Film : Un pétal. L'histoire d'une victime du massacre de Gwangju


Une fille, à peine âgée de 16 ans, voit sa mère tuée par les soldats envoyés sur place lors du mouvement démocratique de Gwangju du 18 mai. Traumatisée, elle perd la tête et erre dans toute la région avant de rencontrer sur son chemin un ouvrier, nommé Jang, qu’elle prend pour son grand-frère. Le film, « Un pétale », sorti en 1996, commence à partir de ce moment-là. Comme il doit être difficile pour vous de trouver ce long-métrage, je me permets ici de vous raconter cette histoire.
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En août 1980. Jang (on ne donne que son nom de famille), un ouvrier d’une trentaine d’année rentrait chez lui lorsqu’il vit une fille complètement folle errer dans le champ. Dès que leurs regards se croisèrent, la fille se mit à l’appeler oppa (grand-frère) tendrement et le suivit. Jang lui proféra des insultes en lui jetant des pierres mais rien n’y fit. Il la viola même en chemin, mais elle finit par arriver chez Jang et y passa une nuit, blottie dans un coin, puis s’endormit. Elle rêva. Elle vit une ville dévastée, des hommes attroupés, ici et là, des gens paniqués. Et maman. Maman trouée. 

Le lendemain soir, de retour à la maison, Jang retrouva la fille, endormie dans le coin. Il lui donna des coups de pieds pour la réveiller. Elle ne bougea pas. Il la porta alors, l’amena dans le champ avant de l’y laisser. Elle se leva tout de suite et le suivit encore. Jang lui donna à manger et décida de la garder encore une nuit. La fille rêva encore. Elle se vit chanter et danser devant son frère et ses amis avec une petite fleur dans les cheveux. Tout le monde avait l’air si heureux ! Puis, elle revit une vieille chaumière dans laquelle elle vivait avec sa mère et son frère. 

Encore le lendemain, Jang but avec ses collègues tard dans la nuit. Lorsqu’il rentra ivre mort, il fut indigné de découvrir la fille encore là, endormie. Il la frappa d’abord violemment avant de la déshabiller et la de la violer une nouvelle fois. Elle n’arrêta pas de rire, encore et encore. 
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Pendant ce temps, quatre étudiants fouillaient aux alentours de Gwangju pour justement chercher cette fille folle. C’était la petite-sœur de leur copain. Ce dernier avait été enrôlé de force à l’armée après avoir été arrêté pendant une manif. (En Corée, les étudiants à la fac peuvent repousser le service militaire jusqu’à la fin de leurs études.) Puis, il eut une mort douteuse à la caserne. Ses quatre amis allèrent à Gwangju pour consoler la famille du défunt. Mais ils apprirent que la mère avait été tuée pendant le mouvement démocratique du 18 mai et la petite-sœur, disparue. Ils rencontrèrent d’abord un conducteur de tracteur qui l’avait sauvée alors qu’elle se noyait dans la rivière. Ce dernier l’amena à une dame qui prit soin d’elle. Mais elle disparut encore la nuit où elle vit défiler les ouvriers, portant des bêches et des pioches. 
Elle se revit parmi des dizaines de cadavres, jetés pêle-mêle dans un grand trou. Des soldats donnaient des coups de bêche et de pioche pour élargir le trou. Pour ne pas se faire remarquer, elle resta d’abord cachée sous des cadavres, tremblant de peur avant de s’enfuir.
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La fille continua de vivre chez Jang. Un soir, il la roua encore de coups à en mourir.  Sous ses coups, elle pleura de peur, en se rappelant la frayeur qu’elle avait ressentie en fuyant ces soldats qui auraient pu l’enterrer vive. Désenivré, Jang se sentit coupable d’avoir maltraité une fille qui avait certainement dû vivre des atrocités. 
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Les amis du grand-frère de la fille rencontrèrent un certain Km Sang-tae, patron d’une petite boutique des affaires sportives : « Il y a une vieille maison délaissée dans le village. Il y a quelques semaines, la rumeur disait qu’il y avait une femme qui s’y était installée et que plusieurs hommes du village y allaient de temps en temps pour la prendre gratuitement. Certains disaient que c’était une jeune fille, et d’autres, une femme d’âge mûr. Intriguée, je suis allée la voir. Elle gisait sur le sol, sans bouger. Elle portait un haillon, couverte de blessures et sentait si mauvais que je la crus morte. Au moment où je voulus sortir, un de ses doigts bougea. Je l’amenai tout de suite à l’hôpital, parce que cette fille me rappela ma bien-aimée qui décéda jeune. Elle m’a dit qu’elle était en train de chercher son frère et que sa mère fut trouée. Quelques jours après, elle a disparu. »

Jang changea l’attitude. Un soir, il rentra sans avoir bu. Il avait acheté au marché des ^vêtements et des chaussures pour la fille. Il lui fit des plats qu’elle aimait, la lava, non sans peine, parce qu’elle n’arrêtait pas de s’enfuir comme un petit chiot, il l’habilla en pyjama et la mit dans son lit. Lui, il se coucha sur le sol. Mais pendant la nuit, elle descendit du lit pour le rejoindre au sol. Puis, elle se rendormit dans ses bras. 

