Grande amitié entre homme et femme, est-elle possible ? La critique de notre ami sur la série Love Next Door m’a fait sourire, car dans l’intro, il cita une amie coréenne qui lui avait fait remarquer que c’était plus difficile en Corée. Je confirme cet avis selon mes expériences en la matière. Pour moi, ce n’était pas toujours évident de maintenir l’amitié avec les hommes.
Et
pourtant, ça existe bel et bien ici aussi, surtout chez les jeunes. On appelle ces « seulement » amis, namsatchin
(남사친) en
coréen, pour les amis des femmes et yeosatchin(여사친), pour les
amies des hommes. Ce sont les abréviation de « ami qui est un être humain
masculin (남자 사람 친구) » et «
amie qui est une être humain féminin (여자 사람 친구) ». C’est
rébarbatif. Mais comme en coréen, comme
en anglais, il n’y a pas de moyen de préciser le genre de nos amis. Puis, en
coréen, « ami masculin (남자친구) » et « amie féminine (여자친구) »
désigne un petit ami ou une petite. Par conséquent, pour distinguer un simple
ami d’un amoureux avec qui on sort, les jeunes ont inventé ces mots. Ce qui
montre clairement que l’amitié entre homme et femme est plus présente que chez
les Coréens de ma génération et plus.
N’empêche
que ça reste quand même assez compliqué. Si un homme et une femme sont des
grands amis alors qu’ils sont, tous deux, célibataires comme c’est le cas de la
série qu’Olivier a présenté, Love Next Door, ils sont souvent très tentés de
passer à l’étape prochaine. Si l’un des deux est en couple, il arrive souvent
que son partenaire devienne vite jaloux. Quand on y pense, c’est quand ces deux
amis sont en couple, les deux, que ça devient plus stable. Mais dans ce cas, il
faut chercher à plaire au petit-ami ou au conjoint de l’autre sinon…c’est la
fin de leur amitié.
Non,
je n’ai pas oublié. Je vais vous raconter l’histoire de mon ex-namsatchin (ami
qui est un être humain masculin) qui était mon meilleur ami de la fac. A
travers cette histoire, vous allez mieux comprendre ce que je viens d’exposer dans
l’intro.
Je
le rencontrai pour la première fois le 7 mars 1999 dans la salle de club qui
s’appelait « Cercle du français » où on avait pour activité de lire des romans
francophones en français. Comme la rentrée scolaire en Corée est le 2 mars, je
venais d’entamer ma deuxième année à la fac. Les cercles de mon université
étaient en train d’accueillir les nouveaux membres.
Lorsque
j’ouvris la porte de la salle, après avoir fini le cours du matin, je le
découvris, très à l’aise comme s’il était un ancien étudiant du cercle. Aucune
trace de gêne ni de timidité souvent présentes chez les étudiants en première
année. Il était en train de lire un livre. Au bruit que fit la porte qui
s’ouvrait, il leva la tête, me vit et me gratifia d’un sourire si chaleureux
que j’avais l’impression de l’avoir connu depuis longtemps. Il intégra ainsi le
cercle et mon cœur dès notre première rencontre.
Ce
jour-là, j’étais enfin décidée d’acheter mon premier téléphone portable car
c’est à partir de la fin des années 1990 qu’il fut vite diffusé. Avant, on
utilisait le bipeur. Je me plaignis, toujours dans cette salle où il y avait
cinq à six personnes, que je m’y connusse rien et que j’aurais du mal à choisir
un bon appareil pas trop cher. « Ne vous en faites pas, grande sœur, je vous
accompagne. », me rassura le membre du cercle flambant neuf. En Corée, entre
les étudiants de la fac et des amis très proches, on appelle « grande sœur (언니, 누나) » et «
grand frère (오빠, 형) »,
ceux qui sont plus âgés avec une formule honorifique. Mais ATTENTION !!!
seulement entre des amis très proches, si on ne s’est pas connu dans le cadre
scolaire. Sinon, vous risquez de passer pour un importun et collant.
Grâce
à lui, je pus acheter un portable dont le rapport qualité-prix était excellent.
