« Tu apporteras du pain ! » Je venais d’arriver à Paris en septembre 1999. Des amis m’invitèrent chez eux. Lorsque je leur demandai ce que je pouvais apporter, ils me répondirent comme ça.
J’achetai, donc, un pain au chocolat, un pain aux raisins et un croissant aux amandes. Quand je les tendis fièrement à mes hôtes, ils me dirent : « Merci, c’est gentil, ce sont des desserts. Mais tu as oublié le pain. » « Non, ce sont du pain ! » Alors, ils m’expliquèrent qu’il s’agissait plutôt de pâtisseries, car quand on parle du pain, là-bas, notamment pour le repas, c’est du pain non sucré. « Comme de la baguette, du pain de campagne, etc. » En effet, pendant mon séjour à Paris, j’appris que ce qu’on entend par ce mot, c’est du pain qu’on mange un peu comme du riz chez nous, pour accompagner d’autres plats, même si on en mange des sucrés aussi avec du beurre et de la confiture.
Car en Corée, quand on parlait de pain (빵, pang) avant le 21e siècle, on pensait tout d’abord à une espèce de pain au lait sucré fourré de différentes crèmes ou au pain de mie. C’est parce que la boulangerie et la pâtisserie furent introduites en Corée par le biais du Japon à la fin du 19e siècle. Pour changer un peu mon feuilleton politique, « La loi martiale », je voudrais publier deux ou trois postes sur l’histoire du « pang » en Corée. Dans ce texte, j’utiliserai le mot «pang» pour désigner ensemble de pain, de gâteaux, de brioches et de viennoiseries selon son usage ici.
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Mais d’abord qui transmit la boulangerie et la pâtisserie au Japon et quand ? Ce sont les Portugais, les premiers Occidentaux avec qui le Japon commença à avoir des échanges au 16e siècle. Ils apprirent l’existence de ces nouveaux gâteaux à base de blé. C’est pour ça qu’on appelle le pain «pang», la transcription du mot portugais « pão. » Ce qui fit le plus grand succès, c’était un gâteau qui ressemblait à la génoise. Les Portugais le présentèrent comme « pain de Castille ».
C’est ainsi que les Japonais nommèrent ce gâteau «castella». Ils développèrent leur propre recette en y mettant du miel au lieu de sucre. Il se maria parfaitement avec du thé. Mais en raison de son prix très élevé, ce gâteau devint un produit de luxe réservé à la classe privilégiée. D’après les annales de Joseon, la Cour du Japon servit du castella aux émissaires avec d’autres sucreries locales mais c’était le gâteau occidental qui eut le plus de succès. L’historien du roi la décrit comme un « tteok (gâteau de riz traditionnel coréen cuit à la vapeur) de neige » en raison de la texture légère du castella.
Mais c’est à partir de la fin du 19e siècle que le pang devint plus accessible au plus grand public. Jusque-là, les pains européens proprement dits n’arrivaient pas trop À s’imposer chez les Japonais, car les croûtes étaient trop dures et qu’ils n’avaient pas beaucoup de goût. Alors, en 1874, un boulanger nippon lança une espèce de pain au lait fourré de pâte d’haricots rouges, à l’instar du mochi (le gâteau de riz gluant traditionnel japonais). Par la suite, des pains au lait fourrés de différentes crèmes, ainsi que le pain de mie, eurent également grand succès. Beaucoup de Nippons qui se considéraient modernes se plaisaient à prendre des tranches de pain de mie grillées, tartinées de beurre et de confiture comme (petit-)déjeuner.
Les Coréens emboîtèrent le pas leurs voisins d’autant plus que l’occupation japonaise, ainsi que l’arrivée de nombreux Japonais dans le pays, eurent pour conséquence de répandre vite dans la péninsule la culture occidentale introduite dans l’archipel. C’est ainsi que depuis l’époque, quand on parle du pang en Corée, on pense tout d’abord à des gâteaux sucrés.
Or, la terre et le climat coréens ne sont pas très favorables pour la culture du blé. Et le peu de blé local ne continent pas assez de gluten pour faire des pâtes à pain. L’importation de blé japonais d’abord, puis ensuite provenant de la Manchourie, que le Japon avala en 1937, contribua à diffusion de la boulangerie et de la pâtisserie coréenne, même si, avant la libération en 1945, ces pangs restèrent inaccessibles pour la majorité de la population.
