Quatre plantes nobles (사군자)


Lee Mae-chang(이매창, 1573-1609)  était une gisaeng (기생). Les gisaengs étaient des artistes cultivées qui avaient pour mission de rehausser l’ambiance des banquets. Mais elles appartenaient à la classe inférieure car, par leur métier, elles étaient amenées à fréquenter les hommes contrairement aux femmes des autres classes. Elles po
uvaient aussi prendre amants librement, comme la célèbre gisaeng Hwang Jini, ou devaient parfois céder aux exigences des aristocrates puissants du moment. 

Cependant il leur arrivait aussi d’aimer une seule personne comme ce fut le cas de Mae-chang. A l’âge de 18 ans, elle tomba éperdument amoureuse de Ryu Hee-gyeong(1545-1636), âgé de 46 ans. Mais elle vivait à Buan, ville située dans la province de Jeolla, et lui, à Séoul. Quelques jours après leur rencontre, Ryu dut laisser Mae-chang dernière lui pour rejoindre les siens dans la capitale. « Seule, mon âme solitaire erre sur les mille lieues qui nous séparent ! », déplorera la gisaeng dans un de ses poèmes. Heureusement, ils étaient, tous deux, des poètes hors norme. Ils échangeront des poèmes enflammés tout au long de leur vie. Elle voulut rester fidèle à son amour. Selon Hu Gyun(허균,1569-1618) , haut fonctionnaire de la Cour et grand ami de Mae-chang, « digne et chaste de nature, elle fuyait toute lubricité dans ses relations avec les hommes.»
* Pour leur histoire d’amour et d’amitié : https://ours15.blogspot.com/2023/11/lee-mae-chang-et-ses-amours.html

A cause de son statut social, elle dût pourtant supporter certains aristocrates qui lui faisaient des avances. Elle s’en plaignit plusieurs fois dans ses poèmes comme celui-ci :  
« Honteuse de ce corps qui est devenu gisaeng, 
 J’aime contempler, seule, les fleurs de prunier baignées dans le clair de lune.
 Mais pourquoi ne comprend-t-on pas cette pudeur ! 
 On ne me laisse jamais tranquille ! » 

Et voilà, enfin, j’arrive au sujet du jour. Les fleurs de prunier (d’abricotier du Japon). Elles font partie de quatre plantes vénérées dans l’Asie de l’Est avec le chrysanthème, l’orchidée et le bambou.  

Cette tradition fut établie aux alentours du 10e siècle et pendant l’époque de la domination de la Chine par les Mongols (1271-1368), les lettrés chinois s’en servaient pour exprimer leur esprit de résistance contre les envahisseurs. Elle fut transmise en Corée pendant la période de Goryeo (918-1392). Les aristocrates de Joseon(1392-1910) développèrent encore davantage ce thème dans différents genres artistiques, notamment la peinture, la poterie et la littérature. 

Pourquoi autant d’admiration pour ces plantes ? 

Elles ont toutes pour caractéristique d’affronter bravement un environnement jugé difficile par les hommes. Les fleurs de prunier arrivent les premières parmi les fleurs alors que l’hiver est encore là, parfois sous la neige. Ces petites fleurs roses à cinq pétales fragiles s’épanouissent seules alors que le reste de la nature somnole encore. Pas d’abeilles et ni de papillons pour les divertir. Elles attendent la nuit, l’arrivée de leur unique compagnon, la lune. Baignées dans ses rayons discrets mais courageux qui luttent contre l’obscurité, elles lui content sa journée qui est souvent monotone, sa solitude et lui jure sa fidélité pour la souveraine de la nuit. L’image des « fleurs de prunier baignées dans la lune » que nous venons de voir dans le poème de Mae-chang constitue encore aujourd’hui un thème populaire des artistes et des écrivains. Ainsi, la vertu que les mandarins attribua ainsi à ces fleurs étaient notamment la fidélité des femmes envers leurs hommes et par extension, celle des sujets à l’égard de leur monarque. 

Mae-chang(매창, 梅窓), signifie, par ailleurs, « les fleurs de prunier fleuries à côté de la fenêtre ». C’est un nom de plume que la gisaeng se donna avant même de rencontrer son bien aimé. Elle aurait sans doute exprimé son souhait de vivre aussi aussi fidèlement à sa foi, à elle-même et à son amour. 

Les fleurs chrysanthèmes furent idolâtrées à peu près pour la même raison que les fleurs de prunier. Elles arborent fièrement DE nombreuses pétales grasses et leurs couleurs vive à l’arrivée du froid au moment où les autres fleurs et feuilles s’apprêtent à s’en aller, ce qui fait qu’elles étaient souvent identifiées à la persévérance, voire à l’esprit de résistance. 

Les bambous étaient surtout appréciés pour leur forme droite et leur couleur qui reste verte même en plein hiver qui évoquent l’intégrité et la droiture. Comme ces trois plantes que je viens de présenter résistent au froid, les anciens les appelait aussi « trois amis du grand froid 새한삼우,歲寒三友)». 

Quant à la dernière noble plante, les orchidées, elles étaient saluées pour leur parfum exquis et leur capacité le répandre très loin ainsi que leur allure élégante même si elles se trouvent seules au fin fond d’une montagne. 

Pour voir des peintures célèbres de quatre nobles plantes de l’époque de Joseon : https://www.ohmynews.com/NWS_Web/View/at_pg.aspx?CNTN_CD=A0001566283

Ainsi, en déposant des chrysanthèmes sur les tombeaux de vos proches dans une semaine, souvenez-vous de leur signification en Asie. A l’instar de ces fleurs si persévérantes contre le froid, vous accomplissez un acte de résistance contre l’usure du temps et l’oubli en les offrant à vos êtres chers. 

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