« Papy de Gwangju rencontra des soldats nord-coréens quand il avait ton âge, grand ourson, c’est-à-dire, neuf ans, dans son village de Gokseong, situé dans le sud-est du pays »
Quelques jours après le décès de mon beau-père, je voulus raconter l’histoire de sa vie à mes oursons. Mais à ma grande stupéfaction, je n’en savais pas beaucoup. Ainsi, un soir, autour d’une bouteille (ou deux..), je posai plein de questions sur lui à mon mari. Voici son récit.
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« Mon père naquit, comme tu sais, en 1941 à Gokseong. Il était le petit dernier d’une famille aristocrate du village. Il avait trois frères et une soeur. Son père, donc, mon grand-père, n’exerçait pas un métier particulier. Sa famille vivait du fermage que payaient les métayers qui cultivaient son terrain. Il mourut lorsque papa était encore petit. »
« Lorsque la guerre de Corée (1950-1953) éclata, sa famille ne put s’enfuir plus au sud tant Gokseong était un village isolé ! Cette dernière resta clouée sur place et eut quelques échanges avec des militaires nord-coréens qui passaient. Car il y eut des batailles féroces qui se déroulèrent aux environs. Mon premier grand oncle fut mobilisé avant de tomber au champ d’honneur… »
« Mon père obtint son bac vers 1959 avant de rejoindre l’armée au début des années 1960. Il effectua son service militaire pendant trois ans dans une unité de l’armée de terre déployée tout près de la ligne de la démarcation. A l’époque, c’était encore plus dangereux. La frontière intercoréenne n’était pas aussi infranchissable qu’aujourd’hui. Les agents armés nord-coréens s’infiltraient de temps à autre dans le sud et il y avait parfois des accrochages violents entre ces derniers et des soldats sud-coréens. En 1968, par exemple, un groupe armé nord-coréen réussit même à pénétrer jusqu’à Séoul, tout près du palais présidentiel, pour assassiner le président Park Jung-hee ! Heureusement, papa réussit à terminer son devoir sain et sauf avant de revenir à son pays natal. Il passa LE concours des fonctionnaires municipaux avant d’obtenir un poste à la mairie de son village. »
« Ah, j’imagine qu’il devait être en première ligne, intervins-je, pour la mise en œuvre de la politique ambitieuse du développement rural du président Park, baptisé ‘le mouvement du nouveau village (saemaeul undong)’ »
« Tu m’étonnes. A fond ! Egalement pour la campagne anticommuniste, poursuivit mon mari. Peu de temps après, il rencontra une fonctionnaire du ministère de la Santé, d’originaire de Jeonju, l’une des plus grandes villes des provinces de Jeolla. Une vraie élite qui fit ses études au lycée commercial des filles de Jeonju, l’une des écoles les plus prestigieuses de la région. Elle venait d’être affectée à Gokseong pour une mission. Mon père tomba amoureux de cette citadine et finit par l’épouser. Elle arrêta de travailler comme c’était souvent le cas pour la plupart des femmes mariées. Un an après leur mariage, en 1972, je vins au monde. Deux ans après, mon 1er petit frère me suivit, puis en 1976, mon 2e petit frère. Le trio naquit, ainsi, tous à Gokseong, à la maison. Seulement ma grande-mère et la sage femme du coin assistèrent ma mère.
Pour maman, qui avait grandi dans une grande ville, ce n’était pas évident de vivre dans une campagne si perdue. Mais pour nous, les trois frères, c’était un paradis ! Comme tu le sais bien, le salaire des fonctionnaires est ridicule, à peine suffisant pour nourrir et éduquer les enfants. Mais nous ne le sentions à peine. Nous parcourions les champs, les collines et les rivières toute la journée. Nous apprîmes à nager tout naturellement dans la nature. Que c’était agréable ! Afin de rejoindre l’école, il fallait marcher au moins trois quarts d’heures. Mais que de choses à voir sur le chemin ! La nature entière, quoi.»
« En 1981, quand j’atteignis mes 9 ans, mon père se fit cependant affecter à l’Université nationale de Jeolla, située à Gwangju. C’était environ neuf mois après l’éclatement du mouvement démocratique du 18 mai, réprimé avec une violence inouïe par l’armée. Les traces de ce drame étaient encore bien présentes partout. Même à école primaire, les enfants avaient l’air hargneux et des querelles, voire des bagarres violentes eurent lieu régulièrement. Pas facile pour le petit garçon campagnard insouciant que j’étais.
Pourtant, papa choisit cette option pour nos études, Gwangju étant la plus grande ville de Jeolla. J’aimais bien aller dans le campus de l’université, surtout dans ses bibliothèques. Mon père me présenta également à un professeur en ingénierie qui m’apprit les bases de l’informatique à son bureau. Les ordinateurs étaient des objets rares à l’époque. Quel privilège ! Grâce à sa décision de déménager, entre autres, tous ses enfants purent accéder à des universités prestigieuses avant de trouver des posts stables. Mes parents en étaient très fiers.»
