Poème de Han Kang, prix Nobel de littérature : Les os de l'épaule



C’est grâce à une amie que je découvris ce poème, intitulé « les os des épaules ». Selon l’auteure, c’est la partie la partie la plus spirituelle du corps car on peut deviné l’état d’âme des personnes en regardant leurs épaules. Mais avant de vous exposer ma lecture du poème, d’abord ma traduction de cette œuvre. Puisque la poésie est ouverte à mille et une interprétations différentes. Je ne voudrais pas, ainsi, influencer votre propre ressenti à cause du mien. 
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Les os de l'épaule
- Han Kang

« Du corps humain, 
Quelle est la partie la plus spirituelle du corps humain ? », me demanda un jour quelqu’un. 
J’ai répondu : « les épaules ». Puisqu’elles nous permettent de deviner si quelqu’un se sent seul. 
Tu sais. Tendues, les épaules s’endurcissent. Peureuses, elles se recroquevillent. Et fières, elles se tiennent tout droites. 
Avant de te rencontrer, 
A chaque fois l’endroit entre mon cou et mes épaules me picotaient à me faire déchirer, 
En massant cette partie avec une main, je me disais : 
« Si seulement cette main était les rayons du soleil. Si seulement elle était la voix basse du vent du mois de mai... »
C’était au moment où nous marchâmes côte-à-côte sur une voie pavée pour la première fois.
Tout à coup, la voie se rétrécit et nos corps devinrent tout légères. 
Te souviens-tu, 
De cet instant où ton épaule maigre et la mienne maigrelette se heurtèrent.
De ce moment où le son d’une clochette, engendré par les os solitaires, retentit de loin.

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L’avantage des épaules, contrairement à la langue, c’est qu’elles nous permettent de rester davantage nous-même. Donc, plus libre. les épaules tremblantes des insurgées contre les tyrannies en disent souvent plus long que leurs manifestes, pamphlets, articles, discours enflammés qui font, par ailleurs, l’objet de censure et de répression. 

Aujourd’hui encore, même dans des pays où la liberté d’expression est garantie par la Constitution, ce droit fondamental est régulièrement bafoué dans la vie quotidienne. Il suffit de regarder autour de nous. Vous pourrez toujours découvrir des gens qui imposent leurs paroles en réduisant au silence leurs interlocuteurs, y compris leurs êtres les plus chers.  Les rapports de force inégalitaires, pour des raisons économiques, hiérarchiques ou affectueuses, obligent parfois des individus à se taire et à supporter les monologues de leurs persécuteurs. Il est aussi des gens qui n’arrivent pas à s’exprimer tant leur chagrin ou leur solitude sont grands. Par ailleurs, c’est l’image de ses affligés ou solitaires qui arrive la première dans ce poème. 

Et le léger tressaillement de leurs épaules trahit mieux qu’aucun autre mot  LE nœud incrusté au fond de leur cœur. En coréen, on l’appelle « han (한) », un sentiment complexe mêlé de regret, de tristesse, de douleur, de frustration ou d’indignation. La narratrice qui souffre d’un « picotement à faire déchirer », son corps me semble souffrir de ce nœud solide inexprimable qu’elle désire soulager avec « les rayons du soleil » et « la voix basse du mois de mai ».

C’est la rencontre avec un autre être aussi solitaire qu’elle qui lui viendra en aide. La dernière partie du poème aura dû vous faire penser à l’une des scènes typiques des romances coréennes. Un homme et une femme, blessés chacun par leur passé, se promènent pour la première fois en tête-à-tête. Ils se sentent attirés mais ils n’osent pas trop se permettre le moindre contact physique. L’incertitude du sentiment de l’autre ou tout simplement la timidité ? Lorsqu’ils sont obligés de se rapprocher à cause de la voie qui est devenue trop étroite, ils se sentent subitement délestés du poids lourd de leur han. 

Et quand le contact physique se produit enfin entre leurs épaules frêles, accidentellement ou intentionnellement,  ils croient entendre un son de clochette limpide qui libéra leurs âmes claquemurés dans le silence. 

Voilà… une lecture très personnelle du poème. Quels sont vos ressentis sur cette œuvre du prix Nobel de littérature 2024 ?

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