Il était midi. « Je t’invite pour le dîner pour te remercier de tes conseils.»,
lui dis-je. En prenant le repas, nous nous présentâmes brièvement. Sa famille
vivait à Daegu, il était logé dans le dortoir de l’université. Il pouvait parler
assez couramment le français car il fit un lycée (15-18 ans) spécialisé en
langues étrangères. Il n’avait pas encore de petite amie. « Et vous, un petit
ami ? » « Moi non plus. Mais j’espère ça ne tardera pas. » Puis, nous éclatâmes
de rire comme des enfants, alors qu’il n’y avait rien d’amusant dans nos
propos.
Depuis
ce jour-là, je devins, pour lui, « la jolie grande-sœur qui l’invite souvent au
resto ». C’est le titre en coréen de la célèbre romance « Something in the rain
», et lui pour moi, le meilleur ami et confident. On se racontait tout, des
étudiants ou du prof qui me faisaient la cour, des petits incidents de la vie
quotidienne et mes copains, ainsi que nos rêves : « Moi, je veux devenir avocat
et vous ? », « Moi, l’interprète français-coréen la plus compétente du pays. Je
voudrais, un jour, interpréter des présidents de la République. »
Notre
affinité paraissait, néanmoins, un peu plus forte comme il faut aux yeux de mes
copines. Elles s’amusaient souvent à me taquinaient : « Mais on dirait que vous
sortez ensemble, on te voit toujours avec lui ! Hier, par exemple, on t’a vu
pleurer en sa présence. Il te tendit son mouchoir et te tapoter sur l’épaule sur
un banc en face de la bibliothèque centrale. Qu’il est romantique !» «
Mais non, protestais-je vigoureusement à chaque fois. Hors de question de
sortir avec un petit jeune comme lui ! (Il était plus jeune que moi seulement
d’un an.) Lui non plus n’a pas envie de sortir avec une veille comme moi. On
est des amis proches, c’est tout. »
Lorsque
je finis le 1er semestre de ma troisième année de la fac, je dus me séparer de
lui pendant un an, car je partais pour Paris afin de faire un stage
linguistique. Je l’invitai à un resto pour lui dire au revoir : « Veux-tu
m’accompagner à Myeongdong ? J’ai quelques emplettes à faire pour mon départ.
Puis, on ira manger ensemble dans un resto de pâtes (à l’époque, les
restaurants étaient un grand luxe pour les étudiants). Je t’invite. En plus,
c’est mon 20e anniversaire, demain. On se voit dans la salle du cercle à 10h.
Ca te dit ? »
C’était
un samedi. Il y avait personne dans la salle sauf lui, qui portait un bouquet
de 20 roses. Je fus stupéfaite par ce cadeau symbolique. « Mais non,
grande-sœur, c’est juste pour fêter ton 20e anniversaire. Vous méritez de
recevoir ses vingt roses. Mais puisque vous n’avez pas de petit copain pour
vous les offrir, je me suis permis de le faire. » Ce jour-là, il était vraiment
bizarre. Il me prit la main en sortant de la salle en déclarant que ça lui
faisait du bien. « Tu es complètement fou ! », lui répondis-je sur un ton
d’indignation, interloquée par une telle audace. Il sourit puis serra encore
fort ma main. Dans des magasins de Myeongdong, il s’amusa à jouer à mon petit
ami lorsque les vendeuses le félicitèrent d’avoir une jolie petite amie, il répondit,
« N’est-ce pas ? J’ai de la chance. » Avant de se quitter, il me tendit une
petite carte dans laquelle il avait écrit : « A Paris, battez pleinement des
ailes. Envolez-vous librement sous le ciel de Paris et vivez comme vous
l’entendez. Ne vous souciez plus des regards des autres. Soyez libre comme un
oiseau.»
Pendant
mon séjour dans la capitale, on échangea régulièrement des e-mails. Dans l’un
d’entre eux, je lui annonçai que j’avais enfin trouvé « l’homme de ma vie ».
