Destitution de Yoon Suk-yeol : trois juges de la Cour constitutionnelle


« Moi, j’aimerais bien devenir juge. », déclara solennellement Petit Ourson à mamie Ours, un jour de février. « Oh, petit chéri, quelle belle idée ! Mais tu as déjà huit rêves, non ? A savoir, comédien, journaliste, tireur, YouTubeur, etc. » 

« Mais non, répondit le petit d’un air sérieux. Je n’en ai plus que quatre maintenant. Par exemple, je ne veux plus devenir tireur, les JOs ont pris fin ! »  Le fait est qu’il est très influençable pour le choix de son futur métier ! 


Comme je ne regardai que les audiences du procès en Constitution entre fin janvier et fin février, il joua au jeu de plaidoirie avec son grand-frère et ses camarades de classe. Non seulement moi, mais aussi beaucoup de mes compatriotes les suivirent de près. On  en est venu à s’intéresser aux juges. Et je voudrais vous présenter l’histoire des trois juges qui attirèrent particulièrement l’attention. 
Pour en savoir plus sur la Cour constitutionnelle coréenne : https://ours15.blogspot.com/2023/10/la-cour-constitutionnelle-de-la.html

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Je commencerai par la juge Jeong Gye-seon, classée comme ayant une orientation politique progressiste. Soit dit en passant, mon mari et elle ainsi que son époux étaient inscrits dans la même fac, le département de droit de l’Université nationale de Séoul (SNU). En plus, ils se connaissaient bien comme ils se voyaient souvent dans le même cercle. Papa ours les appelle « grande-sœur (nuna) » et « grand-frère (hyeong)», ce qui témoigne de la proximité de leurs relations. 


« Elle et son mari étaient toujours très droits, engagés à fond pour protéger les plus faibles et les isolés de la société, commenta-t-il. Elle est réputée pour son intégrité. Son époux est un avocat qui travaille dans une association qu’il créa pour la défense des droits de l’homme en acceptant de recevoir un salaire vraiment ridicule, alors qu’un avocat dont la femme est une juge célèbre aurait pu gagner une fortune ! »

Née en 1969 comme fille aînée d’une pauvre famille en province, Jeong dut surmonter de nombreux obstacles, telle que la violence de son père. Sa mère nourrissait la famille en faisant de la couture. Une fois avoir réussi à la fac, Jeong aida ses petits frères et sœurs à suivre leurs études en donnant plusieurs cours privés. Et en 1995, elle arriva en tête lors du concours de la magistrature, une première pour une femme. Puis, elle fut nommée juge et travailla dans différents tribunaux. C’est elle qui condamna, en première instance, l’ex-président Lee Myeong-bak à 20 ans de prison pour corruption. Très engagée pour la promotion des droits des femmes, elle rejoignit des groupes d’études de juges qui se penchaient sur cette question. 

Le 2e magistrat que je veux vous présenter, c’est Moon Hyeong-bae, le président par intérim de la Cour. C’est lui qui lut le résumé de l’arrêt du verdict de la destitution de Yoon. Né en 1965 comme aîné d’un paysan pauvre, il aurait dû arrêter ses études au collège s’il n’avait pas rencontré son bienfaiteur Kim Jang-ha. Ce dernier avait gagné beaucoup d’argent grâce au commerce des herbes médicinales. Ce qu’il regretta toute sa vie, c’est de devoir cesser ses études après l’école primaire à cause de la pauvreté. Il décida de consacrer le reste de sa vie À aider des pauvres élèves talentueux. Kim créa ainsi une fondation et un lycée pour venir en aide aux jeunes en difficulté. 

