L'histoire du pho et de la cuisine vietnamienne en Corée



C’est quand je venais d’entrer à la fac en 1998 que j’ai goûté mon premier phở , la soupe vietnamienne au bœuf, ainsi que ma première coriandre. 

On la baptisa « nouilles de riz vietnamiennes (월남 쌀국수) ». Cette appellation intriguait bien des Coréens, car ici, on ne fait pas de nouilles avec du riz. 
Or, un jour, un prof de la fac, qui venait d’arriver de Paris après avoir obtenu son doctorat, invita mes amis et moi dans un resto vietnamien. Aucun d’entre nous n’avais jamais essayé le phở . Par curiosité, on le suivit. 

Quand la soupe fut servie, nous étions un peu perdus. Mange-t-on des germes de haricots mungo crus comme ça en les trempant dans la soupe sur place ? Et qu’est-ce que ça sent bizarrement cette petite plante verte qu’on appelle coriandre ? 


Lui, il savait très bien manger du pho, comme il allait souvent dans le treizième quand il faisait ses études dans la capitale française : « Les étudiants coréens vont souvent dans des restaurants vietnamiens. On peut y manger de bonnes soupes relativement moins chères que celles des restaurants coréens. Par ailleurs, il n’y en a pas beaucoup, les restos coréens (c’était dans les années 1990) ». Puis, il nous montra comment s’y prendre. La soupe n’était pas mal.  Concernant la coriandre, les avis furent partagés. Moi, je l’ai bien aimé mais la plupart d’entre nous ne l’apprécièrent guère. 


Puis, quand je faisais mon premier séjour à Paris en 1999-2000 pour un stage linguistique, je découvris des phos plus authentiques. Le professeur m’avait filé de bonnes adresses. Là, je devins complètement addict. J’y allais à chaque fois que je faisais des courses chez Tang Frère ou avec mes amis français qui faisaient des études sur des pays de l’Indochine. 

De retour chez moi, je fus très surprise de voir qu’il y avait partout des restos vietnamiens ! Il faisait un tabac. D’autres plats de ce pays de l’Asie de l’Est, tel que le rouleau de galette de riz ou des nems, eurent un grand succès. 
Mais pourquoi cette soupe qui plaît autant aux Coréens embarqua si tardivement en Corée du Sud, c’est-à-dire à la fin des années 1990 ?


Comme je l’avais dit à plusieurs reprises dans mes précédentes publications, la fin des années 1980 marqua un tournant important pour la République de Corée, notamment sur le plan diplomatique. Suite aux JO de Séoul 1988 auxquels de nombreux pays communistes participèrent, ainsi que l’effondrement du mur du Berlin survenu l’année suivante, le gouvernement sud-coréen déploya activement la politique dite « diplomatie  du Nord (북방외교) » pour normaliser ses relations avec les pays de l’ancien bloc de l’Est. Dans la foulée, la Corée du Sud et le Vietnam établirent les relations diplomatiques le 22 décembre 1992. 

Soit dit en passant, depuis, les deux pays ne cessèrent de développer des relations d’amitié et de coopération étroites dans l’ensemble des domaines. Le Vietnam devint, entre autres, l’un des pays privilégiés des investisseurs sud-coréens et l’une des destinations les plus cotées des touristes sud-coréens. On a une ambassade à Hanoï et un consulat général à Ho Chi Minh-ville. 

En parallèle, le gouvernement libéralisa les voyages à l’étranger des Coréens en 1989. Grâce au développement économique fulgurant que le pays avait connu depuis les années 1960, de nombreux Coréens avaient aussi des moyens économiques. 

A l’époque, la Corée était à peine connue. Mais on n’attendait pas que le monde vienne vers nous, on s’élança vers ce dernier, y compris des pays que l’on considérait comme alliés de la Corée du Nord, donc, nos ennemis. 
Non seulement des touristes mais aussi des étudiants, des hommes d’affaires et des artistes, assoiffés du monde extérieur et de nouveaux savoirs et cultures ! Puis, on absorba, comme une éponge, tout ce que nous découvrions, y compris la cuisine. 

A mon avis, le succès de la culture coréenne pourrait s’expliquer par cette ouverture d’esprit et cette aspiration d’apprendre d’autres cultures. 
Ainsi, à partir de la fin des années 1990, on assista à un véritable essor de la restauration inspirée de différentes cuisines étrangères, notamment, du Vietnam, de Thaïlande et des pâtes italiennes. On a également redécouvert les cuisines japonaise et chinoise plus authentiques. 

C’était aussi à cette période, les deux chaînes de boulangerie coréenne Paris Baguette et Tous les jours, cartonnèrent. Elles font, aujourd’hui, partie intégrante de la scène de vie ordinaire des Coréens. 

Voilà, c’est ainsi que le phở  s’est ancré dans la vie quotidienne des sud-Coréens ! 

Aujourd’hui, il fait partie des plats familiers des Coréens. Rien que dans mon quartier, il y a trois restos vietnamiens, tous plus achalandés les uns que les autres. Dans les cantines d’école, ce plat revient régulièrement. 
Chez la famille Ours, on commande régulièrement des phos instantanés que vous voyez dans les photos. Les oursons l’adorent eux aussi mais ils en prennent sans coriandre alors que mon mari et moi en raffolons ! 

Note :
Mais attention ! Les phos coréens peuvent paraître trop fades pour certains d’entre vous, comme on met moins d’épices authentiques dans le bouillon. Comme herbe, on se contente de servir de la coriandre. Et même ça, il faut le demander ! Par contre, on aime bien l’oignon émincé mariné dans du vinaigre. Beaucoup de restos mettent des germes de haricots mungo au fond du bol, en dessous des nouilles, pour qu’ils soient mieux cuits.

Commentaires