Parlons-en, enfin, de ces instituts qui dispensent des cours privés. On les appelle, ici, hakwons (학원). Je ne vous en ai pas encore parlé car je n’ai inscrit les oursons à aucun hakwon. Donc, pas grand-chose à vous dire. Mais en septembre dernier, j’ai enfin tenté cette expérience. Voici l’histoire de l’aventure de maman Ours aux pays des hakwons.
………………………….
Un après-midi, les oursons rentrèrent de l’école, tout contents.
- On a rencontré deux élèves en quatrième année (10 à 11 ans) de notre école, me raconta le grand. Ils habitent dans le même complexe d’appartements que nous. Ils nous trouvaient mignons et surtout très joyeux. Ils nous ont demandé quel âge que nous avions, etc. On a ainsi discuté sur des tas de choses en rentrant ensemble. Très sympas, ces grands frères.
- Et surtout, ils nous ont demandé dans combien de hakwons nous étions inscrits, intervint le petit. ‘Aucun’, a répondu grand-frère. Stupéfaits, ils se regardèrent bouche bée. ‘Mais vous avez vachement de la chance, nous avons répondu l’un deux. Alors qu’au moins cinq hakwons pour un élève en troisième année de la primaire, c’est la norme nationale. Qu’est que je vous envie ! Vous menez une belle vie.’
Je ne sais pourquoi mais cette remarque les fit rire d’aise.
- Voulez-vous que je vous inscrive à des hakwons ? répondis-je en souriant
- Surtout pas, tranchèrent net les oursons d’une seule voix.
Cependant cette conversation me laissa songeuse. Jusqu’à présent, j’ai fait cavalier seul en refusant catégoriquement d’envoyer les oursons à des hakwons. Parce qu’entre autres, je suis persuadée que les enfants doivent avoir le temps de s’amuser et surtout de s’ennuyer pour grandir. Je crois qu’ils ont grand besoin d’un moment de vide afin de digérer toutes les informations qu’ils reçoivent pendant la journée, que ce soit les cours d’écoles, les sentiments qu’ils ressentent dans les interactions avec leurs camarades ou les émotions qu’ils éprouvent lors des visites dans tel ou tel lieu ou après la lecture des livres.
Cependant, comme l’avait si bien dit l’un de ses garçons en 4e année, inscrire des élèves en primaire à au moins 5 cours, presque toutes les mamans coréennes le font pour peu qu’elles en aient les moyens. « Peut-être qu'il est temps d’envoyer mon aîné à des cours privés, me dis-je. Les études commencent à être plus sérieuses pour lui. Il s’en sort pas mal pour le moment mais jusqu’à quand ? »
- Vous avez bien raison de vous inquiéter pour les études de votre aîné, déclara la mère d’un camarade de Petit Ourson, lorsque je lui confiai cette préoccupation.
- Au moins pour les maths, poursuivit-elle. Il est si important de consolider la base alors que ça commence à être compliqué.
- Et pourtant, protestai-je, c’est à partir de moment où j’ai arrêté tous les cours privés de maths que je me suis mise à avoir des meilleurs notes dans cette matière. Moi aussi, je me faisais inscrire à différents hakwons parce que tous les autres le faisaient. Mais je me suis finalement rendue compte que réviser seule les cours valait bien mieux que gaspiller mon temps dans ces cours privés.
- Mais non, madame la mère de Petit Ourson (c’est comme ça les mères d’élèves s’appellent entre elles), le temps a changé et les cours d’école ne suffisent plus. Les concours d’entrée dans des universités prestigieuses sont aujourd’hui d’une telle complexité ! Tenez, j’ai trouvé un hakwon de math génial ! Je y ai inscrit mon fils et il adore. Les instituteurs là-bas disposent d’une telle méthodologie que les petits s’amusent en apprenant. Si cela vous dit, je vous file les coordonnées. Mon fils a eu de bonnes notes lors du test de niveau, ce qui m’a grandement rassurée. Essayez au moins de faire passer cet examen à votre aîné. Comme ça, vous saurez où il se trouve par rapport aux autres.
- Mais cet hakwon est situé un peu loin que je ne l’avais pensé, lui fis-je remarquer. Ne serait-il pas mieux de l’inscrire à des hakwons dans ce quartier ? Ce n’est pas ça qui manque ici.
- Non, il faut choisir un bon, reconnu par d’autres parents d’élève, pour que ça soit efficace. Sinon, c’est de l’argent jeté par la fenêtre. Par ailleurs, il y a une navette qui vient jusqu’à chez nous.
Je ne tardai pas à suivre son conseil d’autant plus qu’elle était une « modérée » en ce qui concerne l’éducation des enfants alors que moi, je suis une farouche opposante des cours privés, et la plupart des autres, des ultra partisans. Elle n’envoie son fils qu’à trois instituts privés, au lieu de cinq selon « la norme nationale ». Ainsi, j’appelai tout de suite le hakwon en question pour réserver la séance de l’examen de mathématiques.
Le jour de ce fameux test de niveau, les oursons et moi débarquâmes à un arrêt de bus situé à 10 minutes en voiture de chez nous. Une femme quadragénaire nous accueillit avec une amabilité si admirable qu’on aurait dit qu’elle nous connaissait depuis longtemps. Pendant que le grand ourson résolvait les 20 problèmes, le petit rencontra cinq camarades de sa classe. Il jubila.
Une fois terminée la séance, le verdict ne tarda pas à tomber :
- Votre fils est en dessous de la moyenne, madame, annonça d’un air désolé la dame d’accueil. Il a eu 11 sur 20.