Enfin, c’est ce que je croyais à l’époque. A vingt ans, on est si crédule… Il
m’en félicita grandement. Deux mois plus tard, c’était son tour : « Maintenant,
moi aussi, j’ai une petite amie. Elle a mon âge et super sympa. Je suis sûr
qu’elle vous plaira. »
Oui,
elle me plut dès notre première rencontre et inversement. On devint vite des
copines proches. Lui aussi s’entendait bien avec mon ami de l’époque. A chaque
fois que ce dernier venait en Corée, on organisait des repas dans des restos,
dans le campus ou au bord du fleuve Han pour célébrer en grande pompes nos
retrouvailles.
Quand
j’étais en 4e année de fac, on se voyait pourtant moins. Trop occupés, tout le
monde ! Moi et sa copine travaillions dur pour obtenir le master à l’école
d’interprétation et de traduction, et lui, pour passer au concours des avocats.
On construisit ainsi notre carrière tout en restant en contact pendant quatre
ans.
En
septembre 2006, tous nos efforts portèrent leur fruit. J’avais réussi à
décrocher le master, puis un diplôme à l’Ecole supérieure d’interprétation et
de traduction (Paris III) avant de réussir au concours des diplomates. Quant à
lui, il réussit à son concours de magistrats. Sa copine aussi venait d’obtenir
le même master que le mien. J’invitai mon ami pour fêter tout cela dans un
restaurant situé près de la fac. Après le souper, on s’installa sur un banc qui
se trouvait devant la bibliothèque centrale comme autrefois avec des petites
cannettes de la bière. L’avenir semblait nous sourire et on était fiers de ce
qu’on avait accompli. Que la vie nous paraissait belle ! On regarda le ciel
parsemé d’étoiles. « Voici notre avenir !», déclara-t-il triomphalement. « On
essaiera d’organiser un voyage en France, tous les quatre dans un avenir
proche. », lui répondis-je en riant aux éclats.
Cependant…si
la Vie nous accorda nos réussites professionnelles, elle nous ravit, en
contrepartie, nos amours. « C’est ainsi fait, chérie, me consola maman. On ne
peut tout avoir. » Mon namsatchin tomba amoureux d’une fille et quitta sa
première copine. Entre-temps, j’avais également rompu avec mon premier amour.
Par ailleurs, le début de ma carrière au ministère des Affaires étrangères
s’avéra beaucoup plus dur que je ne l’avais imaginé. J’étais littéralement
éreintée lorsque mon copain me présenta sa nouvelle petite amie. Il allait
l’épouser bientôt. J’invitai le couple dans un restaurant luxueux et je crus
avoir passé un bon moment avec ces deux fiancés même si la fille me jetait, de
temps à autre, un drôle de regard.
Mais
non, quelques jours plus tard, mon ami annonça, au téléphone : « Je ne pourrai
plus vous voir. Désolée. Mais ma fiancée ne veut absolument pas que je vous rencontre.
Ne venez pas non plus à mon mariage. » Mais pourquoi ? Je n’avais de mal !
Grand choc… je ne sus plus quoi dire, je réussis pourtant à lui demander le
numéro de son compte pour envoyer une somme d’argent pour souhaiter longue vie
heureuse à son couple.
15
plus tard, il m’appela. Il n’avait pas changé son numéro de téléphone. Il
m’apprit qu’il travaillait maintenant comme conseiller juridique dans une
banque située près du ministère des Affaires étrangères. Il m’invita dans un
restaurant italien où nous étions allés autrefois. Il gagnait bien sa vie, sa
femme aussi. Ils venaient d’avoir une fille adorable, etc, avant de formuler
son souhait de me voir régulièrement maintenant qu’il travaillait près de mon
bureau. « Mais j’ai quitté le ministère. En plus, je suis enceinte. Cela ne
sera pas facile de venir au centre-ville pour te voir. »
Et
ce fut la dernière fois que je le vis. La leçon de cette longue histoire ?
C’est qu’il faut savoir plaire au partenaire de nos namsatchin et yeosatchin
pour pérenniser notre amitié avec eux !
Photos :
moi en juillet 1999 et l’affiche de Something in the rain
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