Trois héros de la nuit de la loi martiale



« Entrez coûte que coûte dans l’hémicycle quitte à briser les portes. » Et expulsez les députés avant que leur nombre atteigne 150. J’ai entendu que le quorum des députés pour la levée de la loi martiale n’est pas encore atteint.», tels fut l’ordre donné par l’ex-président Yoon Suk-yeol. 

Cet ordre fut tout de suite relayé par le ministre de la Défense et les commandants en chefs des deux unités clés (les généraux trois étoiles), le Commandement des forces spéciales et celui de la défense de la capitale. Ces trois furent tous incarcérés et inculpés comme complices clé de l’insurrection pour avoir ordonné, à leur tour, cet ordre illégal à leurs officiers. 

Or, parmi ces derniers, deux colonels et un lieutenant-colonel se firent particulièrement remarquer par les témoignages qu’ils prononcèrent lors du procès en destitution et du procès pénal. Le trio est appelé « héros » ou « de vrais militaires ». Deux d’entre eux ne se contentèrent pas de répondre aux interrogations. Ils grondèrent sévèrement le président déchu d’avoir forcé l’armée a pointé ses fusilles sur les citoyens et les députés. Voici leurs histoires et leurs propos. 

…………

Je commence par le colonel Jo Seong-hyeon, le chef du premier groupe de sécurité placé sous le Commandement de la défense de la capitale. Il devint très célèbre car il témoigna à la Cour constitutionnelle. Comme cette dernière publie la vidéo de l’intégrité des séances de plaidoirie, tout le monde put apprécier la pertinence de ses propos et de ses attitudes ainsi que ses regards assurés. Selon lui, il reçut d’abord l’ordre, de la part du commandant de la défense de la capitale, de diriger son unité vers l’Assemblée nationale. Jo partit tout de suite avec quelques groupes de reconnaissance. Une fois arrivé aux alentours du Parlement, le commandant lui ordonna : « Entrez coûte que coûte dans l’hémicycle quitte à briser les portes et expulsez les députés.» Un choc total pour Jo. « Je n’avais jamais pensé à ce genre de mission, expliqua-t-il. Tout autre militaire ne l’aurait pas trouvée normale cette opération. » Puis, pour gagner du temps, il ordonna à ses autres unités subalternes qui s’acheminaient en arrière de ne pas franchir le pont qui conduit directement au Parlement. 

De toute façon, il lui était physiquement impossible de s’approcher du Parlement, car il y avait trop de citoyens qui l’entouraient. Lecolonel appela son supérieur pour expliquer LA situation et il demanda à son supérieur de réexaminer cet ordre. A ce moment-là, des agents des forces de l’ordre avaient réussi à s’infiltrer dans le bâtiment principal du Parlement. « Vous n’avez plus besoin d’entrer au Parlement, répondit le commandant. Vous resterez dehors et aiderez les parachutistes déployés quand ils sortiront avec des députés expulsés. » 

A ce témoignage fatal contre Yoon, des avocats de ce dernier s’emportèrent littéralement contre Jo. Ils l’accusèrent de mentir pour des raisons politiques sans donner aucune preuve ni argument susceptible d’appuyer leur allégation. Ils lui reprochèrent même que le colonel fait semblant d’être un grand homme. Ils le firent de manière tellement impolie et violente que même un juge nommé par Yoon dut intervenir pour les calmer. Alors là, notre officier intègre demanda aux juges de se prononcer : « Je ne suis pas un grand homme. Je ne fais que témoigner ce que je fis. Si je mens, mes hommes le sauront tout de suite. Ainsi, je ne peux ni dois mentir. Voilà. » Son témoignage fut évoqué dans l’arrêt du verdict de destitution de Yoon.

Lors de la dernière séance du procès pénal contre l’accusé Yoon Suk-yeol, qui s’est tenu la semaine dernière, les avocats de ce dernier l’attaquèrent avec les mêmes allégations déjà rejetées par la Cour constitutionnelle. Alors là, Jo se montra encore plus tranché et sévère.
(Côté Yoon) : Est-il possible qu’expulser les députés fasse partie des opérations militaires ?
(Jo) : En effet, c’est impossible. Alors, pourquoi m’a-t-on donné un tel ordre, tout en sachant que c’est absurde ?» (rires du public au tribunal).
(Côté Yoon) : Mais un souvenir, cela s’efface avec le temps ! 
(Jo) : J’ai appris que certains souvenirs peuvent devenir plus clairs avec le temps 