Le juge Moon put bénéficier des bourses distribuées par la fondation de Kim dès la première année du lycée jusqu’à la dernière année de la fac. Lorsque Moon remercia Kim après avoir réussi au concours de magistrat, celui-ci lui répondit : « Si tu m’es vraiment reconnaissant, rends ce que tu as reçu de moi à la société. Essaie de travailler toujours pour protéger les plus vulnérables et ne cherche pas à devenir riche avec ton métier de juriste. »

Lors de l’audition au Parlement avant d’être nommé juge de la Cour constitutionnelle, plusieurs députés lui exprimèrent leur respect car son patrimoine n’était que de 400 millions de wons (247000 euros), bien en dessous de ceux déclarés par d’autres juges, ils découvrirent également que Moon avait fait beaucoup de dons à des associations caritatives, ainsi qu’à un tribunal où il travailla. « Car le budget y manquait cruellement », expliqua-t-il. Pendant la délibération entre les huit juges de la plus haute instance juridique, il essaya d’obtenir le consensus de tous et d’insérer un message de cohésion du peuple. Grâce à son leadership, on eut droit un verdict salué à l’unanimité comme étant un « manuel parfait de la Constitution ». 

Tout au long du procès en destitution, il fut l’objet d'attaques des partisans de Yoon qui le qualifiaient de « sale communiste, espion de la Corée du Nord », car il présida un groupe d’études des juges considéré comme progressiste et qu’il fut nommé par l’ex-président Moon Jae-in, appartenant au parti de centre gauche. Mais toutes leurs menaces ne le firent pas fléchir. 

Moon est également un grand amateur du sport. Fin mars, lorsque le verdict tarde à venir, on le critiqua même de s’être inscrit, avec sa femme, pour un tournois de tennis prévu en avril ! Il était, en effet, un membre actif du club de tennis de la Cour constitutionnel. Aujourd’hui, son mandat s’est achevé et dans son discours d’adieu, il exprima un remerciement particulier à ce cercle. Il adore aussi le baseball, mais malheureusement il est fan de l’équipe Lotte, basée à Busan, l’une des plus faibles équipes. Moon exprima souvent, sur son compte de Facebook, sa déception lorsque Lotte essuya une défaite. Et même le jour où le juge prononça le verdict de la destitution de Yoon, Lotte fut battu ! 

Alors qu’est-ce qu’il envisage de faire après la retraite en tant que juge ? La plupart des ex-juges ou anciens procureurs entament, après leur démission départ, la carrière d’avocat. Leur connaissance du milieu leur permet d’occuper une position favorable lors des procès. Ce qui leur permet de toucher des honoraires exorbitants. Alors, imaginez, un ancien président par intérim de la plus haute instance juridique du pays ! Le numéro 1 des magistrats ! Il pourrait devenir, du jour au lendemain, un millionnaire ! Mais non. Ce n’est pas son choix. Car Moon jura, auprès de son bienfaiteur, qu’il plaidera gratuitement pour les pauvres une fois terminée sa carrière de fonctionnaire.

Le dernier juge que je vais vous présenter, c’est Kim Hyeong-doo. Classé comme étant de centre-droit, il connut un parcours d’élite. Il entra au département de l’Université nationale de Séoul comme les deux autres, réussit très tôt au concours de magistrat alors qu’il n’avait que 20 ans. Contrairement à Moon Hyeong-bae qui n’avait été affecté dans des tribunaux provinciaux loin de la capitale, il occupa des postes clés des Cours de Séoul. Mais malgré cette carrière glorieuse, il devait vivre avec une grande tristesse. Son second fils est diagnostiqué comme autiste du premier degré. Lors de l’audition parlementaire, il dit que cette situation lui permit d’écouter plus attentivement la voix des vulnérables de la société.

Pendant le procès en destitution, c’est lui qui posait le plus de questions aux témoins. Avec son sourire désarmant et sa voix douce, il arriva à obtenir des témoignages capitaux pour la destitution de Yoon. Il se fit également remarquer par la grande quantité de dossiers qu’il amenait à chaque audience contrairement à ses collègues ! Le jour où la Cour valida la motion de censure contre Yoon, il transporta cinq sacs remplis de papiers pour se rendre à la Cour. Kim aurait également joué un rôle crucial de médiateur grâce à sa douceur et à son intelligence entre quatre juges classés comme étant progressistes et deux catalogués conservateurs, pour que la Cour puisse destituer à l’unanimité, Yoon Suk-yeol. Après avoir lu le verdict, le président par intérim de la Cour, Moon Hyeong-bae prit le bras de Kim avant de lui tapoter son dos en sortant de la salle d’audience comme vous le voyez dans l’une des photos. Cette scène fit chaud au cœur de beaucoup de Coréens.

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