En 1656 à Cheolsan, district situé dans le nord-ouest de la péninsule coréenne. Depuis quelque temps, tous les gouverneurs qui y étaient envoyés se retrouvèrent morts le lendemain de leur arrivée. Par ailleurs, des catastrophes naturelles et des épidémies ne cessèrent de harceler cette région. De nombreux habitants désertèrent alors Cheolsan.
Alarmé, le roi décida alors d’y envoyer un officier vaillant, intègre et intelligeant pour faire la lumière sur ce mystère. II s’appelait Jeon Dong-heul. Ancien soldat volontaire, comme certains des personnages principaux de My Dearest lors de l’invasion des Mandchous en 1636, il accompagna la famille du dauphin Sohyeon et celle de Hyojong (à l’époque le prince Bongwon) en Chine lorsqu’elles furent emmenées comme otages en Chine par l’empereur mandchou.
Lorsque la première nuit vint après son arrivée à Cheolsan, Jeon essaya de rester éveillé. Alors qu’est-ce qu’il vit ! L’apparition soudaine d’une jeune fille fort belle. Certainement un fantôme. Mais au lieu de paniquer, il lui demanda sévèrement : « Qui es-tu ? Comme as-tu osé entrer dans la chambre du gouverneur sans autorisation ? »
« Je m’appelle Jang-hwa, fille aînée de Bae Mu-ryong, un aristocrate du village. Je suis venue pour vous implorer de rétablir l’honneur salie de ma petite-sœur, Hong-ryeon et de moi-même. Je l’avais fait de même avant votre arrivée. Mais à chaque fois que je faisais mon apparition, tous vos prédécesseurs eurent une crise cardiaque à cause d’une grande peur. Mais comme vous avez pu résister à la panique, je vous prie de bien vouloir écouter notre sort tragique. »
…………
Que la vie était douce et belle ! Notre famille était riche grâce à la dot que notre mère avait apportée lors de son mariage. Nous ne manquions rien et tout ce que nous faisions était s’amuser ensemble et se faire chouchouter par nos parents aimants. Tout a pris fin lorsque notre pauvre mère décéda. Je n’avais que sept ans et ma sœur, quatre ans. Avant qu’elle rende son dernier souffle, elle fit jurer À notre père de nous bien élever et de nous marier avec des nobles respectables.
A sa mort, notre père resta longtemps inconsolable. Cependant, ses proches le pressèrent de se remarier pour avoir des fils. On lui trouva une créature à la santé vigoureuse : grande et grasse, elle avait un visage aux pommettes saillantes aussi large qu’une grande assiette. Elle nous faisait peur à chaque fois qu’elle nous fixait aves petits yeux vifs respirant la méchanceté.
Surtout, qu’est-ce qu’elle était jalouse ! Elle savait que son mari n’attendait d’elle que des héritiers mâles et que notre mère lui manquait encore beaucoup. Elle ne supportait pas non plus qu’il nous aima tendrement. La marâtre ne manquait donc aucune occasion pour nous maltraiter et proférer des insultes.
Un jour, notre père surprit l’une de ces scènes et la gronda : « Arrête de harceler mes filles. N’oublie pas que c’est grâce à la fortune de leur mère que tu peux vivre aussi aisément. »
Il n’empêche qu’elle réussit à s’acquitter parfaitement de son devoir conjugal : elle mit au monde trois garçons en trois ans. En abusant de sa position ainsi renforcée auprès du chef de la famille, elle ouvrit ostensiblement les hostilités contre Hong-ryeon et moi : elle se mit à nous calomnier sans vergogne auprès de notre père avec des mensonges toujours plus innovants.
Heureusement, nous étions deux… Ma sœur et moi formâmes un front uni, inébranlable. Nous nous consolâmes en parlant de notre pauvre mère et en chantant des chansons qu’elle aimait à chaque fois que cette créature détestable nous attaquait.
Pourtant, des mensonges mille fois répétés deviennent la vérité aux yeux de ceux qui y sont exposés. Et même ceux qui les profèrent finissent par y croire. Notre père se mit à s’éloigner de nous… A l’époque, j’avais atteint l’âge de me marier. Un jour père exposa à cette menteuse le projet de mon mariage et de ma dot, ce fut la goutte qui fit déborder la vase. Elle la considéra comme un vol alors qu’elle aurait voulu hériter de tout le patrimoine de la famille pour ses fils. D’abord, la marâtre commença à se plaindre de mes comportements indécents auprès des hommes du village. Tout homme pourvu d’une capacité de jugement normale ne l’aurait pas cru car je ne sortais guère et lorsque je le faisais, j’étais toujours accompagnée d’une servante. Mais à cause des mille et une calomnies qu’il avait entendu de la part de la mère de ses fils, notre père commença à me soupçonner.
