. Ses amis éteignirent le feu et l’envoyèrent à l’hôpital. Cependant, les médecins refusèrent lui donner des soins nécessaires car Jeon et sa famille étaient pauvres et n’étaient pas en mesure de payer. A l’époque, la Corée n’avait pas encore de système national d'assurance maladie. Il mourut la nuit même entouré de sa mère et de ses collègues. Avant de rendre son dernier souffle il pria sa mère : « Ma mère, faites en sorte que vous acheviez ce que j’ai commencé. » « Oui, mon très cher, répondit-elle, je le ferai jusqu’à ce que mon corps devienne poussière.»
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Son dernier vœu fut pourtant exaucé. Son suicide tragique secoua toute la société. Plusieurs syndicats et associations des droits des travailleurs furent crées. Et les étudiants se mirent à s’intéresser aux classes défavorisées de la société alors que leur mouvement démocratique était, jusque-là, concentré sur le domaine politique. Ils donnaient des cours, la nuit, pour les travailleurs qui avaient dû arrêter leurs études comme Jeon Tae-il. Ils entrèrent même dans des usines pour aider les ouvriers à créer des syndicats. Et ce malgré l’oppression impitoyable de la part du régime autoritaire.
La mère de Jeon Tae-il tint sa promesse. Elle devint une militante des droits des travailleurs très active et fut appelée « la mère des travailleurs ». Elle fut condamnée à plusieurs reprises à de la prison mais elle ne céda pas. Sa sœur et son frère lui emboîtèrent le pas.
Après la démocratisation du pays, Jeon Tae-il fut mis à l’honneur comme il le mérite. Une fondation portant son nom, luttant pour les droits des travailleurs, fut créée, et une statue fut érigée au bord de la rivière de Cheonggyecheon près de son ancien lieu de travail et il est considéré aujourd’hui comme étant le précurseur incontournable des militants des droits de l’homme en Corée. Un musée qui retrace sa vie fut également ouvert.
En 2020, le président de l’époque, Moon Jae-in, lui décerna le grand ordre DU Mugunghwa (l'hibiscus, l'un des symboles du pays), l’ordre du mérite le plus élevé du pays, afin de commémorer le 50e anniversaire du jour de son décès.
Pour en savoir plus sur les heures hebdomadaires de travail et les congés des employés sud-coréens : https://ours15.blogspot.com/2024/05/conges-payes-conge-de-maternite-jours.html
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