Un ancien espion qui sauva la Corée




« Tu as vu ? Je viens de proclamer la loi martiale. Profite de cette occasion pour les arrêter tous. Aide le commandement de renseignements militaires. Je fournirai tout ce qu'IL faut, que ce soit de l’argent ou des gens. » Tel fut l’ordre que l’ex-président Yoon Suk-yeol donna au premier vice-directeur du Service national de renseignement (NIS) de l’époque, Hong Jang-wons. C’était seulement 27 minutes après que Yoon déclara la loi martiale, soit à 22h 57. 

Hong était ancien agent secret chargé des affaires nord-coréennes, soit l’une des missions les plus dangereuses du NIS. Un véritable James Bond version coréenne. Il était tellement compétent que tous les hauts cadres du NIS voulaient travailler avec lui. Ainsi il PASSA D'agent secret (qu’on appelle l’agent noir ici) à agent blanc, ce qui désigne les employés du NIS dont l’identité n’est pas secrète. Il travaillera même comme ministre auprès de l’ambassadeur de Corée à Londres. 

Mais revenons à cette nuit martiale du 3 décembre. Qui étaient ces personnes à « toutes arrêter à cette occasion » ? Hong ne le savait pas. Il crut qu’il s’agissait d’une affaire d’espions. Ainsi, il appela à la hâte le commandant en chef des renseignements militaires pour lui demander ce qu’il pouvait faire pour lui. Par ailleurs, ils étaient des copains de longue date depuis l’école militaire de l’armée de terre. Il fut alors abasourdi par la réponse : « Je te demande de localiser les personnes suivantes. Le président du Parlement, les chefs des quatre partis politiques majeurs, les anciens juges A et B… » Le nombre de personnes à arrêter était de 16. 

Hong était en train de transcrire les noms qu’il entendait. Mais à un moment donné, il laissa tomber en pensant : « Mais ils sont complètement fous ! » 

De retour à son bureau, il retrouva son calme habituel. Il sortit une feuille blanche pour réécrire les 16 noms qu’il avait entendus. Il n’arriva pas à se souvenir les deux derniers noms. Il appela, ensuite, un de ses trois conseillers pour lui demander de retranscrire ces noms. 

Peu de temps après, le directeur du NIS, un certain Jo Tae-yong, diplomate de carrière, convoqua une réunion des cadres pour discuter de la situation. Hong ne fit pas part de l’ordre de Yoon au cours de la réunion tant l’affaire était sensible. Il alla voir en tête-à-tête son supérieur après. Il lui posa d’abord cette question. « Est-ce que vous saviez que le président allait proclamer la loi martiale ? » « Pourquoi me demandez-vous un tel truc ? » , répondit le chef du NIS d’un air agacé. Cette réponse ainsi que son attitude interpellèrent Hong. Cependant il poursuivit : « Vous savez… j’ai entendu qu’on cherche à attraper Lee Jae-myeong (le chef de la première force de l’opposition) et Han Dong-hoon (le président du parti présidentiel mais dont les relations avec Yoon avait été gravement dégradées à l’époque) , etc. Qu’en pensez-vous ? »

Selon Hong, le directeur du NIS n’eut pas l’air très étonné malgré l’énormité de cette nouvelle. D’un air énervé, ce dernier répondit : « Parlons-en demain. » Interloqué par cette réaction, Hong lui demanda encore : « Mais donnez-moi votre directive ! Je ne sais trop quoi faire. » Pourtant, Jo sortit du bureau sans rien dire »

Le numéro 2 du NIS retourna à son bureau. Sur une table, son conseiller avait posé la liste retranscrite. Ce dernier avait également mis des profils des personnages concernés. Hong rappela le conseiller et lui demanda de rédiger une nouvelle fois la liste rien qu’avec les noms. 

Le matin, Hong proposa à Jo d’appeler le chef du parti de l’opposition, ce que celui-ci refusa. Or le lendemain, Jo le licencia en prétextant la violation de la neutralité politique. Le 6 décembre, Hong révéla, lors d’une audition parlementaire, l’ordre de Yoon : « J’aimais beaucoup le président. Je voulais faire tout ce qui lui plairait. Mais, ça, on ne peut pas ! Imaginez vous, mesdames et messieurs les députés, en train de regarder la télé tranquillement après avoir soupé avec votre famille. Tout à coup, des soldats se précipitent dans votre maison et vous arrêtent avant de vous mettre en prison. Mais, ça ne doit pas se faire en République de Corée ! Il est un endroit où de telles horreurs arrivent tous les jours. Où ? A Pyongyang (capitale nord-coréenne). Quel organe s’en occupe ? Le service de renseignements nord-coréen ! » 