Cette nuit-là, elle eut un cauchemar. Elle revit la scène qui lui fit perdre la raison. Une fois sortie de la fosse des cadavres, elle prit un train. Elle somnolait. Lorsqu’elle se réveilla, elle vit un fantôme qui pleurait des larmes de sang derrière la vitrine. Ce dernier lui demanda d’un ton menaçant : « Où est ta maman ? Qu’as-tu fait d’elle ? Dis-moi, dis-moi, dis-moi. » Elle remua violemment sa tête en criant « Va-t-en, va-t-en, va-t-en ! » Mais le fantôme insista. Elle finit par se cogner la tête contre la vitrine qui se brisa en mille morceaux. Ensuite, elle perdit connaissance. 

Jang se réveilla car la fille hurlait et tremblait tout en dormant. Il la serra fort dans ses bras mais elle n’arrêta pas de hurler, encore et encore…

Au travail, Jang entendit ses collègues parler des rumeurs sur ce qui se passa à Gwangju en mai : « Plus de 2000 personnes auraient été tuées ! 2000 personnes ! Comment l’armée qui doit protéger son peuple peut-elle commettre de telles exactions ! » « On dit que les soldats tirèrent sur n’importe que qui, que ce soit des femmes enceintes, des enfants, voire des bébés. » « Mais non, ce sont des fausses nouvelles fabriquées par des espions du Nord ! N’avez-vous pas vu les infos ? Selon le gouvernement, il n’y avait qu’une centaine de morts, tous des communistes. Et ce sont ces éléments anti-nationaux qui ont monté cette rébellion ! » « Chut !!! Taisez-vous, tous ! Vous n’avez pas peur ? Vous risquez d’être arrêtés et torturés. »

Un après-midi, la fille s’habilla en robe rouge, quitta la maison de Jang, cueillit des fleurs et erra parmi des tombeaux anonymes. Jang, qui était chez lui, la suivit. Devant un tombeau, elle s’arrêta. Elle le caressa en l’appelant oppa et raconta ce qui lui arriva. Jang l’écouta attentivement.
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La première fois où j’ai appris ce que c’était la souffrance, c’est le jour où des hommes habillés en costumes nous apprirent la mort de mon frère. Mais chaque nuit, en regardant maman compter les sous qu’elle avait gagnés au marché, je pouvais m’endormir tranquillement. Un matin, maman se leva tôt (-), se peignit soigneusement les cheveux et s’habilla avec son plus beau hanbok. Elle m’ordonna de ne pas aller à l’école mais de rester chez nous toute la journée. Je ne savais pas où elle se rendait, mais je la suivis malgré sa vive protestation. Elle prit le bus et on arriva au centre-ville, à la place devant la préfecture de la province de Jeolla du Sud. Je n’avais jamais vu autant de monde de ma vie. Des centaines de milliers de personnes défilaient en scandant les slogans : « A bas le dictateur Chun Doo-hwan », « Levez immédiatement la loi martiale ! » « Vive la République ! » « Vive la démocratie ! » « Vive la liberté ! »

Maman les cria, elle aussi, de toute ses forces, en remuant son poing en l’air. De loin, des soldats amés jusqu’aux dents et des chars s’avancèrent vers nous. Et ils ouvrirent le feu sur nous. Paniquée, la foule se dissipa. Les militaires nous poursuivirent en tirant avec leurs mitraillettes. Maman reçut une balle qui transperça son corps. Mais au moment où elle mourrait, elle ne lâcha pas ma main. Au contraire, elle la serra encore plus fort. J’eus trop peur. Je réunis toutes mes forces pour m’échapper puis je courus, je courus, en laissant maman mourir seule… 
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Après avoir achevé le récit, elle roula par terre en sanglotant. Jang ne put rien faire pour la soulager que de rester à l’écart en le regardant souffrir. La nuit, il prit la photo de la fille avec l’appareil qu’il avait emprunté à son maître au travail. Puis il l’envoya à un journal pour chercher ceux qui la connaissaient.
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Les amis du frère de la fille avaient renoncé à la chercher lorsqu’un d’entre eux découvrit ce journal. Ils se rendirent à la hâte à l’adresse indiquée. Hélas, c’était trop tard. Elle avait de nouveau disparu on ne sait où. Seul Jang buvait du soju en face d’un vêtement qu’il avait acheté pour la fille. 

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