« En arrivant à Gwangju, il acheta une maison à deux étages. Maman et lui y vivront pendant plus de 35 ans. La même année, la petite dernière naquit. Enfin une fille ! Mes parents furent comblés de joie. Nous aussi, les trois frères ! Elle devint vite la chouchou de la famille. Après son bac, ma sœur souhaita postuler à une école vétérinaire. Elle n’osa trop le dire à maman comme les frais d’inscription étaient très élevés pour mes parents. Elle m’appela, alors, pour me consulter. A l’époque, tous nos trois frères travaillaient. Nous décidâmes de les prendre en charge. Plus tard, nous avons également financé son mariage. »
« A la fin de sa carrière, mon père reçut une décoration pour son service loyalement rendu pendant 35 ans. Le départ à la retraite à l’âge de 60 ans était, ce pendant, un coup dur pour lui. Lorsqu’il travaillait, il suivait une routine très régulière. Il rentrait tôt à la maison, dès que son travail finissait vers 18h30. Ainsi, presque toujours, il soupait avec nous. Il n’avait guère rendez-vous avec ses collègues ou ses copains pour des banquets copieusement arrosés. Par ailleurs, je ne le vit jamais boire à l’excès. Entretenir sa vieille maison devint l’une de ses occupations préférées. Il trouva également pliais à faire la randonnée dans les montagnes situés aux alentours et à passer des moments avec ses amis autour d’un verre.
Entre-temps, mon 2e petit frère et moi s’étaient installés à Séoul, et le 1er petit-frère et ma sœur, à Gwangju, près de notre maison familliale. Les deux se marièrent une fois terminées leurs études supérieures et donnèrent naissance respectivement à deux enfants et à une fille. Ces trois petits-enfants devinrent la nouvelle source de joie pour mes parents d’autant plus qu’ils pouvaient les voir souvent. »
Soit dit en passant, je suis reconnaissante de ces deux. Comme ils s’occupent bien de mes beaux-parents à proximité, je peux me concentrer sur les miens qui vivent tout près de chez nous. Quand j’épousai papa Ours, il avait déjà 42 ans et mes beaux-neveux avaient 9 ans, 6 ans et 3 ans. Mes beaux-parents avaient l’air très heureux entourés de leurs petits-enfants. N’empêche que lorsque je tombai enceinte quelques mois plus tard, c’est mon beau-père qui s’en réjouissait le plus d’autant plus que c’était un garçon. Idem quand j’eus Petit Ourson. Même s’il n’eut pas trop l’occasion de les voir, il m’appelait de temps à autre pour m’encourager et pour s’enquérir de leurs nouvelles.
« En 2017, mes frères et sœur et moi réussirent à persuader mon père de quitter sa maison. Elle devint trop grande et obsolète pour le vieux couple. Ce n’était pas facile mais il finit par y consentir. Nous quatre leur offrirent un petit appartement très moderne et coquet qui venait d’être inauguré au pied d’une colline. Finalement, papa l’adorait, la vie devint plus facile pour lui. D’ailleurs, il aimait bien aller se promener dans la colline. »
Malheureusement, ces dernières années, il souffrit affreusement du mal de dos. Il se fit opérer l’année dernière et ça allait mieux. Cependant, depuis quelques mois, l’état de son dos s’aggrava vite et il nous quitta suite à sa dernière opération effectuée le mois dernier.
Contrairement aux épouses des frères de mon mari, je ne le connaissais pas très bien. Mais à chaque fois que je le voyais, je pouvais sentir qu’il aimait tendrement la famille Ours grâce à son beau sourire qui ne quitta pas ses lèvres en notre présence.
« Ah, que n’ai-je songé à poser toutes ses questions à lui-même, regrettai-je vivement à la fin du récit de mon mari. Ca lui aurait fait plaisir de nous raconter sa vie ! Qu’il repose en paix... »
Très beau récit remplis de tendresse , on ne pense pas toujours à poser des questions à nos proches sur leur vie ,moi c’est à mon grand-père paternel que je n’ai pas poser assez de question il a fui la Russie très jeune et j’ai eu très peu des renseignement par mon père . Merci de vos très beaux textes .
RépondreSupprimerMerci ,émouvant 😀
RépondreSupprimerMerveilleuse page de l'histoire familiale qu'est la vôtre et celles de vos 2 adorables garçons. Nul doute que cela leur sera précieux un jour ou l'autre....
RépondreSupprimerTres belle histoire de la vie du grand-pere des oursons. Très belle et honorable famille. Vous pouvez tous être fiers. Merci
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