« Quand j’étais élève à un lycée d’art traditionnel, me raconta maman un jour en offrant un gros pain à la crème aux oursons, j’avais beaucoup d’occasions de me produire à Séoul comme en province. Avant le spectacle, l’école distribuait à chacun de nous 10 wons, ce qui a à peu près la même valeur que 1000 (0,65 euro) d’aujourd’hui, pour qu’on puisse acheter à manger. La plupart de mes camarades optaient pour des ramyeons. Mais moi, je prenais toujours ce pain à tel point que mes copains se moquèrent de moi : ‘On dirait que tu as été américaine (à l’époque, l’USA=l’Occident pour la plupart des Coréens) dans ta vie précédente !’ »
Le fait est que ce pain à la crème industriel fut lancé en 1964, lorsqu’elle (-) venait d’entrer au lycée. Soit dit en passant, les premiers ramyeons furent commercialisés l’année précédente. Le lancement de ses deux produits à base de blé n’était pas une coïncidence. Or, comme j’avais expliqué dans mon précédent post sur l’histoire du pain en Corée, la Corée ne produisait que peu de blé. Pour trouver la réponse, il faut remonter 20 ans en arrière.
Après la libération en 1945, l’armée américaine s’installa dans le sud de la péninsule et gouverna provisoirement la partie sud du pays jusqu’à la formation du gouvernement sud-coréen en 1948. Avec eux, des tonnes de blés américains se mirent à arriver dans le cadre de l’aide humanitaire comme la Corée était très pauvre à l’époque. Et en raison de la guerre de Corée (1950-1953), le déploiement des soldats américains devint permanent et les Etats-Unis continuèrent d’envoyer d’importantes quantités de blé, comme la vie des Coréens était devenus plus difficile après le conflit fratricide.
Et avec ces céréales, du sucre, du beurre et d’autres produits nécessaires pour faire des pains et des gâteaux. La présence des soldats américains constituait également un marché prometteur. Par ailleurs, les pangs (빵, terme générique qui désignent à la fois des pains et des gâteaux faits à l’occidentale) introduits par les Japonais à la fin du 19e siècle étaient devenus assez familiers pour les habitants aisés de grandes villes. Sur fond de cet environnement favorable pour le secteur, plusieurs boulangeries et pâtisseries ouvrirent leurs portes.
Pour l’histoire de l’introduction et la diffusion des pangs au Japon et en Corée : https://www.facebook.com/share/p/1DuEgh79Zp/
Parmi les boulangers de l’époque, il y avait un certain Heo Chang-seong (1914-2003). Né dans le nord-ouest du pays, il travailla dès l’âge de 14 ans dans une boulangerie. En octobre 1945, Heo ouvrit sa propre boutique qui marcha bien. Encouragé par ce succès, il débarqua dans la capitale en mai 1948 et s’installa à Myeongdong. Mais dans ce quartier le plus branché de l’époque, la concurrence était rude. Alors, il inventa un four au charbon, alors que jusque-là, les boulangers utilisaient du bois comme combustible. Ce qui lui permit de réduire le coût de revient. Grâce à ses prix compétitifs, sa boutique put enfin s’imposer. En 1959, Heo se lança dans une nouvelle aventure, celle de construire la première usine de pain à Séoul. Le pain de mie et les biscuits étaient ses produits phares. Cette entreprise fut baptisée Samlip. C’est cette société qui lancera, trente ans plus tard, la plus grande chaîne de boulangerie coréenne, Paris Baguette. Mais j’y reviendrai plus tard.
À l’arrivée au pouvoir du président Park Jeong-hee, le secteur put connaître encore un plus grand essor. Parce qu’il lança la campagne dite « promotion des repas faits à base de blé » alors que la production de riz n’arrivait pas à satisfaire la demande globale. L’industrie du pain et des nouilles, dont les ramyeons, put bénéficier du soutien actif de l’Etat.
