« On commande 2kg de thon en conserve pour 14000 wons ? », me demanda mon mari. « Cela revient beaucoup moins cher, car une conserve de 200g coûte entre 3000 wons et 4000 wons. Donc, on le répartira en petites quantités et on pourra le conserver dans le congélateur. »
En ce temps d’inflation folle, c’est en effet l’une des astuces de survie : acheter un produit en grande quantité, surtout pour une famille qui a des enfants qui dévorent tout.
Et le jour où on ouvre la boite, on fait des ssams (rouleaux de légumes à feuilles) de thon ! C’est la fête ! Chacun prend autant de thon qu’on veux. Puis on congèle le reste. Et à chaque fois qu’on le fait, mon mari nous rappelle le souvenir de son enfance lié au thon en conserve. « Ce produit a été lancé en 1982, je crois, quand j’avais 10 ans. A l’époque, une boite de 150 g coûtait 1000 wons. Très cher pour l’époque alors qu’un bol de jjajangmyeons coûtait 500 à 600 wons. Mon père en amenait de temps à autre et elle disparaissait en un clin d’œil car, comme vous le savez, j’ai deux frères et une sœur. 150 g à partager avec six personnes ! Juste une petite bouchée pour chacun. C’est le bonheur de pouvoir en manger à volonté comme nous le faisons aujourd’hui. »
« Même si on n’avait pu en mangerqu’une bouchée, poursuivit mon mari, c’était un bonheur pour nous. On avait l’impression d’être devenus riches, comme des gens de pays développés ! »
« Comme des pays développés… » était une prière qui revenait à toutes les occasions dans tous les milieux notamment dans les années 1980 et 1990, avec « chez les Américains (à l’époque, beaucoup de Coréens considéraient tous les occidentaux comme américains, désolée..) et « chez les Japonais ». Avant, pas trop. Car on était dans une pauvreté absolue. L’objectif (imminent) impérieux était de sortir de la misère et on n’osait pas se comparer avec ces pays riches.
Mais une fois sortie de cette pauvreté noire, on vit se profiler à l’horizon la prospérité. Et les entreprises agroalimentaires qui lançaient des produits encore exotiques pour nous, tels que la charcuterie, exploitèrent à fond ce changement en soulignant, « Les gens de pays développés mangent ceci ou cela », y compris le groupe Dongwon, qui lança le premier thon en conserve en Corée en 1982. Et voici son histoire.……
Depuis quand mange-t-on du thon en conserve ? Depuis 1904 aux Etats-Unis. Avant, le thon était traité comme un poisson inutile. Les Japonais l’appelaient même « le poisson que même les chats ne mangent pas. » Trop gros, trop difficile à préparer et trop gras, ce qui le faisait pourrir trop vite alors qu’on n’avait pas encore de congélateur dans les chalutiers.
Or, dès la fin du 19e siècle, la technique de mise en boîte en conserve se développa considérablement et la sardine devint le poisson de prédilection pour ce mode de préservation. Notamment en Californie, la sardine en conserve fut tellement côtés que les sardines disparurent aux larges de cet état américain. L’un des plus grands fabricants de ce produit décida alors de remplacer les sardines par du thon. Il fit d’une pierre deux coups. Car c’était aussi la faute des thons qui mangent des sardines que ces dernières disparaissaient si vite. Par ailleurs, le développement du frigo permettait de conserver de manière stable le thon. Ce fut un immense succès ! Le thon en conserve devint vite l’un des aliments de base des Américains. Mais les thons commencèrent à disparaître, eux aussi, aux larges de la Californie. Ainsi, il fallut aller jusqu’à des mers lointaines pour en pêcher.
Les plus grands bénéficiaires changement de la donne furent les Japonais qui disposaient d’une technologie avancée en la matière. Après la 2e guerre mondiale, la pêche au thon devint l’un des moyens importants de gagner des dollars pour les Nippons.
La Corée l’observa de près. La guerre de Corée (1950-1953) venait de se terminer et c’était la ruine et une pauvreté totale partout dans le pays. Il fallait trouver quelque chose à vendre à l’étranger. Pourquoi pas du thon comme nos voisins alors que le pays disposait de nombreux marins habiles puisque c’est une péninsule. Et bien à propos, nous venions de recevoir de la part des Etats-Unis un grand chalutier. Ainsi en 1957, la Corée tenta l’expérience dans l’océan Indien. Résultat très encourageant ! Mais les premières années, la Corée avait du mal à développer cette industrie car on n’avait ni la technologie ni l’argent pour construire des bateaux !
Le secours vint alors d’un fabricant de thon américain. Pour faire baisser le prix du thon vendu par les Japonais, il proposa de nous prêter des bateaux de pêche. En contrepartie, nous allions rembourser une part du loyer en thons. Marché conclu, la Corée devint, en laps du temps très court, un concurrent redoutable du Japon. En 1969, un jeune marin, un certain Kim Jae-cheol, qui avait participé à la première opération de pêche de thon en 1957, créa le groupe Dongwon, spécialisé dans la pêche de ce poisson.
Dans les années 1970, cette industrie connut un grand essor. Grâce au développement du secteur naval, la Corée se mit à construire, elle-même, des grands navires bien équipés, alors que parallèlement, le secteur souffrit d’un déclin très rapide au Japon. Par ailleurs, c’est À ce moment-là que nos voisins se mirent à manger du thon cru (sashimi). La demande de thon au Japon explosa ! Or, à la fin des années '70, la Corée rencontra plusieurs obstacles. Les fabricants de thon en conserve américains soutinrent, maintenant, la Thaïlande pour la même raison qu’ils avaient aidé la Corée. Et pour protéger cette industrie, Tokyo interdit d’importer des thons de la Corée.
Afin de régler ce problème, le gouvernement et le Dongwon décidèrent de vendre du thon en Corée. Avant, c’était interdit car on considérait le thon avant tout comme une source de devises étrangères. En même temps, ils lancèrent des recherches pour fabriquer nous-mêmes du thon en conserve.
Ainsi en 1982, les premiers thons en conserve de Corée virent le jour. Une boîte de 150g coûtait 1000 wons( Vu l’inflation, 1000 wons vaudraient bien 10000 wons d’aujourd’hui. Donc, assez cher. Et comme je l’avais dit dans l’intro, Dongwon mena une campagne de promotion agressive en promouvant son nouveau produit comme plat de luxe que les gens des pays développés appréciaient.
En même temps, le groupe proposa différentes recettes dans lesquels on peut mettre du thon, telles que le ragoût de kimchi, le kimbap, différentes galettes et salades, des sandwichs, etc. Enfin, il proposa des cadeaux de thons en conserve pour des fêtes traditionnelles.
Grâce à ces efforts et à l’augmentation des revenus, les Coréens adoptèrent vite ce poisson inconnu malgré son prix relativement élevé. C’est ainsi que vous pouvez découvrir, aujourd’hui, différents plats coréens à base de thon !
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