Lui, il
s’appelait Kim Jeong-ryong, âgé de 35 ans, marié et père de cinq enfants. Elle,
la dame Han, également mariée et mère de plusieurs enfants.
Leurs corps furent découverts, serrés l’un contre l’autre. Elle avait mis sa tête sur le bras gauche de l’homme et sa jambe droite, sur le ventre de ce dernier. Et lui, il semblait avoir été en pleine jouissance au moment de leur mort d’après l’état d’une partie de son cadavre. Tous deux avaient plutôt l’air de s’être endormis en paix vu leurs visages souriants. Aucune trace de souffrance.
Or, leurs ventres et cuisses étaient calcinés. Et seuls leurs vêtements et leur couette avaient été brûlés. Tout le reste de leurs corps et les autres objets de la chambre restèrent intacts.
Leur mort étrange survint le 12 décembre 1814 à Naju, ville située dans le sud-ouest du pays. Dans une chambre de l’auberge tenue par un certain Go Eun-ok. Paniqué, l’aubergiste en prévint le préfet à la hâte.
D’après la femme de Kim Jeong-ryong, le 12 décembre était le 2e anniversaire du décès du père de Kim. Après le culte commémoratif pour ce dernier, Kim Jeong-ryong emballa un peu de viande utilisée comme offrande pendant la cérémonie. Puis il l’envoya à la dame Kim, une vieille veuve qui tenait un bar, par le biais de l’un de ses fils. Selon Kim, c’était pour qu’elle transmette le paquet à la dame Han.
Et le soir de ce jour, Kim Jeong-ryong quitta la maison après avoir prévenu son épouse qu’il ne reviendrait que très tard en prétextant « une affaire pressante à régler. »
Kim se rendit à l’auberge de Go Eun-ok. D’après Go, Kim arriva avec une dame voilée. Ensuite, il demanda à l’aubergiste du bois pour qu’il réchauffât la chambre où lui et sa bien-aimée seraient logés. Cette pièce était restée vacante pendant plus d’un mois. Puis, il alluma une petite lampe avec la braise avant d’entrer dans la chambre avec son amoureuse.
Le lendemain, les deux n’étaient pas encore sortis À midi ! Ils ne répondirent pas même quand on les appela plusieurs fois devant la porte. L’aubergiste et ses domestiques furent alors obligés de briser la porte comme elle était fermée DE l’intérieur. Une fumée épaisse remplissait la pièce. Et on retrouva les deux amoureux dans l’état que j’ai décrit au début du texte. Aucune trace de sang ne fut découverte autour de leur corps. Par ailleurs, les deux défunts n’avaient laissé aucune trace de résistance. Cela écarta l’hypothèse d’un assassinat.
Cette affaire laissa perplexes les enquêteurs de Naju. Dans un premier temps, ils conclurent que les deux amants moururent d’abord asphyxiés par la fumée qu’avait causée le feu que Kim Jeong-ryong avait mis en dessous de la chambre pour la réchauffer. (Le chauffage au sol (ondol) est un système de chauffage traditionnel coréen.) « Car, la chambre n’avait pas été habitée pendant un mois. Et le fait de l’avoir réchauffée brusquement le sol de la chambre recouvert de terre et de charbon aurait libéré des éléments toxiques. » Quant au feu qui brûla les ventres et les cuisses des deux amants, « Il serait provenu du feu que Kim Jeong-ryeol avait mis dans un petit bol pour éclairer la pièce. »
Mais un aristocrate
exilé dans une ville située près de Naju protesta contre ce rapport. Il avait
beaucoup d’expérience en matière d’investigations de ce genre d’affaires comme
lui-même était gouverneur de plusieurs villes. A l’époque, il arrivait souvent
que le gouverneur des villes où ces augustes exilés résidaient ait des échanges
avec ces derniers en leur demandant parfois leur avis sur des dossiers
compliqués. Ce qui aurait permis à ce noble de lire le rapport de cette
affaire. Voici la cause de cette mort mystérieuse qu’il avait avancée :
« Kim Jeong-ryong avait réchauffé la chambre avec du bois et non pas avec du charbon. Et la matière qu’on enduit le sol des maisons ne produit jamais des éléments toxiques lorsqu’elle est chauffée avec du feu de bois. En plus, il est peu probable que ces défunts aient pu rester aussi à l’aise et heureux tout en souffrant de l’asphyxie. Au moins, l’un des deux aurait réveillé l’autre pour sortir. »
« Quant au feu qui a brûlé une partie de leur corps, il n’est pas provenu de la flamme continue dans le petit bol. Car l’un des pieds de Kim Jeong-nam était mis sur le bol mais il était intact ! Si cette flamme avait été la cause de ce petit incendie, les pieds et les mollets auraient dû être d’abord brûlés.»