Dans ce contexte, en 1964, Samlip dévoila le pain au lait fourré avec de la crème de margarine, baptisé « Cream Pang » que maman adorait. Pour fêter son 30e anniversaire, Samlip proposa ce cream pang géant dont j’ai parlé dans l’intro. Ce nouveau produit eut un tel succès qu’il se formait une longue file d’attente, le matin, devant l’usine, à l’heure où sortait ce pang. Samlip n’arrêtait pas d’agrandir et commença à fournir l’armée américaine déployée en Corée en 1968. C’est aussi cette société qui fournit du pain aux villages des athlètes lors des JO de Séoul 1988.
Stimulés par le succès de Samlip, beaucoup d’autres usines de pang virent le jour. Outre les consommateurs individuels, elles avaient pour clients principaux l’armée coréenne et les écoles. Ces entreprises rendirent plus accessibles les pangs au grand public.
Ceci dit, le nombre de boulangeries artisanales, lui aussi, ne cessa d’augmenter. On appelait leurs pangs, « Pangs de la pâtisserie », considérés comme pangs de luxe. L’augmentation des revenus permirent à de plus en plus de Coréens de s’offrir ces pangs haut de gamme de temps à autre. Ainsi, dans les années 1980, on pouvait trouver plusieurs boulangeries de ce genre dans les quartiers résidentiels. Il y en avait deux dans notre coin. Maman nous sévissait servait du pang comme petit-déjeuner et goûter : « Parce que ma voisine de dessous, m’expliqua maman un jour, qui était femme d’un ancien diplomate, disait que pour faire grandir les enfants, il faut leur donner du pang le plus souvent que possible comme le font les Américains. » « Alors qu’aujourd’hui, poursuivit-elle, les mamans rechignent qu’on offre trop de pangs en évoquant des problèmes qu’ils contiennent trop de sucre, de graisse et de gluten. Belle époque d’abondance ! »
Mais "jusqu’à la fin des années" 1980, les pains et gâteaux qu’on consommait étaient fortement influencée par le Japon. C’est-à-dire que c’était plutôt du pain de mie et des pains au lait fourrés de pâte de haricots rouges sucrés ou de crème.
Ainsi, en 1984, maman qui venait de rentrer de son voyage en Allemagne grâce à l’invitation de son amie, nous raconta, les yeux écarquillés : « Vous savez, là-bas, on mange du pain dont la croûte est aussi dure que la pierre ! J’ai même failli me casser les dents ! »
On put découvrir ce pain bizarre grâce à l’entreprise Samlip qui lança la chaîne « Paris baguette ». Maman était contente : « Voilà, le pain que j’avais goûté là-bas ressemblait à ça, mais pas la forme. Il était plus petit et rond. » Grâce à cette chaîne, on pu aussi découvrir le croissant et le pain au chocolat qui eurent tout de suite un grand succès. Tellement nouveau, cette viennoiserie et ce pain ! N’empêche, la chaîne continuera à vendre des pangs classiques.
C’était également à peu près à ce moment-là que nous découvrîmes la génoise couverte de crème fraîche et de plein de fruits de saison, la fraise, la mandarine, le kiwi, le raisin etc., alors que jusque-là, c’était plutôt des gâteaux couverts de crème au beurre, trop sucrée ou trop grasse pour certains d’entre nous .Le succès de ce gâteau à la crème chantilly était tel qu’il reste aujourd’hui encore le gâteau de référence d’anniversaire ou de Noël pour la plupart des familles sud-coréennes.
Pourtant, depuis 2010, Paris Baguette, ainsi que son grand rival Tous les Jours, s’emparèrent du marché à tel point que beaucoup de boulangeries artisanales disparurent, sauf quelques enseignes.
Après la libéralisation du voyage en 1989, de nombreux sud-Coréens partirent pour l’Europe pour des raisons touristiques ou académiques et on découvrit les « vraies pains » et différentes brioches, viennoiseries et gâteaux authentiques. Et les boulangers indépendants, formés sur place, se mirent à ouvrir leurs boutiques à partir des années 2000, ce qui fit remonter le nombre de boulangeries indépendantes.
Aujourd’hui, les boulangers coréens ne se contentent pas des recettes classiques. Ils font preuve d’esprit inventif en créant différents pangs fusion, tels que les "croffles (croissant+waffle)", des gaufres faites avec de la pâte À croissant.
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