Tout le monde n’a pas la chance de connaître ses grands-parents. Parfois ils partent trop vite avant qu’on puisse avoir des échanges sérieux avec eux. C’était le cas de mes grands-pères maternel et paternel.
Alors, récemment, je trouvai un aristocrate de Joseon ( 1392-1910
) qui porte le même nom de famille que le mien, Shim. Shim est un patronyme relativement moins répandu que Kim, Lee, Park, Choi… en Corée. On n’a qu’un clan. Les écrits de ce Shim me plurent tant que je décidai de le prendre COMME papy de cœur.
) qui porte le même nom de famille que le mien, Shim. Shim est un patronyme relativement moins répandu que Kim, Lee, Park, Choi… en Corée. On n’a qu’un clan. Les écrits de ce Shim me plurent tant que je décidai de le prendre COMME papy de cœur.
Ce Shim n’est pas inconnu de vous car j’ai déjà publié cinq articles sur ses essais, poèmes, journaux de bord, etc, notamment cet essai poignant « En plantant des arbres autour du tombeau de ma femme ».
Il s’appelle Shim No-sung (심노숭, 1762-1837). Je le découvris dans le livre « Des journaux intimes de Joseon », écrit par Park Young-seo, jeune écrivain coréen âgé de 34 ans. Voici comment Park le décrit : « Un addict de l’écriture qui se réveille en plein milieu de la nuit pour écrire tout ce qui LUI passe PAR LA tête (…) et qui cherche à s’exprimer dans son propre style libre et original en refusant le style modéré recommandé aux aristocrates de l’époque. Il n’hésite pas à exprimer ses sentiments ni à révéler ses défauts tels qu’ils sont. »
Mon papy de cœur naquit en 1762 comme fils aîné de Shim Nak-su(심낙수,1739-1799), chef virulent de la force d’opposition, «Sipa». Il était l’un des hauts fonctionnaires influents des rois Youngjo et Jeongjo qui cherchaient à maintenir l’équilibre entre différentes factions de la Cour afin de renforcer le pouvoir du monarque.
Ce qui fait que Shim No-sung naquis et grandit à Séoul. Or, à l’époque, la capitale vivait une période de transition passionnante ! Grâce aux différentes politiques des deux grands rois visant à améliorer la vie du peuple, le commerce se développa de manière fulgurante. Les mentalités des jeunes lettrés évoluaient tout aussi vite. La civilisation de l’Occident, dont le catholicisme, et les nouvelles idées et nouveaux courants littéraires de la dynastie chinoise de l’époque Qing remettaient en question, notamment auprès des lettrés de la jeune génération, le néoconfucianisme classique, l’idéologie fondatrice de Joseon au… 14e siècle ! Pour les enfants terribles du 18e, les interprétations classiques de cette dernière pariassent extrêmement vieillottes. Ils ne mâchaient non plus leur mot pour fustiger le parti conservateur au pouvoir afin de prôner la promotion des études plus pragmatiques et scientifiques susceptibles de mettre le pays sur les rails du progrès. D’un autre côté, la classe dirigeante se sentait menacée par la montée en puissance des roturiers cultivés et riches, notamment les médecins, les interprètes du roi et les marchands.
Ce vent de fronde était également palpable sur les plans littéraire et artistique. De plus en plus de gens refusaient les styles conservateurs pour ouvrir de nouveaux chemins qui consistent à mettre en valeur l’épanchement libre des sentiments des individus et la description précise des objets observés. Par ailleurs, les romans en hangeul, aussi à la mode à l’époque que les k-dramas d’aujourd’hui, n’hésitaient plus à saluer l’amour libre entre homme et femme qui appartiennent, parfois, à des classes différentes, et à décrire dans le détail le plaisir d’amour physique qui en découle.
Habitant de la capitale, Shim No-sung put s’abreuver de ce nouvel air du temps dès le plus jeune âge. En 1783, il rejoignit Seonggyungwan, l’institut de l’enseignement supérieur qui formait les futurs officiels de l’Etat à l’âge de 21. Oui, l’école de la série historique « Seonggyungwan Scandale ». En plus, l’intrigue se déroule à l’époque où Shim y fut inscrit.
