L'histoire des familles séparées dans les deux Corées


 « Non, pas du tout. En plus, je n’ai jamais été curieuse de savoir qui étaient mes parents », me répondit un jour une amie de maman, orpheline de guerre, lorsque je lui ai demandé si ses parents inconnus ne lui manquait pas. « De toute façon, continua-t-elle, je n’étais pas seule ! 100 000 orphelins de guerre et à Séoul, tout près de la frontière intercoréenne, il y en avait à foison. » Après une petite pause, elle ajouta tout de même avec un petit sourire : « Par ailleurs, je crois mes parents toujours en vie. Ils ne sont jamais venus me dire au revoir dans mes rêves. Qui sait ! J’aurais été, peut-être, l’enfant d’une famille nord-corréenne riche et puissante, et pourquoi pas, celle de Kim Jong-eun ! Mes parents seraient venus à Séoul, avant la guerre, pour faire leurs études à l’Université nationale de Séoul mais aux alentours de l’éclatement du conflit, ils seraient vite retournés au Nord en me confiant à ma grand-mère. Je m’en souviens encore, on vivait dans une belle maison occidentale, encore rare à l’époque. Un jour, une copine m’apprit que mamie était morte. J’avais quatre ans. J’hurlai en courant partout sous une pluie torrentielle. On me retrouva sans connaissance avant de me confier à l’orphelinat. Mais mes parents, eux, ils doivent être encore en vie…parce que je ne les ai jamais vus dans mes rêves.» 

Il y a 75 ans jour pour jour, le 25 juin 1950, la Corée du Nord envahit le Sud, vers 4h du matin, sans avoir déclaré la guerre. Ce conflit fratricide sépara des dizaines de milliers de familles de part et d’autre de la frontière nord-coréenne. Voici leur histoire. 
Pourquoi la Corée est divisée en deux ? : 
https://ours15.blogspot.com/2025/06/pourquoi-la-coree-est-divisee-en-deux.html

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Comme toutes les guerres, celle de Corée (1950-1953) fit un nombre scandaleux de morts, blessés, disparus, orphelins et familles séparées. Le problème est, qu'après la signature du cessez-le-feu en juillet 1953, il restait strictement interdit aux habitants  d’aller d’une Corée à l’autre. Il leur était et est encore même interdit de s’échanger des nouvelles par écrit. Et beaucoup ne pouvaient pas savoir si leurs familles restaient en vie ou pas. 
Pour en savoir plus sur la guerre de Corée : 
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Un cas extrêmement inhumain et une violation on ne peut plus flagrante des droits humains. Ça n’avait donc à rien à voir avec la situation entre les Allemands de l’Ouest et de l’Est. Eux, ils pouvaient s’échanger des nouvelles, aller voir leur famille bien que ces visites aient été strictement encadrées. Les Allemands de l’Est purent demeurer, ainsi, au courant de ce qui se passait à l’extérieur. 

Au début des années '70, les Croix-Rouges (trait d'union, deux majuscules) des deux pays essayèrent de débloquer la situation en vain. Il fallut attendre jusqu’en 1985 pour qu’enfin une centaine de sud-Coréens et nord-Coréens de familles séparées puissent se rencontrer à Pyongyang et à Séoul. Chiffre dérisoire mais symbolique, si seulement cet évènement avait donné la suite aux autres rencontres. Mais les tensions reprirent encore et cette initiative resta sans suite jusqu’en 2000.

L’arrivée au pouvoir du premier président de centre-gauche, Kim Dae-jung, en 1998, redonna l’espoir aux familles séparées. Il eut le premier sommet intercoréen depuis la libération en 1945 avec son homologue de l’époque, Kim Il-sung et adopta activement la politique de rapprochement avec le nord baptisé « politique du soleil ». L’objectif : atténuer les tensions politiques et militaires intercoréennes tout en aidant le Nord à sortir de la pauvreté via différents projets de coopération économique. Dans ce cadre, le complexe industriel de Gaeseong (ville nord-coréenne située entre Séoul et Pyongyang) fut construit. Des usines sud-coréennes s’y installèrent. Coopération gagnant-gagnant car les salaires des travailleurs nord-coréens étaient moins élevés que ceux des sud-Coréens mais beaucoup plus élevés que la moyenne du Nord. Le Sud développa également un site touristique sur le mont Geumgang réputé pour sa beauté et organisa des circuits DE RANDONNÉE pour les sud-Coréens.