« Alors d’où est venu le feu en question ? Je crois qu’il s’est produit à l’intérieur des organes des deux amants par l’excès de leur ardeur en plein milieu de leurs ébats amoureux. J’ai vu des cas similaires dans des anciens livres d’enquêtes chinois. En raison des graisses corporelles, ce feu peut calciner le corps en totalité ou en partie alors que l’environnement reste presque intact. »
En fait, ici, il
parlait du phénomène dit de « combustion humaine spontanée». Ce terme apparait
dans le Dictionnaire de médecine usuelle publié en 1849… à Paris. Ce phénomène
a été observé un peu partout dans le monde depuis des siècles même si l’amour n’en
était pas toujours la cause.
Pour en savoir plus sur ce phénomène : https://fr.wikipedia.org/wiki/Combustion_humaine_spontan%C3%A9e
« On pourrait
dire, conclut cet ancien gouverneur, que le couple adultère a payé le prix de
leur désir clandestin débridé qui a littéralement enflammé leur corps. »
…………
Aujourd’hui, on a de la chance de pouvoir choisir comme époux ceux qu’on aime, comme moi et papa ours. On est également libre de les quitter lorsque ça ne marche pas. A l’époque de Joseon, comme dans beaucoup d’endroits du monde par le passé, les jeunes se mariaient selon la volonté de leurs familles sans se connaître vraiment l’un l’autre. Certains arrivèrent à s’aimer profondément au fil du temps, comme ce fut le cas du couple de Shim No-sung, le contemporain de Jeong Yak-yong. Et d’autres auraient vécu cette situation sans se poser trop de question, contents de respecter les bonnes mœurs dictées par la société. Cependant, puisque « le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas », il arrivait à certains de céder à leur flamme secrète et criminelle pour un(e) autre comme nos héros du jour.
Au lieu de décrire mon ressenti sur cette histoire, je voudrais vous présenter ce célèbre poème de Baudelaire qui s’appelle, justement, « La mort des amants » :
« Nous aurons des
lits pleins d'odeurs légères,
Des divans
profonds comme des tombeaux,
Et d'étranges
fleurs sur des étagères,
Ecloses pour nous
sous des cieux plus beaux.
Usant à l'envi
leurs chaleurs dernières,
Nos deux coeurs
seront deux vastes flambeaux,
Qui réfléchiront
leurs doubles lumières
Dans nos deux
esprits, ces miroirs jumeaux.
Un soir fait de
rose et de bleu mystique,
Nous échangerons
un éclair unique,
Comme un long
sanglot, tout chargé d'adieux;
Et plus tard un
Ange, entr'ouvrant les portes,
Viendra ranimer,
fidèle et joyeux,
Les miroirs
ternis et les flammes mortes. »
Note : Cette
affaire est relayée dans un livre rédigé par Jeong Yak-yong (정약용),
l’un des plus grands hommes d’Etat et des écrivains et scientifiques les plus
érudits de Joseon. Il s’agit d’un vaste ouvrage composé de dix volumes sur le
code pénal et ses applications, intitulé « Heumheumsimseo, 흠흠심서
(1822)». Un total de 115 affaires criminelles et leur jurisprudence y sont
regroupées, dont la mort mystérieuse de nos héros du jour. Le livre présente
également différentes méthodes d’enquêtes scientifiques notamment pour les
affaires d’assassinats. L’aristocrate exilé de ce récit est Jeong Yak-yong
lui-même.
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