« Peu de temps après la naissance de ton grand-frère, on s’est installés dans un appartement, situé dans l’arrondissement de Gangnam », me raconta un jour maman.
« C’est à l’époque où tu es née, se poursuit-elle. Tu t’en souviens, notre logement se trouvait dans un grand complexe d’appartement qui réunissait une quinzaine de bâtiments de cinq étages. Ton père et moi étions très heureux de notre nouveau nid. Que c’était pratique, ce nouveau type d’habitat pour l’époque. On n’avait plus besoin de recourir au charbon pour chauffer la maison et on avait autant d’eau chaude qu’on voulait !»
La construction des complexes d’appartements modernes était l’une des stratégies du gouvernement de l’époque pour attirer la population vers la rive sud du fleuve de Han.
Célèbre grâce à la chanson, « Gangnam Style », l’arrondissement de Gangnam est aujourd’hui réputé pour la richesse de ses habitants et la modernité de ses bâtiments et infrastructures, un peu comme le 16e arrondissement de Paris. En termes de recettes fiscales, il arrive en premier parmi les 25 arrondissements de Séoul.
Or, à l’époque où mes parents y arrivèrent, c’est-à-dire, vers 1978, cette zone était plutôt une campagne dont le développement venait de commencer. Comme vous le voyez dans l’une des photos, il était fréquent de retrouver des paysans qui cultivaient leurs champs avec des bœufs !
A côté de notre appartement aussi, il y avait un joli petit verger. Au printemps, j’aimais me promener sous les fleurs des poiriers et des pommiers. Dans le verger, il y avait deux ou trois petites maisons de deux étages qui disposaient d’un potager dans leur cour. Il y avait également beaucoup de terrains vagues sur lesquels les enfants s’amusaient à faire mille et un jeux. La plupart des appartements de mon quartier étaient nichés dans des bâtiments à cinq étages.
Aujourd’hui, mes parents et la famille Ours vivons toujours dans le même endroit mais le changement est vertigineux. Plus aucun terrain vague, aucune trace de verger. Que des grandes tours résidentielles qui comptent de 20 à 35 étages. Et trois stations du métro se trouvent à proximité alors que, jusqu’en 1996, il fallait prendre le bus pour rejoindre la station la plus près de chez nous.
Célèbre pour la chanson de Psy !, Gangnam style, le mot « gangnam » signifie, mot-à-mot, « la rive sud du fleuve ». Sur le plan administratif, « l’arrondissement de Gangnam » désigne à l’un des 11 arrondissements de Séoul situés au sud du fleuve Han. Au sens plus large du terme, la région de Gangnam englobe aussi les deux arrondissements voisins, Seocho et Gangdong, qui sont tout aussi prospères.
Comment cette transformation fulgurante de rive sud du fleuve Han en moins de trois décennies fut-elle possible ? Voici sa petite histoire..
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Dans les années '60, la Corée enregistra un développement économique fulgurant. Le président Park Jung-hee mit en place de nombreux projets ambitieux visant à augmenter les exportations et la production agricole pour sortir le pays de la misère. La démographie grimpa et nombreux étaient ceux qui se rendirent dans des grandes villes, notamment Séoul, pour trouver du travail. En dix ans, la population de Séoul explosa, d’un million en 1953 à 5,5 millions en 1970, alors que le centre-ville n’était pas encore équipé pour digérer un tel flux.
Or, jusqu’en 1966, la partie sud du fleuve Han ne faisait pas encore partie de la capitale. A partir de ce moment-là, le gouvernement songea à développer cette zone ainsi que l’île de Yeouido située en plein milieu du fleuve Han, afin de désengorger le centre-ville en incluant quelques quartiers dans la capitale. L’exécutif commença par développer Yeouido en y construisant le siège de l’Assemblée nationale, des bâtiments résidentiels et commerciaux. Mais la superficie de Yeouido n’était pas suffisante pour régler le surpeuplement dont souffrait le centre-ville de Séoul. Le gouvernement se mit tout de suite à transformer de fond en comble la partie du sud depuis le début des années '70.
Heureusement, à l’époque, l’Etat disposait de quoi investir à des mégas travaux de construction des infrastructures car ses quinquennales de développement développements successifs portèrent des fruits. 27 viaducs du fleuve Han virent le jour un à un ainsi que des bâtiments résidentiels de 5 à 15 étages. L’exécutif fit déménager le siège du Parquet et celui de la Cour suprême. Il incita également les entreprises À y élire leurs sièges. Et enfin, en 1975, l’arrondissement de Gangnam fut créé.
Cependant, les habitants de Séoul se montrèrent, au début, réticents à l’égard de Gangnam. L’image d’une campagne marécageuse perdue et sous-développée restait encore solide dans leur tête.
Là, le gouvernement s’inspira du zèle des parents pour leurs enfants. Déjà, à l’époque, la priorité numéro un des couples coréens était l’éducation de leur progéniture.
Il fit donc déménager plusieurs lycées prestigieux de l’époque vers le sud. C’était un coup de Dieu comme on dit en Corée, ce qui fera grimper encore et encore les prix immobiliers de cette nouvelle partie de Séoul dans les décennies à venir.
Dans les années '80, les efforts visant à développer cette zone se poursuivirent. Coex fut créé afin d’y accueillir des expositions internationales et la ligne 2 du métro qui relie des quartiers principaux du sud et du nord fut inaugurée.
Les JOs de Séoul en 1988 accélérèrent le développement de cette partie. Différents sites sportifs pour les jeux, les salles de concerts et d’exposition ainsi que le village des athlètes furent construits. Les appartements qui y étaient bâtis furent vendus chers aux nouveaux arrivants à Gangnam. Grâce à ces efforts, la population de la rive sud bondit de 1,2 millions à 5,1 millions alors que celle du nord ne progressa que de 4,3 millions à 5,2 millions.
Ainsi, Gangnam devint en moins de 30 ans le symbole de la prospérité et de la modernité, ainsi que celui des mères qui sont prêtes à tout pour l’éducation de leurs enfants, soit l’un des plus grands miracles du fleuve Han.
« Mais le Gangnam du début de notre séjour ici me manque, conclut maman. C’était plus respirable et les habitants étaient plus proches les uns des autres dans des bâtiments résidentiels qui avaient la taille humaine. 5 étages suffisaient ! On gardait encore une petite ambiance de village. Mais bon. Tout change. »
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