La fréquentation des élites de nouvelle génération ne fera qu’attiser son aspiration pour un nouveau style littéraire et ses écrits seront caractérisés par une sensibilité débordante, l’humour et l’esprit critique, que ce soit vis-à-vis de lui-même ou des autres. Il se décrit, par exemple, comme « moche, petit, frêle et maladif », « un tel coureur du jupon qu’il faillit ruiner les finances et la réputation de la famille », « à en proie d’une sensibilité extrême comme les femmes ».
Ce qui ne l’empêcha pas de tomber passionnément amoureux de sa femme qu’il épousa selon les vœux de leurs parents. Il aura un fils et trois filles avec elles. Hélas, trois d’entre eux décédèrent en bas âge et madame les suivit en 1792, à l’âge de trente ans. Profondément affligé, il rédigera 26 poèmes et 23 textes en proses pendant deux ans en l’honneur de sa mémoire dans lesquels il fit part de son chagrin sans modération. Du jamais vu ! Dans l’un de ces textes, « A l’origine des larmes», il affirme que les larmes viennent du cœur lorsqu’on entre en contact avec l’âme de nos êtres chers éloignés, vivants ou morts.
Sur le plan professionnel, il réussit au concours des fonctionnaires en 1790 avant de se voir nommé à un petit poste de la Cour en 1797. Pourtant, il fut destitué et exilé à la mort du roi Jeongjo en 1800 parce que son père, déjà décédé, dirigeait l’opposition du parti qui monopolisa le pouvoir grâce à la reine douairière Jeongsun(정순왕후,1745-1805), veuve du roi Yeongjo qui assuma la régence pour le fils de Jeongjo alors âgé de 10 ans. Même au moment où il reçut cette condamnation, il ne perdit pas son humour : « Mon lieu d’exil fut enfin annoncé, ce sera un petit village de la côte sud-est. Mes proches m’ont félicité que ce ne soit ni sur une île éloignée ni dans une région du nord. Du coup, je n’ai plus pu savoir si je suis triste ou heureux. »
Malgré les conditions difficiles d’exilé, il profita de son séjour dans le sud de la péninsule pour observer et décrire les mœurs, les coutumes et la gastronomie de la région ainsi que des anecdotes insolites sur les personnages qu’il rencontrait. Il rédigea également le journal intime dans lequel il exprima librement et naturellement ses différentes émotions, que ce soit l’indignation contre la classe dirigeante, l’inquiétude et le regret pour sa mère et sa fille, l’angoisse pour son avenir, etc. Il y décrivit également comment le gouverneur sur place exerça le contrôle sur les exilés. Six ans plus tard, lorsqu’il fut restitué comme officiel de la cour, il en fit un recueil de 38 volumes.
Deux ans après sa réintégration, il perdit son petit-frère et sa mère. Il prit un congé de cinq ans tant la douleur lui était insupportable. Son petit-frère, Shim No-am, était, pourtant, aux antipodes de sa personnalité. Confucianiste orthodoxe, c’était le plus virulent critique de Shim No-sung. Il qualifia le style de son frère aîné de « celui d’un romancier vulgaire » et reprocha à ce dernier d’exprimer sans retenue ses sentiments ainsi que son désir. Malgré cette différence de point de vue littéraire, ces deux frères étaient LES plus grands amis et No-am s’occupa de la famille de No-sung pendant son exil.
En 1816, il fut nommé pour la première fois gouverneur d’une ville à l’âge de 55 ans. 24 ans s’étaient écoulés depuis la mort de son épouse bien aimée. Mais il ne l’avait pas oubliée. Avant de partir pour occuper ses nouvelles fonctions, il se rendit à son tombeau et écrivit : « Je reste profondément affligé depuis ton départ… Pourtant, il m’arrive de me dire qu’il vaut mieux rester en vie, notamment pour les moments que je passe avec notre fille et ses enfants… J’ai voulu te dire au revoir car je devrai te laisser longtemps seule. »
En 1825, il se retira et revint auprès de sa défunte femme. 12 ans plus tard, il la rejoignit dans l’éternité à l’âge de 76 ans.
Voilà un petit portrait de mon papy de cœur et de l’ambiance du 18e et du début du 19e siècle de la société de Joseon. Mais comme on dit ici, « Ecouter 100 fois ne vaut pas voir une fois ». Si vous êtes intéressé par ce personnage ou par cette période effervescente, je vous invite à lire ses textes que j’ai traduits, y compris une biographie d’une célèbre gisaeng de l’époque : https://ours15.blogspot.com/search?q=Shim+No-sung
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