A partir de ce moment-là  le camp de Yoon l’attaqua de tout part pour discréditer le témoignage de Hong. Par exemple, Jo Tae-yong révéla, à la Cour constitutionnelle, qu’il y avait trois versions de la liste en question et que Hong fréquentait des députés de l’opposition. Le maître Jang Soon-wook, un avocat du parlement, lui posa cette question :

(Jang) : Vous avez dit que Hong avait violé la neutralité politique en appelant souvent des députés de l’opposition. Or, selon la liste des numéros de téléphone que la partie défenderesse avait demandé comme preuve, vous avez eu des conversations avec plusieurs députés du parti au pouvoir ! Ce n’est pas tout. Vous avez même échangé des messages le 2 décembre et le 3 décembre, la date de la proclamation martiale. Que répondriez-vous si on vous demande pourquoi ? 
Jo ne put donner une réponse claire. 

Le directeur du NIS alla jusqu’à dévoiler la vidéo de CCTV filmée vers 23h, soit le moment où Hong appela le général qui lui donna les noms des personnes à arrêter. On le voyait devant la porte du siège de l’NIS alors que Hong avait dit qu’il avait transcrit la liste sur un terrain vague dans l’obscurité. Or, la vidéo filmée dans l’enceinte du NIS est confidentielle. 

Les avocats de Yoon sautèrent sur ces faits pour harceler Hong lors du procès en destitution. On aurait dit des procureurs interrogeant un suspect ! Il dut expliquer pourquoi il existe trois versions de la liste et il déposa même la dernière version de la liste comme preuve. Alors, la partie défenderesse lui demanda pourquoi avoir « menti » sur l’endroit où il avait rédigé la liste. Il répondit s’être trompé tant la situation était confuse. Enfin, les avocats l’accusèrent d’avoir écrit cette liste à des fins politiques comme elle fut rédigée après la levée de la mesure d’urgence. Il voulut expliquer pourquoi mais la partie défenderesse ne lui donna pas le temps de répondre pour passer à la prochaine question. 

Là encore, maître Jang vint à son secours :
(Jang) : Mais même si l’instauration du régime d’urgence a échoué, le fait que le président voulut arrêter ces personnages ne disparait pas. Je crois qu’en tant que professionnel des renseignements, vous auriez trouvé utile de laisser un aide-mémoire bien qu’à cet instant-là, vous ne saviez pas quoi en faire ultérieurement. 
(Hong) : Exactement. Les agents secrets ont pour l’habitude de prendre des notes et d’essayer de garder la mémoire s’ils apprennent quelque chose qui nous marque. 
(Jang) : Je vous pose cette question car je ne connais pas très bien votre milieu. Mais l’endroit où on rédigea quelque chose est-il si important alors que votre liste est conforme à celle qu’avaient le commandant de l’intelligence de l’armée et le chef de la Police nationale. 
(Hong) : Non, par ailleurs, tout s’est passé dans l’enceinte du NIS, le terrain vague et la porte du bâtiment sont très proches. 

La popularité de Hong explosa alors que certains partisans de Yoon allaient jusqu’à le menacer de l’attaquer. Ainsi les fans de Hong pensaient que la Police devait le protéger. A ce propos, un ancien supérieur de Hong rigola dans une émission de radio : « Mais qui protège qui ? Je vous préviens de ne pas agir avec témérité. Vous risquez de devenir handicapé. Il est également un tireur hors normes. »

…………

Après cette audition, Hong attendit le verdict de la Cour en passant la plupart du temps chez lui ou en se promenant dans le quartier avec son chien. Les médias conservateurs, les députés du parti présidentiel et les partisans d’extrême droite l’accusèrent toujours menteurs. Ses anciens collègues lui tournèrent le dos en l’appelant « traître ». 
Mais son attente douloureuse fut récompensée. La Cour constitutionnelle précisa clair et net dans son arrêt du verdict : « Le président ordonna au 1er vice-ministre du NIS, Hong Chang-won, d’aider à localiser le président du Parlement, les chefs des partis majeurs, des anciens juges, etc. »

La justice fut rendue!  Depuis, Hong Jang-won apparut à quelques émissions de télé. J’étais contente qu’il retrouvât son sourire et son honneur !

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