En voyant le terrain préparé, cette créature attrapa un gros rat, le dépouilla et l’enduisit de sang pour qu’il eût l’air d’un fœtus avorté. Puis, une nuit, pendant que je dormais, elle le mit entre mes jambes. Le lendemain matin, elle le présenta à notre père comme une preuve irréfutable de mon crime : « Il faut la tuer pour sauver l’honneur de la famille », déclara-t-elle solennellement. « Mais ne lui dis rien, poursuivit-elle, sinon elle peut s’enfuir. Ordonne-lui d’aller voir son oncle maternel qui vit au village voisin à la nuit tombante. Il y a un grand lac sur le chemin. Notre fils l’accompagnera et la noiera une fois arrivé au bord de l’eau. Ni vu, ni connu. »
Le pauvre dupé l’accepta. C’est ainsi que je suis morte. Ma pauvre sœur ne put supporter cette perte. Elle se jeta dans le lac où je me suis noyée. »
………………
Jusqu’ici, j’ai mélangé la fiction et la réalité. Il existait bel et bien cette malheureuse famille et le gouverneur, Jeon Dong-heul ainsi que l’assassinat de Janghwa par sa belle-mère. Mais pas de fantôme, ni la mort successive des gouverneurs de Cheolsan, ni famine.
Le fait est que lorsque Jeon arriva à Cheolsan, on lui rapporta le suicide de deux filles aristocrates de la ville : les deux SE seraient jetées dans l’eau à quelques jours d’intervalles. Il sentit tout de suite que quelque chose n’allait pas. Il ordonna tout de suite d’ouvrir les enquêtes.
Il convoqua d’abord le couple incriminé par le fantôme. La marâtre prétendit que Janghwa s’était donné la mort après avoir avorté son bébé. Elle lui déposa même, comme preuve, le cadavre du rat. Il ne fallut à Jeon que quelques secondes pour découvrir que ce n’était pas un fœtus.
Puis, l’officier ordonna d’examiner le corps de Jang-hwa. Pour cette opération, il se référa au manuel des enquêtes scientifiques de l’époque, « Shinjungmuwonrok (신주무원록) ». Il voulut d’abord savoir si elle avait été tuée par avance avant d’être JETÉE dans l’eau ou SI elle fut noyée. Il fit repêcher leurs corps. Il commença par le corps de Jang-hwa qui était morte la première. Ses enquêteurs lui rapportèrent avoir trouvé des traces d’écumes sur son corps, car d’après ce livre, les noyés en ont sur leurs corps comme ils s’agitaient beaucoup dans l’eau avant de mourir. Par ailleurs, on la découvrit en compagnie d’une valise remplie de ses affaires et d’argent. Elle gardait ses chaussures aussi. Or, selon le manuel, les suicidés ne gardent pas leurs affaires et ont tendance à laisser ses chaussures avant de passer à l’acte. Il parut évident au gouverneur que quelqu’un l’avait poussée dans le lac. Mais afin de confirmer son hypothèse, il ordonna l’autopsie.
La marâtre et le père de la victime protestèrent vigoureusement à cette décision : hors de question de déshonorer le corps d’une femme noble. Mais Jeon ne sourcilla pas et fit ouvrir le ventre de la fille. Aucune trace de la grossesse. Il désigna la marâtre comme suspecte du fait qu’elle présenta la fausse épreuve : « Tu devrais savoir, toi-même ton crime (네 죄를 네가 알렸다.) ». Elle finit par avouer son crime qui s’était déroulé comme je l’avais décrit dans le récit de Jang-hwa.
Les assassins furent décapités et le père fut exilé. Grâce à ce jugement intègre, Jeon jouissait d’une grande popularité auprès des habitants de Cheolsan. Jeon mourut à l’âge de 96 au début du 18e siècle. A son décès, le roi de l’époque, Sukjong, lui rendit hommage en envoyant son délégué à ses obsèques.
Au début du 19e siècle, un lointain descendant de Jeon Dong-heul demanda à un romancier d’écrire un roman basé sur ces faits. Je m’y suis référée pour l’intro et les dialogues figurant dans le récit de Jang-hwa.
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