Moon Hyeong-bae : le juge qui destitua le président Yoon Suk-yeol



« Moi, j’aimerais bien devenir juge. », déclara solennellement Petit Ourson à mamie Ours, un jour de février. « Oh, petit chéri, quelle belle idée ! Mais tu as déjà huit rêves, non ? A savoir, comédien, journaliste, tireur, YouTubeur, etc. » 

« Mais non, répondit le petit d’un air sérieux. Je n’en ai plus que quatre maintenant. Par exemple, je ne veux plus devenir tireur, les JOs ont pris fin ! »  Le fait est qu’il est très influençable pour le choix de son futur métier ! 

S’il veut devenir juge, c’est qu’il trouvait chouette l’ancien président par intérim de la Cour constitutionnelle, Moon Hyeong-bae, qui a prononcé, le 4 avril, le verdict contre Yoon Seok-yul : « Les juges ont décidé à l’unanimité : nous destituons le président Yoon Seok-yul. » 

Alors que la République de Corée a récemment fêté le 77e anniversaire de la Constitution, mes pensées vont vers ce magistrat hors pair. Il a quitté la fonction publique deux semaines après avoir rendu ce verdict historique. Conformément à ce qu’il avait juré lors de son audition de nomination au Parlement, il n’envisage pas de travailler comme avocat mais de donner des cours dans des universités. Pourtant, il gagnerait une fortune en travaillant comme avocat ! Ancien juge de la plus haute instance juridique du pays, comme on dit en Corée, le prix sera ce qu’il proposera. 

Mais d’où vient cette détermination si noble alors qu’il a un patrimoine très modeste (à peine 200 000 euros en tout, le prix de son appartement et de sa voiture, au moment de sa nomination). Voici son histoire. Je l’avais déjà publiée sur l’autre groupe en avril, mais entretemps, grâce à ses conférences et interviews, j'ai pu la compléter. Donc, voici, la nouvelle version. 
………

Né en 1965 comme aîné d’un paysan pauvre, il aurait dû arrêter ses études au collège s’il n’avait pas rencontré son bienfaiteur Kim Jang-ha. Ce dernier avait gagné beaucoup d’argent grâce au commerce des herbes médicinales. Ce qu’il regretta toute sa vie, c’est d’avoir été obligé de cesser ses études après l’école primaire à cause de la pauvreté. Il décida de consacrer le reste de sa vie à aider des pauvres élèves talentueux. Kim créa ainsi une fondation et un lycée pour venir en aide aux jeunes en difficulté. 

Le juge Moon put bénéficier des bourses distribuées par la fondation de Kim dès la première année du lycée jusqu’à la dernière année de la fac. Après la réussite du concours de la magistrature, il avait voulu devenir avocat spécialisé pour la défense des droits de l’homme. Mais après l’armée, il changea d’idée : il lui parut trop difficile devenir ce genre d’avocat militant. Au lieu de quoi, il choisit de devenir juge, mais un juge qui resterait en province alors qu’être affecté aux tribunaux de Séoul est beaucoup plus favorable pour la promotion : « Parce que je me suis dit qu’il fallait abandonner l’ambition pour rendre des verdicts plus intègres. » 

« Quand je faisais mes études à la fac (1984-1988), poursuivit-il, presque tous les étudiants étaient des fervents militants pour la démocratie : ils organisèrent souvent des manifs pour lutter contre le dictateur de l’époque, Chun Doo-hwan. Mais pour moi, il était urgent de réussir le concours de la magistrature en raison de la pauvreté de ma famille. Donc, j’ai présenté à mes camarades mes excuses de ne pas participer à ces rassemblements en leur promettant : « J’essaierai de faire régner la justice, une fois que j’aurai réussi à devenir juriste. Tous les juges de ma génération doivent être reconnaissants aux autres citoyens. Car lorsque ces derniers militaient pour la démocratie, ils s’enfermaient dans leur chambre pour préparer le concours de la magistrature. Or, sans les efforts du peuple, ils n’auraient pu juger, comme aujourd’hui, selon leur propre conscience et non pas d’après la volonté des dictateurs. » 