- Ah bon, dans ce cas, on devrait sans doute le mettre dans la classe des élèves en 2e année.
- Cette note n’est pas aussi mauvaise non plus. On le mettra dans la classe ordinaire des élèves en 3e année. Il n’est pas encore trop tard. Avec notre aide, il rattrapera. Nos cours et manuels ont pour avantage d’améliorer la capacité de réflexion alors qu’elle manque cruellement chez votre fils selon le résultat de l’examen.
Elle me tendit leurs manuels. En effet, ils semblaient ingénieux.
- Les cours durent pendant deux heures, continua la dame, le lundi et le mercredi de 18h à 20h.
- De 18 h à 20 h, m’exclamai-je, interloquée. Mais quand est-ce qu’il peut souper alors ?
La dame me fixa d’un drôle d’œil :
- Ah bon ! Euh… donc pour vous, le souper est plus important que les cours… Intéressant ! Enfin, vous avez bien raison.
- Certainement ! Ce qui compte le plus chez les enfants de son âge, ce sont des repas équilibrés servi à l’heure.
- Dans ce cas, répondit-elle avec un petit soupir, vous pourrez très bien lui préparer une boîte de repas. On a une pause de 10 minutes. Il pourra LA manger pendant cette pause.
L’idée de voir Petit Ourson privé de son grand-frère deux soirées par semaine me fit saigner le cœur. Mais comme le résultat de l’examen m’inquiéta fort, je payai sur place pour le cours qui débuterait le mois suivant. 350 000 wons (234 euros) pour quatre heures de cours par semaine.
Le soir, mon mari me trouva complètement décomposée
- Qu’as-tu, ma petite chérie ?
- Le grand ourson a passé un examen au hakwon de math que m’avais recommandé la maman d’un camarade de Petit Ourson. Il paraît qu’il est en dessous de la moyenne. Je l’ai inscrit tout de suite pour le cours du mois prochain.
Papa Ours ne sourcilla même pas à l’annonce de cette catastrophe. Au lieu de quoi, il éclata de rire.
- Tu t’es fait joliment avoir par leur stratégie de marketing ! Rien n’est plus normal que notre fils ait eu si mauvaise note. Il n’a jamais fait des cours privés jusqu’à présent ! Il ne connaît pas leur formule d’examen. Tu sais, tous ces hakwons, ça marche comme les sectes. On exploite À fond l’angoisse des parents d’élève. Cette peur de voir leurs petits en retard par rapport aux autres. Forcément ces tests de niveau sont difficiles. Sinon, les parents ne paieraient jamais une fortune pour envoyer leurs enfants à des cours privés. Or, notre fils s’en sort pas mal à l’école. Sa maîtresse l’a bien dit dans le bulletin de note du premier semestre.
- Oui, mais tu sais, lui protestai-je. Les études commencent à devenir compliquées. On était sans doute trop laxistes parce que toi, mon frère et mon père ont fait la meilleure université de Corée. Et moi, la deuxième meilleure université… Mais les temps ont changé.-
Ensuite, je lui énumérai les arguments de la mère du camarade de Petit Ourson et la dame du hakwon.
- Bon, tant pis, tu as déjà payé, répondit mon mari en haussant les épaules. On tentera l’expérience. On saura au moins ce que c’est. Mais quand bien même ils ne réussiraient pas aussi bien que nous à l’université, où est le mal ? L’important, c’est qu’ils trouvent leur propre voie dans laquelle ils peuvent s’épanouir.
Le lendemain, je reçus un coup de fil de la dame du hakwon.
- Madame, le professeur de la classe de votre fils a décidé d’augmenter le nombre d’heures de son cours de 4 heures à 6 heures par semaine. Par conséquent, le cours durera de 18h à 21h. Je vous prie de bien vouloir passer une nouvelle fois à notre institut pour régler 150000 wons (100 euros) supplémentaires.
Là, je fus comme réveillée d’un long cauchemar. Pour un enfant de 9 ans, six heures de maths par semaine ! En plus, pour les cours qui finissent à 21h, alors que c’est l’heure où se couchent les oursons ! Ah, non, il ne faut pourtant pas trop exagérer.
- Mais les enfants de Daechidong, affirma la dame, ils se couchent vers minuit ! Finir à 21h, c’est rien !
Daechidong est le quartier le plus chaud de Gangnam. Toutes les horreurs qui circulent sur les réseaux sociaux en la matière, elles se passent dans ce quartier. Il est vrai que les élèves de ce quartier réussissent le mieux à entrer dans des universités les plus prestigieuses. Mais à quel prix !
- D’accord, lui répondis-je. Mais pour moi, ce qui est primordial, c’est que les enfants se couchent tôt après avoir passé une soirée tranquille qui leur permet de se ressourcer pour le lendemain. Puis-je me faire rembourser ?
- Aucun problème. Passez à notre bureau quand vous serez disponible. Comme les cours n’ont pas encore commencé, on vous remboursera 100% des frais que vous avez payés.
Ainsi s’acheva ma petite aventure auprès d’un hakwon de math. Peut-être regretterai-je ce choix lorsque les oursons n’arriveront pas à « rattraper les autres » dans l’avenir. Je ferai de mon mieux pour les aider à apprendre comment travailler pour bien suivre les cours d’école. Et s’ils s’intéressent à d’autres choses que les études, pourquoi pas ? Comme l’avait si bien dit mon mari, l’important, c’est qu’ils trouvent leurs propres voies qui leur permettraient de vivre pleinement leur vie.
Commentaires
Enregistrer un commentaire