« Imaginez que vous soyez séparés, du jour au lendemain, par la guerre et que l’un se trouve en Corée du Sud et l’autre, dans le Nord », nous dit maman d’un air ému. C’était en 1985. Mon frère avait 9 ans et moi, 6. Elle regardait les premières rencontres de familles séparées retransmises en direct à la télé. « Et que vous vous retrouviez comme ces messieurs et dames 45 ans après votre séparation. Ah, c’est terrible la guerre ! Profitez bien de ces petits moments de bonheur et essayez de ne pas vous disputer… »
En faisant la recherche sur les familles séparées, j’ai trouvé un poème qui m’a rappelé ces propos de maman. Il décrit également de manière si poignante le sentiment que les familles séparées doivent éprouver au moment de leurs retrouvailles. Il fait partie du roman de l’écrivain contemporain, Go Ho, « Un coup de téléphone depuis Pyongyang ».
………
Le jour où des bombes explosèrent comme LE tonnerre
Je perdis maman dans ce bruit effroyable
Et lâchai comme un sot la main tendre de ma petite sœur.
Mon père, plongé dans l’alcool, partit tôt un matin de printemps
Pour aller à la rencontre de ma sœur
Moi seul M’attachai à cette misérable vie.
Mais te retrouver aujourd’hui me récompense
De toutes ces douleurs endurées jusqu’à aujourd’hui !
T’en souviens-tu, la veille de notre séparation,
Je te fis tomber par terre suite à une dispute,
Ce qui te laissa une blessure sur ton front.
Cet acte violent m’étrangla tout au long de mes 80 ans
Comme une arête de poisson.
Ainsi, la première chose que je fis lors de nos retrouvailles,
Ce fut de vérifier si cette blessure est bien partie.
Tes mains qui étaient tendres comme les fougères
Se sont endurcies comme l’écorce d’un vieil arbre.
Ta bonne bouille a disparu depuis longtemps.
On me dit que cette vieille mamie devant moi
Est ma petite-sœur qui m’est si chère.
Après avoir passé un hiver extraordinairement féroce
Et surmonté ces nombreuses collines escarpées,
Nous revoilà ! Enfin nous nous sommes retrouvés !
Accablé par autant d’absurdité, je ne fais que soupirer.
« On dit qu’au nord, il fait plus froid qu'ici. »
Je lui mets des gants chauds que j’avais achetés il y longtemps.
« Comment as-tu vécu avec tes enfants ? »
A la vue de mes neveux inconnus, les larmes coulent toutes seules.
« Ne nous séparons plus, ne nous séparons plus »
Même si je suis vieux, je pleure comme un enfant.
« Ne mourrons pas mais attendons.
Attendons pour nous revoir l’année prochaine à ton anniversaire.
Reste en vie, s’il te plaît. Seulement, reste en vie. »
Photo : mon frère et moi en 1983. Mon frère avait 7 ans, moi, 4 ans.
40 plus tard, je pense à la même chose en regardant les oursons s’amuser. La Corée du Nord est pour nous comme une épée de Damoclès même si on
Maman adorait regarder mon frère et moi s’amuser ensemble en toute insouciance, comme toutes les mères du monde. C’était dans les années 1980 qu’elle nous disait souvent : « Appréciez ces petits moments de bonheur. La Corée du Nord peut nous envahir de nouveau on ne sait quand. Si jamais il nous arrive de nous séparer, gardez au moins ces heureux souvenirs. »
Aujourd’hui, beaucoup moins (quand même), depuis la démocratisation du pays en 1987. Mais avant, les régimes autoritaires ne cessaient de nous rappeler que la guerre de Corée n’a pas été officiellement terminée et que le Nord peut nous envahir du jour au lendemain. On connait cette stratégie, classique, d’attiser la haine d’un ennemi extérieur pour justifier la répression qu’on exerce sur le peuple. Dès la première année en primaire, à l’âge de 7 ans, on devait composer des essais et peindre des affiches « anti-communnistes ».
Toutefois, j’avoue que quand je regarde les oursons s’amuser ensemble, j’ai le même réflexe que ma mère même si je me garde bien de leur dire pour ne pas les paniquer. Car aujourd’hui, on épargne au moins les enfants à l’école de cette éventualité horrible. C’est l’une des raisons pour lesquelles je ne les harcèle pas, contrairement aux autres mères coréennes, à travailler tout le temps. Qu’ils s’épanouissent dans leur vie tant que ce sera permis.
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