Après avoir été nommé juge, Moon remercia Kim de tout ce que ce dernier avait fait pour lui. Kim lui répondit : « Si tu m’es vraiment reconnaissant, rends ce que tu as reçu de moi à la société. Essaie de travailler toujours pour protéger les plus vulnérables et ne cherche pas à devenir riche avec ton métier de juriste. Fais des efforts pour rester un homme ordinaire et ne t’estime pas au-dessus des autres. Sinon, tu n’arriveras pas à réfléchir ni à la place des accusés ni à celle des plaignants.»
Olivier

Et Moon resta fidèle au conseil de son bienfaiteur. Lors de l’audition au Parlement avant d’être nommé juge de la Cour constitutionnelle, plusieurs députés lui exprimèrent leur respect car son patrimoine n’était que de 400 millions de wons (247000 euros), bien en dessous de ceux déclarés par d’autres juges. Ils découvrirent également que Moon avait fait beaucoup de dons à des associations caritatives, ainsi qu’à un tribunal où il travailla. « Car le budget y manquait cruellement », expliqua-t-il. 

D’après son serment, il travailla, tout au long de sa carrière, dans la province de Gyeongsang du Sud, située dans le sud-est du pays. Et il devint juge en chef de la Haute cour de Busan : « C’était l’un des moments les plus heureux de ma vie même si j’essaie de ne pas être trop ambitieux. Car pour nous, les juges, être juge en chef est quand même un grand honneur.», avoua-t-il. C’était trop mignon. 

Il fut également réputé pour ses jugements indulgents pour les délinquants pauvres et très sévères contre les hommes au pouvoir corrompus. Un jour, un pauvre tenta de mettre le feu à une auberge pour se suicider. Heureusement, le feu fut tout de suite maîtrisé et il fut arrêté. Avant de rendre le verdict, le juge Moon lui fit répéter 10 fois le mot suicide (en coréen jasal). Au bout d’un moment, l’accusa découvrit qu’il disait « ja salja salja…’salja’, ce qui veut dire ‘vivons’ en coréen, et non pas jasal (suicide) ». Moon se contenta de le condamner à un an de prison avec sursis en lui offrant comme cadeau un livre dont le titre était : « 50 raisons pour rester en vie. » En revanche, contre les fonctionnaires ou élus pourris, il n’hésitait pas à les condamner à plusieurs années de prison ferme. 

Or, en travaillant à Busan et ses environs, il eut souvent l’occasion de rencontrer un certain Moon Jae-in lors des procès. Originaire de Busan, Moon Jae-in travaillait comme avocat spécialisé dans la défense des droits de l’homme : « C’était un avocat brillant, tellement persuasif que je rendais souvent des verdicts favorables à ses clients. Par conséquent, il se fit une très bonne opinion de moi. A l’époque, je ne pouvais pas savoir qu’il deviendrait un jour président de la République. »

Une fois élu chef de l’Etat en 2017, le président Moon Jae-in nomma ce « juge de province» comme juge de la Cour constitutionnelle. L’honneur suprême pour les juges. 

Tout au long du procès en destitution Yoon Seok-yul, il essaya d’obtenir le consensus de tous et d’insérer un message de cohésion du peuple. La délibération des juges se prolongea et tous les citoyens frappèrent du pied d’impatience. Mais notre attente fut grandement récompensée : grâce à son leadership, on eut droit un verdict salué à l’unanimité comme étant un « manuel parfait de la Constitution ». « C’est parce qu’on a eu beaucoup de temps en raison de la délibération prolongée, expliqua-t-il lors d’une interview. Normalement, c’est le juge chargé du dossier qui rédige et corrige l’arrêt du verdict. Mais là, tous nos huit juges ne cessèrent d’améliorer le texte. »

Grâce à son effort, le verdict fut accepté plus facilement par les partisans de Yoon. 

Moon est également un grand amateur du sport. Fin mars, lorsque le verdict tardait à venir, on le critiqua même de s’être inscrit, avec sa femme, pour un tournois de tennis prévu en avril ! Il était, en effet, un membre actif du club de tennis de la Cour constitutionnelle. Aujourd’hui, son mandat s’est achevé et dans son discours d’adieu, il exprima un remerciement particulier à ce cercle. Il adore aussi le baseball, mais malheureusement il est fan de l’équipe Lotte, basée à Busan, l’une des plus faibles équipes. Moon exprima souvent, sur son compte Facebook, sa déception lorsque Lotte essuyait une défaite. Et même le jour où le juge prononça le verdict de la destitution de Yoon, Lotte fut battu ! 

Commentaires