Les retrouvailles des familles séparées constituaient, en quelque sorte, l’une des contreparties de ces projets économiques. Parce que c’était surtout Pyongyang qui était réticents sur ce dossier. Et pour cause. Le régime dictatorial a peur que ses habitants apprennent le développement fulgurant du Sud.

Ainsi, le 15 août 2000, la 2e rencontre des familles séparées eut lieu à Séoul et à Pyongyang. Puis, ces retrouvailles se renouvelèrent tous les ans, une ou deux fois par an, jusqu’à ce que le mandat du président Roh M-hyeon, successeur de Kim Dae-jung appartenant au même camp, prenne fin en 2008. A chaque évènement, environ 100 À 200 personnes furent invitées. Ils furent choisis par le tirage au sort. 

Mais le retour du parti conservateur au pouvoir en 2008 détériora vite la situation, non seulement en raison de sa politique plus hostile à l’égard de Pyongyang, mais aussi de fréquentes provocations armées du Nord. Seules deux retrouvailles seront organisées, en 2009 et en 2010, pendant le mandat de Lee Myung-bak entre 2008 et 2013. Idem sous la présidence de Park Geun-hye, toujours du camp conservateur. Deux rencontres seulement se tiendront entre 2013 et 2017. 

Park Geun-hye fut destituée en mars 2017 pour abus de pouvoir et corruption et Moon Jae-in, du parti de centre-gauche, fut élu comme président. Au début de son mandat, Pyongyang fit un geste de rapprochement. Le sommet intercoréen puis le 1er sommet nord-coréano-américain eurent lieu au premier semestre de 2018, ce qui permit de relancer les retrouvailles des familles séparés en août 2018. Mais l’échec du 2e sommet Trump-Kim refroidit vite les liens intercoréens. Aucune autre rencontre depuis. 

Enfin, l’élection de Yoon Suk-yeol en mars 2022, précipita dans l’abîme les relations nord-sud. Lorsqu’on y pense, ce n’est point étonnant puisque c’est un homme prêt à tout pour « exterminer tous les éléments communistes pro-nord-coréens anti-nationaux », quitte à proclamer de manière illégale et anticonstitutionnelle la loi martiale. 

Lors de ces retrouvailles, les sud-Coréens choisis apportèrent beaucoup de cadeaux pour leurs familles du nord. De leurs côtés, les nord-Coréens sélectionnés durent assister à un cours intensif pour « consolider leur fidélité à la cause du communisme ». 

Leurs retrouvailles furent déchirantes. Personne ne put s’empêcher de sangloter. Ils avaient été séparés enfant et se revoyaient vieux. Après trois jours passés ensemble, ils durent se séparer encore sans savoir quand ils pourraient se retrouver. Les échanges par courrier restaient toujours interdits.

Entretemps, la plupart des membres des familles ayant vécu la séparation décédèrent en raison de leur grand âge. Et il ne reste plus que quelques 36000 personnes. La majorité d’entre eux (84,8%) a plus de 70 ans. 

A cela s’ajoutent 34000 Nord-Coréens (majuscules) qui ont fui le pays communiste bien après la guerre. Beaucoup d’entre eux durent laisser leur famille là-bas. Pour eux, il est plus difficile d’espérer revoir leur famille que pour ceux qui avaient été séparés pendant la guerre. Car Pyongyang les considèrent comme criminels et leurs familles sont souvent surveillées, voire persécutées. Heureusement, beaucoup d’entre eux sont jeunes et qui sait ! Si les deux Corées sont réunifiées, ils pourront retrouver leurs familles. 

En attendant, espérons que les retrouvailles reprennent avec le nouveau gouvernement qui appartient au même camp de Kim Dae-jung et Roh Mu-hyeon.

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