Puis, le colonel ajouta solennellement : « Après cette affaire, les médias parlent de l’armée comme un groupe de gens privés d’intelligence qui croient devoir obéir à tous les ordres. Les ordres pour nous, c’est l’une des valeurs primordiales à défendre quitte à perdre la vie. Mais il y a des conditions. Les ordres doivent être conformes à l’objectif de l’armée qui est de protéger la vie et les biens du peuple ainsi que la nation. »


Notre deuxième héros est le lieutenant-colonel Kim Hyeong-gi, le chef du premier bataillon des forces de l’ordre. Comme le colonel Jo, il ne savait pas pour quelle raison il devait conduire son unité à l’Assemblée nationale. Lui, il réussit à pénétrer dans l’enceinte du parlement. Sur place, il reçut cet ordre de son supérieur : « Le président a ordonné d’expulser des députés même s’il faut casser les portes. En cas de besoin, coupez l’électricité. »  Alors là, il murmura : « Mais quel aboiement de chien alors que les maîtres du Parlement, ce sont les députés ! » Ainsi, il ne relaya pas cet ordre à ses hommes. 

Dans le bâtiment du Parlement, lui et ses soldats durent affronter à la résistance violente des citoyens et des conseillers de député. « J’ai vu que certains de mes hommes s’énervaient. Je leur criai sans cesse : ‘Ne faites rien ! Ne réagissez pas ! Ne frappez personnes !’, alors que nous aurions pu réussir notre mission sans problème. » En effet, selon des anciens officiers des forces spéciales, il ne leur aurait fallu que sept minutes pour régler la situation. 

Kim fit rire, comme Jo, le public avec ses réponses à la partie défenderesse : 
(Côté Yoon) Mais n’avez-vous jamais pensé qu’il fallait maintenir l’offre à l’Assemblée nationale ?
(Kim) Mais Le maintien de l’ordre ne fait pas partie des missions de l’armée ! 
(Côté Yoon) Le fait que les citoyens entrent au Parlement la nuit sans approbation, c’est illégal, non ? 
(Kim) Bah… je crois qu’ils y sont entrés parce qu’il y avait une bonne raison pour le faire. 


Lui aussi, comme Jo, demanda de prononcer un petit discours avant la fin de l’interrogatoire. Là, il commença par : « Moi, je n’obéis pas à des individus ». C’était une jolie attaque contre Yoon car c’est avec cette phrase qu’il devint populaire quand il était procureur. Il menait des enquêtes contre le gouvernement à l’époque et il avait dit cette phrase au Parlement. Voici les propos de Kim : « Moi, je n’obéis pas à des individus mais à l’armée qui m’ordonne de défendre notre patrie et notre peuple. Lors de cette nuit fatale, quelqu’un me dit que je commettais le crime de désobéissance. Mais comment pus-je effectuer l’ordre que j’ai reçu cette nuit-là ? Mes hommes n’ont rien fait et grâce à eux, on a pu défendre la démocratie. »

Contrairement à la plupart des officiers, il n’avait fait l’école militaire de l’armée de terre. Il commença sa carrière comme soldat de deuxième classe et il réussit à devenir le chef du bataillon des forces spéciales en 23 ans ! 


Le dernier, c’est le colonel Kim Moon-sang, le chef du bureau des opérations du Commandement de la défense de la capitale. Lors de la nuit de la proclamation de la loi martiale, les forces spéciales mirent du temps à arriver à l’Assemblée nationale, soit 1h et 10 minutes depuis la proclamation de cette mesure urgente ! Pendant ce temps-là, beaucoup de citoyens, ainsi que des députés, purent venir au Parlement. Mais pourquoi autant de retard alors que moins de dix minutes auraient suffi ?

Pour voler dans le ciel de Séoul, les hélicoptères militaires ont besoin d’obtenir l’approbation du Commandement de la défense de la capitale.  Et c’est le bureau du colonel Kim qui s’en occupe. Le commandement des forces spéciales lui demanda l’autorisation sans lui expliquer leur destination ni la raison pour laquelle il faisait cette demande. Alors, Kim aurait déversé une série de gros mots avant de raccrocher et ce, trois fois de suite. « Mais c’est impossible d’approuver ce genre de demande sans savoir pourquoi» témoignera-t-il la semaine dernière au tribunal. A la fin, il consulta d’abord l’état-major interarmées qui n’en savait rien, puis l’état-major de l’armée de terre qui donna le feu vert lui-même aux forces de l’ordre. 

……………

Quatre mois plus tard, la Cour constitutionnelle rendra hommage à ces soldats dans l’arrêt de son verdict de destitution : « qui contribuèrent, avec les citoyens, au Parlement de lever rapidement la loi martiale en refusant d’exécuter activement les ordres anticonstitutionnels. » 

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